En arrivant au théùtre antique, dĂ©jĂ , la cĂ©lĂšbre ambiance des soirs de concert se ressent. Le théùtre n’est pas plein Ă  craquer, mais 5 000 spectateurs ont pris place. Des poids lourds sont attendus pour cette habituelle soirĂ©e blues. Une programmation allĂ©chante qui a tenu toutes ses promesses.

Manu Lanvin & The Devil Blues pour une folle mise en bouche

Lorsque Manu Lanvin fait son entrĂ©e sur scĂšne, une petite voix nous dit que la soirĂ©e sera belle. Le Français de 48 ans est un autodidacte de la guitare qui a voyagĂ© dans les esthĂ©tiques musicales avant d’atterrir dans le blues. A ses dĂ©buts dans le rock dĂšs l’Ăąge de 13 ans, il entame plusieurs projets, dont un collectif d’Ă©lectro rock, Manu & The Songe Black. Mais c’est sa rencontre avec le bluesman amĂ©ricain Calvin Russell en 2007 qui sonne comme un dĂ©clic.

Un showman inépuisable

Dans un set tonitruant, Manu Lanvin, accompagnĂ© de ses acolytes, Bako Ă  l’harmonica, Nicolas Bellanger Ă  la basse et Karim Bouazza Ă  la batterie, fait rugir sa guitare et gronder sa voix rocailleuse et puissante qui n’est pas sans rappeler le style d’un certain Johnny Hallyday qui l’avait adoubĂ©. Il offre un blues qui s’enflamme au son des guitares et des solos virevoltants. On a mĂȘme le droit Ă  une petite reprise de Highway to Hell. De son cĂŽtĂ©, le batteur a de la frappe et donne de la force aux mĂ©lodies de Lanvin. Ce dernier s’emploie Ă  offrir un vrai show Ă  un public impliquĂ© Ă  taper dans les mains et Ă  donner de la voix. Lorsqu’enfin l’intensitĂ© diminue, ce n’est pas pour longtemps. DĂ©jĂ , Bako Ă  l’harmonica ravive le brasier de ce blues franc et percutant. Des attaques assumĂ©es, des musiciens disciplinĂ©s qui ne volent pas la vedette Ă  Manu Lanvin : le concert est une expĂ©rience totale qui prend aux tripes. Le Français se dĂ©mĂšne sur scĂšne pour soulever le public qui le lui rend bien. C’est vrai que son style Ă©voque parfois Personne. Paul Personne. Il faut dire qu’il a Ă©tĂ© bercĂ© par ce poids lourd du blues français, venu l’an dernier Ă  Vienne pour le plus grand plaisir des amateurs du genre. Manu Lanvin a de la prestance. A lui tout seul, il occupe l’espace scĂ©nique en alternant les textes en français et en anglais. Si le batteur, le pianiste et l’harmonica prennent la relĂšve dans des solos aussi enflammĂ©s que virtuoses, le guitariste rythmique et le bassiste sont au garde Ă  vous pour sublimer le style inimitable du patron. Les mĂ©lodies s’enchaĂźnent, le repos n’est pas de la partie, les rythmes endiablĂ©s du rock’n’roll Ă©pousent les riffs d’un raw blues dĂ©flagrateur. Et puis le spectacle touche Ă  sa fin. Il n’y a rien Ă  jeter.

Zac Harmon répond présent

Zac Harmon est Ă  la fois chanteur, guitariste et compositeur de blues. Le natif du Mississippi a une relation fusionnelle avec ce style. Fervent dĂ©fenseur de son hĂ©ritage, il en Ă©crit dĂ©sormais une ligne supplĂ©mentaire en mĂȘlant les influences rock, funk, soul et pop. Dans le théùtre de Vienne, il offre le meilleur de son rĂ©pertoire avec une allĂ©gresse communicative.

Le meilleur du blues raconté par Harmon

Dans un concert d’une heure, Zac Harmon dĂ©veloppe un blues fusion groove qui dĂ©vaste tout sur son passage avec une batterie/basse solide trĂšs jazz fusion funky. Il y a des airs de BB King en Zac Harmon quand il commence ses solos. Le calme prĂ©cĂšde la tempĂȘte, les moments plus posĂ©s laissent s’installer un blues plus conventionnel oĂč on peut apprĂ©cier la voix juste et suave d’un musicien qui ne se cache pas. Les longueurs lui offrent l’espace pour exprimer la crĂ©ativitĂ© de sa guitare. Alors on se laisse porter et la sauce prend. La batterie et la basse assurent le service. Zac Harmon affole son manche. On Ă©coute, on oublie le temps qui passe, Ă©bahis devant tant de dextĂ©ritĂ©. Puis le calme revient et c’est l’orgue qui enchante les cƓurs, il tapisse sans couvrir la voix qui n’agresse pas, mais plutĂŽt envoĂ»te. On reconnaĂźt lĂ  la marque de fabrique des grands artistes de blues mais, mĂȘme dans la pure tradition, les accents groove et funk surgissent comme pour sublimer les mĂ©lodies. Le charme opĂšre et nous voici pris dans un blues familier mais particuliĂšrement agrĂ©able. Quand Harmon prend les rĂȘnes, c’est tout un monde de plaisir qui s’ouvre. Certains titres reposent, il parle au public, sans jamais perdre la petite note d’humour qui le rend si sympathique. Puis il repose sa voix, et alors c’est sa guitare qui entonne des airs lĂ©gers et soyeux. Le clavier de Corey Lacy n’est pas en reste, il sait donner le meilleur sur des envolĂ©es bien trouvĂ©es. Plus tard, le piano de s’Ă©clate sur une solide assise de la basse de Christopher Gipson, parfaite amorce Ă  un solo de batterie de Jamil Byrom attendu pour parachever un spectacle exquis. Le concert touche Ă  sa fin, on sort apaisĂ© et comblĂ©, l’oreille dorlotĂ©e par des notes de piano tout en douceur, mises en valeur par un duo basse batterie qui assure une assise qui ne transige pas. Knocking On Heaven’s Door de Bob Dylan arrive en fin de set comme un clin d’Ɠil. De quoi faire se lever le public pour acclamer une prestation qui fait visiblement l’unanimitĂ©.

