Charles Martel (691-741) était “maire du palais” du royaume franc. Vainqueur des arabes à la Bataille de Poitiers, il n’est aujourd’hui que peu (voire plus du tout) développé dans les manuels scolaires, contexte politico-social oblige. Chef militaire, il était aussi un chef d’État.

Maire du Palais, kézako ?

Charles Martel descend d’une longue dynastie de maires du palais, la famille des Pippinides. La Mairie du Palais était la plus haute fonction que pouvait obtenir un aristocrate franc. Au départ chargé des affaires domestiques et de l’exploitation des terres royales, le poste prit de plus en plus d’importance, en partie à cause de la faiblesse du pouvoir royal durant la période dite des « rois fainéants ». Ils devinrent ainsi des ministres, se retrouvèrent à la tête des armées et, disons-le pour certains, à la tête du royaume.

Charles Martel, lui-même fils de Pépin de Herstal, était donc tout désigné pour succéder à son père. Il est cependant emprisonné par la première femme de son père, qui conteste sa légitimité (il n’y a pas que dans Game of Thrones que l’on trouve des intrigues de palais). Cependant, les révoltes et guerres internes lui permettent de s’échapper pour s’affirmer en tant que maire du palais en Austrasie d’abord, puis en Neustrie (grandes régions franques).

Carte des territoires Francs et leurs vassaux

Une fois en place, Charles Martel fait et défait les rois à sa guise : il installe le roi Clotaire IV, puis rétablit Chilpéric II (qu’il avait écarté du trône quelques années auparavant) avant d’y placer Thierry IV (âgé de 8 ans, qu’il rappelle d’une abbaye où on l’avait retiré).

Si vous avez du mal à suivre, c’est normal mais ce qu’il faut retenir, c’est la position de force qu’offre alors la mairie du palais.

Consolidation du territoire

Extension en Europe

Charles Martel peut alors consolider l’assise des Francs en Europe et notamment vers l’Est puisque jusqu’en 738, l’Autriche actuelle et le sud de l’Allemagne sont conquises. Dans le Nord, c’est une partie de la Frise qu’il conquiert (cf. carte précédente) en remportant une victoire sur le peuple païen Frison à la bataille de Boarn en 734.

Lutte contre la percée omeyyade

C’est également durant ce laps de temps que les armées musulmanes de la dynastie omeyyade réalisent une percée en Europe. Après avoir conquis le royaume wisigoth d’Hispanie en 711, qu’ils rebaptisent Al-Andalus, les arabes et les berbères poursuivent leurs incursions et prennent le contrôle de la Septimanie, région méridionale allant des Pyrénées jusqu’à Arles, dès le début des années 720. Ils remonteront jusqu’à Autun en 725.

L’expansion musulmane dans la péninsule Ibérique, Christoph MAUNTEL, Simple raid ou tournant de l’Histoire ? in Batailles, une histoire des grands mythes nationaux, Isabelle Devion & BéatriceHeuser (dir.)

Repoussé de Bordeaux en 721 par le Duc Eudes, Abd al-Rahman (gouverneur d’Al-Andalus), lance une nouvelle campagne, notamment contre le duché d’Aquitaine, en 732. Razzia dans laquelle il prend Bordeaux et… Poitiers avant de se diriger vers Tours. Eudes fait alors appel aux Francs et à Charles Martel pour l’appuyer. Aux alentours du 25 Octobre 732, les armées se confrontent dans une bataille ou Abd al-Rahman est tué, à la suite de quoi les arabes se rebroussent chemin.

Charles Martel et Abd al-Rahman se font face dans la mêléeTableau : La Bataille de Poitiers, Charles de Steuben, 1837, Galerie des Batailles, Château de Versailles

C’est ce fait d’armes qui devait principalement faire passer Charles Martel à la postérité. C’est d’ailleurs, selon certaines sources, en l’honneur de cette victoire que Charles reçut le nom de « Martel » (marteau en ancien français).

