Un sondage Harris Interactive du 7 janvier annonce que 56% des Français veulent se faire vacciner. Avec ce résultat, les Français figurent dans le peloton de tête des sceptiques du vaccin, loin derrière les Chinois (80%), les Brésiliens (78%) et les Britanniques (77%), premier pays à avoir entamé sa campagne de vaccination le 8 décembre. Le podium est complété par les Russes (43%) et les Sud-Africains (53%).
Les motifs de la défiance
Pour la plupart des sondés, le motif premier est la peur des effets secondaires. Ainsi, ils sont 80 % en Corée du Sud, 76 % au Japon et 72 % en France à invoquer ce motif tandis que l’interrogation sur l’efficacité arrive en deuxième lame. Ce qui est frappant est de constater que 14 % des Français interrogés se disent anti-vaccins d’une façon générale, ce qui est le signe d’une sorte d’obstruction de la santé. Sur la base de quelle donnée scientifique ces Français construisent-ils cette défiance à l’égard de la vaccination ? Ici, il est manifestement question d’opinion, d’opposition de principe. Qui est responsable de ces résultats ?
A l’origine de la défiance : un système politico-médiatique déviant
La défiance n’est pas un mal sans cause et à l’origine mystérieuse. Elle est une réaction naturelle, saine, compréhensible aux mensonges et à la manipulation. Alors, il ne s’agit pas de dire que ceux qui n’ont pas confiance ont raison, mais plutôt que ce n’est pas de leur faute si ceux qui prennent les décisions (les politiques) et ceux qui les relaient (les médias) sont mauvais voire incompétents. Cette crise de la confiance n’est pas une anomalie, elle est le résultat logique d’une population qui a au moins le mérite d’exiger de la transparence et de la rigueur. Qui d’autres que les politiques et les médias créent-ils cette défiance ? Si on veut saisir les causes profondes, celles qui relèvent de l’inconscient, sans doute faut-il analyser les discours et suivre les interprétations des mots, des déclarations, des décisions qui sont prises. Ainsi, souvenons-nous du fiasco sur les stocks de masques au début de la crise, en mars 2020. Le Gouvernement nous explique longtemps qu’il ne sert à rien de porter un masque s’il l’on n’est pas malade. Rétropédalage quelques semaines plus tard, le masque est désormais vivement conseillé. Inutile de préciser que c’est ce type de déclarations qui conduit au désastre. Si certains vont y voir le signe « qu’on ne nous dit pas tout » voire d’une grand complot orchestré par les Illuminati, on pourrait simplement comprendre que le mensonge vise à masquer l’incompétence risible de l’Etat et son incapacité à avoir assuré des stocks suffisants (les fameux stocks stratégiques) prévus en cas d’épidémie. Il aurait mieux fallu assumer cette absence d’anticipation et dire clairement que priorité était donnée aux personnel soignant plutôt que de mentir délibérément sur la prétendue inutilité des masques pour le grand public. En ce sens, on choisira, ici, entre incompétence et impréparation, ou les deux. Car ensuite, comment peut-on suivre à la lettre les consignes de port de masques de ceux-là mêmes qui expliquaient peu avant qu’ils étaient superflus ? N’est-ce pas l’exemple emblématique des multiples façons de faire douter les Français quant au bienfondé des décisions politico-sanitaires ?
Quant aux médias, ils ne sont pas exempts de tout reproche. Quand on lit, on trouve globalement, à quelques très rares minuscules nuances près, les mêmes analyses, les mêmes données, les mêmes buzz, les mêmes « informations » balancées sans ménagement, sans pédagogie, sans investigation à une audience bombardée de données toujours décontextualisées, souvent inexactes, parfois contradictoires. Ainsi, il est frappant de voir défiler sur les plateaux des grandes chaînes les mêmes faux experts, hier spécialistes du terrorisme, aujourd’hui devenus experts en vaccins débattre, sans en avoir la compétence, de sujets sensibles. Ces médias ont une responsabilité énorme dans la défiance infondée, dans cette perte de confiance en la science et la médecine. Il faudrait que la télévision et internet redeviennent un espace où sont distillés les bons contenus, les programmes de qualité, les chroniques léchées et de qualité. En l’état, c’est une course au buzz, une mise en scène obscène de l’opinion au détriment de la science et une suffisance décomplexée dès lors qu’il faut parler de sujets complexes et délicats. C’est comme ceci que se construisent les consciences, éduquées à douter de tout. Les médias déchaînent les opinions de ceux qui n’ont aucune qualification pour en avoir une, multiplient les informations contradictoires, entretiennent un flou sur les sujets sensibles et font parfois preuves de « maladresses » qui ressemblent grandement à une volonté évidente de jeter de l’huile sur le feu pour faire du clic à pas cher plutôt qu’à une simple erreur de timing.
Alors, c’est vrai, on connaît le système médiatique mais est-ce une raison pour accepter un traitement de l’information aussi mauvais ? Les Français ne méritent-ils pas d’avoir, face à eux, de vrais spécialistes, pas des monstres médiatiques, pour offrir un débat contradictoire sur la base de faits et de science ?
La défiance face à la science : une victoire de l’obscurantisme ?
Il ne faudrait pas aller trop vite en besogne. Assurément, la défiance à l’égard de la science que les Français manifestent de plus en plus, bien qu’alimentée par les politiques eux-mêmes et les médias, ne peut pas se résumer à une montée du complotisme et de l’obscurantisme. La médecine occidentale, dite moléculaire, très médicamenteuse, a ses torts. Mais elle a aussi eu le mérite d’éradiquer des maladies qui ont décimé des populations entières. Le vaccin a été une formidable invention et un progrès humain indéniable. Ceci étant dit, les médias ne peuvent pas se contenter de dénigrer ceux qui doutent et ne veulent pas se faire vacciner. Certes, parfois ils fantasment, mais il revient aux politiques et aux médias d’expliquer, d’éduquer, de convaincre. Chacun doit pouvoir décider librement en connaissances de cause. Ce petit jeu obscène qui consiste à moquer ceux qui refusent la vaccination ne fait que renforcer le mouvement, lequel menace durablement notre immunité collective. Car une population qui devient réfractaire aux vaccins est une population qui redevient très vulnérable face aux épidémies. Plus il y a d’hôtes possibles, plus les maladies infectieuses font des ravages. Il faudrait alors que les politiques cessent de mentir et qu’ils assument enfin une part de leur incompétence et de leur absence d’anticipation. Il faudrait aussi que les médias se remettent à informer (ce qui est censé être leur métier) plutôt que de ne chercher que la rentabilité. Les effets à long terme de cette infobésité oppressive et absconse sont catastrophiques et il semblerait que le complotisme soit le symptôme le plus visible d’une société qui a renoncé à faire des médias une boussole pour le peuple. Désintox tire la sonnette d’alarme.
*L’étude a été réalisée dans 15 pays via la plateforme en ligne d’Ipsos Global Advisor entre le 17 et le 20 décembre auprès de 13.542 adultes (dont environ un millier en France, âgés de 18 à 74 ans).