Christone Ingram, alias Kingfish

Du haut de ses 23 ans, le trĂšs jeune Christone Ingram jouit dĂ©jĂ  d’une rĂ©putation hors pair. ConsidĂ©rĂ© comme l’un des meilleurs instrumentistes de blues en activitĂ©, lui aussi originaire du Mississippi, celui qui se fait appeler Kingfish fait montre d’une dextĂ©ritĂ© hors du commun avec un jeu tantĂŽt empreint de finesse puis explosif. Pour clĂŽturer cette soirĂ©e, les programmateurs de Jazz Ă  Vienne ont eu le nez creux.

Virtuose précoce

S’il en impose sur scĂšne, le virtuose le doit Ă  son indĂ©niable talent. Lorsque la guitare jaillit, il est encore en coulisses. L’effet est rĂ©ussi. On le voit arriver sur scĂšne faisant hurler sa guitare et la poussant dĂ©jĂ  dans ses retranchements. Le ton est donnĂ©. La barre est haute. Sur scĂšne, 4 musiciens qui ne font pas dans le superflus. La basse de Paul Rogers a choisi son camp : ce soir, elle assure l’essentiel. Dans son registre, Chris Black, le batteur, n’est pas dans l’emphase et Ingram s’amuse Ă  jouer pianissimo pour le contraste. Sa voix promet de belles choses, mais elle laisse encore entrevoir des Ă©chos juvĂ©niles qui se dissipent Ă  mesure du spectacle. Peu importe, le talent est bien lĂ  et il Ă©clot sur la scĂšne de Jazz Ă  Vienne. On comprend vite que le blues coule dans ses veines : les solos vont bon train, l’orgue y passe aussi. En fait, Kingfish connait la recette pour que la musique toujours l’emporte ; il alterne intensitĂ© et moments planant, distillant des notes de guitare Ă©tonnantes et colorĂ©es. Son blues est raffinĂ© et empreint d’un caractĂšre bien trempĂ©. Le set est tout en reliefs. Puis son timbre de voix se pose davantage et il se marie bien avec le style composite qu’il orchestre avec ses compĂšres. MĂȘme la scĂ©nographie suggĂšre que c’est lui l’attraction. Les trois autres musiciens se tassent dans le fond. Plein axe dans la lumiĂšre, Kingfish est en premiĂšre ligne pour montrer que le relĂšve est talentueuse. Chacun de ses solos a une couleur et une Ă©paisseur diffĂ©rentes. Il joue avec les sonoritĂ©s, allant vers des sons plus mĂ©talliques et des effets plus audacieux. Sans doute est-ce lĂ  sa marque de fabrique. Pour lui, le manche n’est rien d’autre qu’un long terrain d’expĂ©rimentations sonores. Et on se prend au jeu, on le regarde faire, comme s’il nous invitait dans sa sphĂšre musicale intime pour un moment de flottement. Parmi ses influences, on pense aux lĂ©gendes du blues Robert Johnson, Lightin’ Hopkins et Muddy Waters d’une part, mais aussi Ă  Ernie Isley, Prince ou Hendrix. Puis le garçon reprend de l’Ă©lan dans des envolĂ©es psychĂ©dĂ©liques, et sa voix prend la relĂšve. C’est beau, c’est bien fait : Ingram a rĂ©ussi son pari de conquĂ©rir le théùtre antique. Il y a un petit cĂŽtĂ© Jimmy Hendrix chez ce guitariste lĂ . Dans sa communion avec le public, l’intĂ©ressĂ© ne s’arrĂȘte pas lĂ . Le voici qui remonte les marches du théùtre antique pour jouer face Ă  la scĂšne. Le spectacle est total, le public n’en revient pas. Il reste lĂ , au milieu d’une foule qui l’a adoubĂ© depuis plus d’une demie heure dĂ©jĂ , et il recommence son exploration musicale, grattant chaque corde comme comme pour en extraire sa quintessence. En face, le clavier lui rĂ©pond. Le revoilĂ  sur scĂšne aprĂšs un pĂ©riple dans les gradins. La messe est dite : Christone Ingram n’a pas volĂ© son surnom. Il ne manquait que le rock’n’roll pour que la fĂȘte soit totale. Avec son manche, il rĂ©cite ses fondamentaux dans une intrĂ©pide et enivrante leçon instrumentale. Une chose est certaine, ce soir l’artiste a battu le record du plus grand nombre de solos. Car lorsqu’il ne chante pas, ses mains s’emballent et agitent son instrument et autour, tout est mis en Ɠuvre pour le faire briller. Une vraie claque musicale avec cet artiste en pleine ascension. Et dĂ©sormais une habitude au théùtre antique.