Dans les régions méridionales, les troupes musulmanes progressent en Provence dans les années qui suivent puisqu’Arles et Avignon sont prises en 735. Il faudra deux ans à Charles Martel pour reprendre Avignon, Carcassonne ou encore Nîmes. Certaines villes comme Narbonne ou d’autres places fortes en Provence resteront toutefois sarrasines. La Septimanie ne deviendra réellement franque qu’à partir de 759, quand les Francs reprennent Narbonne et renomment la région « Gothie ».

Charles Martel menant le siège d’Avignon en 737 – Grandes Chroniques de France, XIVe siècle, Londres, British Library, Ms Royal 16 G VI f. 118v

Un réformateur politique et militaire

Charles Martel est aussi à l’origine du principe de la féodalité. En souhaitant créer une cavalerie pour ses armées, il généralise la vassalité : chaque aristocrate ayant reçu un « bénéfice » (une terre) doit élever un cheval et participer à l’effort de guerre s’il y est appelé. Les plus grands propriétaires purent ainsi former des troupes entières de cavaliers à leur service.

Enfin, les dernières années de sa vie furent décisives pour l’avenir du pouvoir royal. AÀ la mort de Thierry IV, Charles décide de ne pas placer d’héritier légitime sur le trône et règne sans titre jusqu’à sa mort en 741.

Il se permet même de séparer le pouvoir entre ses deux fils, Carloman et Pépin le Bref. Le premier se retirant en monastère en 747, Pépin dépose le dernier roi mérovingien Childéric III en 751 et se fait sacrer par les évêques de Gaule. Il sera confirmé en 754 à la basilique de Saint-Denis, par le Pape Etienne II lui-même, ce qui légitime la nouvelle dynastie : celle des carolingiens. Ce jour-là, ses fils sont également sacrés. L’un d’eux s’appellera plus tard… Charlemagne.

Le Sacre de Pépin le Bref par les évêques de Gaule en 751 –

Une personnalité difficile à étudier au XXI° siècle

Vous l’aurez donc compris, Charles Martel était un dirigeant, réformateur et militaire qui défendit et renforça les possessions franques en Gaule et en Europe tout en plaçant progressivement sa famille sur le trône. Son image ne devrait donc pas seulement se résumer à celle que l’on en a fait depuis la fin du Moyen-Âge : le défenseur victorieux de la France chrétienne contre l’invasion arabo-musulmane. Elle ne doit pas non plus se résumer à l’analyse vers laquelle certains auteurs tendent : la bataille ne serait qu’un mythe ou n’aurait été qu’une escarmouche insignifiante. Les historiens tentent aujourd’hui de trouver un juste milieu à tout cela.

En effet, il est difficile de parler de “la France” à cette période-là, tant nous n’en sommes qu’à ses lointains débuts. De plus, les motivations de Charles Martel à lutter contre les arabes sont également à nuancer. Les sources de l’époque ne mentionnant finalement que très peu le « choc des civilisations », la dimension religieuse du combat semble en définitive n’être que secondaire. La consolidation du pouvoir Franc et le passage de l’Aquitaine dans l’orbite du royaume furent sûrement des motifs d’intervention pour le maire du palais.

Ce personnage est l’exemple même de l’instrumentalisation à posteriori de nôtre Histoire. Les mouvements identitaires et les partis d’extrême-droite tels que le Front National dans les années 70 à 90 se sont particulièrement approprié son image. Lors d’affiches publicitaires de la campagne présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen s’assimile directement au souverain franc avec un slogan sans équivoque : “Martel 732 – Le Pen 2002”.

La polémique autour de la mosquée de Poitiers bâtie en 2012 sous mandat socialiste avait provoqué de nombreux remous, notamment suite à l’occupation du chantier par “Génération Identitaire” et aux accusations portées contre l’imam de la Mosquée. Cette réappropriation du personnage en est arrivée à un point qu’aujourd’hui, parler de Charles Martel revient souvent à parler de politique, et c’est bien dommage… pour la véritable Histoire.

En tout cas, force est de constater que la bataille de Poitiers (« Pavé des Martyrs », en arabe) continue toujours de faire parler d’elle près de 1 300 après… et ce n’est sûrement pas fini.

Merci d’avoir lu cet article et à très bientôt dans les Flâneries de l’Histoire !