Au cours d’un débat qualifié de “cordial” par RMC, Marine Le Pen et Gérald Darmanin ont affiché des positions communes au point d’entendre la Présidente du RN admettre qu’elle aurait pu signer le livre de Gérald Darmanin. Entre stratégie du pouvoir manquée et grosses ficelles médiatiques, Désintox lève le voile sur un débat qui a tourné au duo.

Une stratégie du pouvoir qui montre ses limites

L’objectif pour Gérald Darmanin et la majorité présidentielle était de tomber sur une Marine Le Pen encore plus à droite que LREM. La raison est simple : il s’agissait de pouvoir à  nouveau se poser en barrage idéologique à l’extrême droite pour donner l’apparence à la loi sur les séparatismes d’un texte finalement pas si horrible que ça. Manqué. Gérald Darmanin, pour qui la stratégie était clairement dans la veine du “plus c’est gros, plus ça passe” n’a pas tellement pu compter sur le soutien de Marine Le Pen, pourtant habituée à jouer le rôle de l’assurance-vie du pouvoir.

Et même si Marine Le Pen est toujours aussi nulle, ce que ne manque pas de faire remarquer Gérald Darmanin, la volonté manifeste des Marcheurs de voir leur candidat se retrouver face à elle au second tour en 2022 pour rejouer la partition du barrage républicain se remarque à coup de grosses ficelles. Le Ministre de l’Intérieur, récitant les éléments de langage du pouvoir, a pourtant été repris par le journaliste Thomas Sotto. Lorsque Gérald Darmanin ne se prive pas de déclarer que Marine Le Pen “dit n’importe quoi” et qu’il “faut travailler pour le prochain débat présidentiel”, l’animateur de Vous avez la Parole lui rétorque alors : “Vous la voyez déjà au deuxième tour ?”. Symptomatique d’un système médiatique qui se nourrit de ce duel entre libéraux et réactionnaires.

Au rayon des échanges, le service public fait des choix éditoriaux déjà clarifiés par l’affiche de la soirée entre une droite extrême et l’extrême droite. Au milieu d’une panoplie de sujets réactionnaires, le voile était en guest star pour la chaîne publique.

Le voile, objet du consensus

Ironie du reportage, la chaîne publique participe elle-même à mettre ce sujet à toutes les sauces. Mais au cours de la soirée, c’est bien l’étonnante concorde entre les deux adversaires (partenaires ?) politiques du soir qui s’est affichée aux yeux de la France entière.

Alors, bien sûr, la laïcité impose que l’on légifère sur le sujet du voile, mais le débat mérite des nuances et de la pensée. A ce jeu-là, le duel a tourné au duo dans un récital de banalités aux sonorités qui mettent mal à l’aise. Le sujet du voile, pour ne pas avoir à désigner frontalement les musulmans, revient sans cesse dans les médias. Et même s’il s’est fait piquer la vedette par le burkini (que je n’ai personnellement encore jamais vu ailleurs qu’à la télévision) à quelques reprises, il est resté l’obsession maladive des décideurs politico-médiatiques. Il est le symptôme d’une dérive idéologique qui cherche un coupable à ses maux et désigne l’islam en ce sens en vertu du célèbre dicton “Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage”.

De la banalisation à la normalisation des doctrines d’extrême droite

De toute la soirée sur France 2, la séquence la plus surréaliste a débouché sur un malaise au sein de LREM. On y voit Gérard Darmanin reprocher de “la molesse” sur la question de l’islam à Marine Le Pen.

Cette scène trahit, si c’était encore nécessaire, toute la stratégie du pouvoir pour s’y maintenir. En 2017, Emmanuel Macron avait déjà recyclé la célèbre parade de Jacques Chirac. En banalisant, avec la complicité du système médiatique, les laïus de l’extrême droite, il avait facilement pu jouer la carte du barrage républicain au second tour. Cette fois-ci, LREM continue d’avancer sans scrupule sur ce terrain glissant. Au-delà de la banalisation, les thèses d’extrême droite deviennent une pratique régulière du pouvoir en place, celui qui est censé les avoir battues en 2017. Les exemples ne manquent pas : de la loi fake news à la loi anti-casseurs en passant par la loi asile-immigration et la loi Avia, les dérives autoritaires sont devenues légion du côté d’Emmanuel Macron. Dans les actes d’une part, mais aussi dans les mots et les postures. Après l’entretien franchement contestable du Président de la République à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles il y a quelques mois, l’évitable polémique sur l’hommage à Philippe Pétain – “qui a été un grand soldat” pendant la Première Guerre mondiale (ce que l’analyse attentive de l’histoire rend discutable) mais qui n’en reste pas moins un traître et un étron lors de la Seconde – ou encore la mention de Charles Maurras devant l’Assemblée nationale pour parler du régalien – odieux antisémite notoire, figure de proue de l’Action française et instigateur de bon nombre de théories d’extrême-droite -, la banalisation a franchi un cap sous la présidence du néolibéral. Elle se mue en normalisation d’une pensée toxique qui contraste avec l’accoutrement faussement sociétal (et donc perçu comme de gauche par une minorité idéologique) incarné notamment par la mission de Marlène Schiappa sur le droit des femmes. Les théories d’extrême droite infusent les esprits, elles pénètrent nos instances démocratiques après avoir contaminé des médias entiers (jurisprudence CNews), elles germent dans nos débats, nos échanges, nos pensées. Elles se substituent aux questions sociales et deviennent dominantes. En un mot : la banalisation a engendré la normalisation. La normalisation, c’est la mutation en norme, ou plutôt l’infection de la norme. Les pensées réactionnaires deviennent naturelles, elles font partie de nos systèmes de pensée. Le voile, l’islam, l’immigration deviennent des sujets obligatoires, des passages obligés. C’est une inversion de la norme des valeurs, un camouflet idéologique pour la gauche et même une défaite idéologique pour la droite conservatrice. L’extrême droite a été érigée en nouvelle norme politico-médiatique. Désormais, elle fait la loi et Gérald Darmanin l’a adoubée sur le plateau de Vous avez la Parole.

La présidentielle déjà sous contrôle médiatique

Par ce choix éditorial, France 2 a déjà donné le ton : la présidentielle de 2022 devra voir s’affronter Marine Le Pen et un libéral (Emmanuel Macron ?) avec un résultat des urnes connu d’avance. Car si Marine Le Pen progresse à chaque élection, elle reste inexorablement incapable de percer son plafond de verre et de convaincre des millions d’électeurs supplémentaires. Le risque (comprenez pour qu’elle soit élue) soit que les électeurs boudent encore davantage les urnes ou votent blanc. Une hypothèse qui ne semble pourtant pas inquiéter la République en Marche qui continue dans une stratégie périlleuse. Les médias, dans leur globalité, semblent aussi se satisfaire du paysage politique qu’ils contribuent à figurer. Avec l’extrême droite aux portes du pouvoir, les audiences sont bonnes. Le buzz, l’angoisse et la peur restent les recettes privilégiées des médias pour faire fructifier leur modèle économique. Et pire encore, la domination de quelques grands propriétaires médiatiques explique cette relative (pour ne pas dire plus) homogénéité générale des discours, des sujets et des postures éditoriales. Dans ce contexte stéréotypé et tout en contrôle, les médias, dans le système qu’ils génèrent, ont quitté le chemin de contre-pouvoir pour enfiler celui de garde-fou du système.

Il faudrait alors se demander si ce poncif selon lequel les médias incarnent le contre-pouvoir démocratique va toujours autant de soi quand on perçoit à quel point ces derniers semblent de plus en plus avoir la main sur le résultat des urnes jusqu’à anesthésier une démocratie en berne. Ce raisonnement gagne encore plus en intérêt à l’aune d’un chiffre : 90 % des médias sont possédés par 10 milliardaires. Mais ça, c’est encore un autre sujet.

Dans un ciel bien sombre pour les médias, Désintox mise sur l’esprit critique pour prendre à défaut un système bien trop rodé.