Alors que l’effet Covid commençait à s’amenuiser, le sécuritaire à outrance a refait surface sur les chaînes de télé et à la Une des magazines. Propulsé par de nouveaux concepts creux mais à fort impact telle l’expression d’ « ensauvagement », le sécuritaire a bondi par la voix d’hommes de gauche qui ont remis la question de l’islamisme au premier plan. Pourquoi un tel acharnement ? Pourquoi prendre les mots de la droite alors que la gauche aspire à poser le débat en termes de social ? Nous revoilà partis dans le grand cirque médiatique qui nous mènera vers une élection présidentielle aux thèmes imposés : du sécuritaire au détriment de l’essentiel ?

L’angoisse suscitée par la floraison du sécuritaire

Depuis quelques semaines, c’est le nouveau sujet à la mode. Les éditorialistes en raffolent. Voici le petit nouveau, l’ensauvagement. Le mot lui-même ressemble à une mauvaise blague d’un universitaire en manque de sensations fortes ou d’un éditorialiste tentant un coup d’éclat. D’ailleurs, personne n’est aujourd’hui capable de définir précisément ce qu’il revêt. Pour mieux comprendre, il faut revenir à sa racine. Polysémique par nature en sciences sociales et politiques, il a été introduit dans le débat politique d’abord par l’extrême-droite puis par la droite à partir des années 2010. S’il prétend dénoncer une montée de la violence de la société s’incarnant dans la délinquance et la criminalité, force est de constater que, factuellement, il ne peut s’agir que d’une interprétation fondée sur le ressenti et non les faits. Le seul indicateur objectif qui permettrait d’en juger est statistique. Or, les chiffres sur la délinquance et la violence sont stables voire à la baisse pour certains indicateurs et ce, sur plusieurs décennies. L’ensauvagement est donc davantage un concept médiatique fait pour attiser le débat et la controverse, pour susciter l’angoisse, la peur et donc le buzz qu’un élément d’analyse des sciences sociales. Le terme cache même l’opinion de celui qui l’emploie tandis qu’il cherche à inspirer une lecture critique fondée sur l’observation rigoureuse et scientifique des faits. Il n’en est rien. L’ensauvagement est une nouvelle manœuvre politico-médiatique destinée à imposer, à la table du débat, la thématique sécuritaire. Même Gérald Darmanin s’en est saisi. Il a une responsabilité énorme dans la légitimation de la pensée derrière le terme. La même que celle de ceux qu’il prétend combattre, lui et ses amis de la République en Marche. De rempart contre l’extrême-droite, voici que LREM s’affiche comme entremetteuse du RN. Peut-être pour mieux la doper et nous refaire le coup de l’élection de 2017 ?

Ils sont d’ailleurs nombreux à s’extasier d’un tel parti pris éditorial (puisque c’en est un). Eric Zemmour en tête caracole sur CNews, enfonçant des portes ouvertes, provoquant, à la commande, sur tous les sujets sensibles du moment, prétextant porter la voix de millions de Français, mais finalement installé sur les plateaux TV seulement pour booster une audience adepte du clash et du scandale.

Et quand on regarde de plus près, on voit ces mêmes thèmes qui endorment les Français depuis le début des années 2000, la violence, le prétendu laxisme de l’Etat, l’islam, et bien d’autres encore. Les médias mélangent tous les sujets qui évoquent de la violence ou qui, en tout cas, font peur : la peine de mort, l’islamisme, le terrorisme, les agressions, etc. Tremblez téléspectateurs, ce n’est que le début du calvaire.

Un débat inattendu sur la peine de mort

Je ne m’épuiserai pas sur la question de fond, Christiane Taubira l’a très bien fait pour que ses mots me conviennent :

Ce qui m’intéresse ici, c’est comment ce sujet s’est imposé sur la place médiatique. Qui l’a remis au centre du jeu ? Pourquoi en parle-t-on maintenant alors qu’elle a été abolie il y a bientôt 40 ans et qu’aucune actualité n’en fait l’écho ?

Tout est parti d’un sondage publié par Ipsos/Sopra Steria le lundi 14 septembre. 55% des Français seraient favorables au rétablissement de la peine de mort. Au beau milieu d’une couverture médiatique consacrée aux faits divers morbides. C’est donc un parti pris total dans un moment où rien ne l’imposait que de remettre les pieds dans le plat. Dans quel but si ce n’est servir une doctrine sécuritaire au service d’obscurs intérêts ? Car il faut rappeler que dans l’expression « faits divers », « divers » est synonyme d’ »anecdotique ».

Dès lors, tous les plateaux se sont enflammés. Et pourtant, rien de nouveau sous le soleil. En 1981, 63% des Français étaient contre l’abolition. Paradoxalement, ils sont moins nombreux aujourd’hui. Et pourtant, on a la sensation du contraire : c’est l’effet médiatique.Et comme le rappelle Libération, « La peine de mort n’est pas un sujet de sondage comme les autres« . Il n’est donc de violence que là où on veut bien la voir. « Tu ne tueras point » assène pourtant la Bible. Il avait fallu une éternité pour se dire que c’était applicable à la peine de mort.

Manuel Valls de retour de sa caverne

C’est le moment qu’a choisi Manuel Valls pour sortir de sa caverne. Son interview sécuritaire est à retrouver sur le JDD. Le terme “islam” y est prononcé une bonne trentaine de fois. Pas un mot en revanche sur l’écologie par exemple. Bref, Manuel Valls est de retour encore plus à droite que quand il nous a quittés. Lui, l’ancien baron du Parti Socialiste emploie désormais les mots de l’extrême-droite avec la même rancœur au point de ne pas voir que les Français n’en veulent plus. Il est l’illustration ridicule d’un politique qui tente par tous les moyens de revenir au cœur du jeu alors même que la partie est déjà perdue. Mais ses mots, eux, trouvent un écho médiatique certain. Ils légitiment un discours qui fragilise notre société de l’intérieur, ce discours qui conduit à une escalade de la violence et qui propulse l’extrême-droite comme recours.

Alors on sait pourquoi Manuel Valls fait ça : en s’emparant des sujets sécuritaires, il refuse de les laisser à l’extrême-droite. Il y a 5 ans, on aurait pu dire pourquoi pas. Mais entre temps, l’ancien Premier Ministre a totalement vrillé. Il ne parle plus de social, ne fait plus référence aux inégalités, au libéralisme que la gauche combat historiquement. Il s’est approprié des mots et a fini par trahir son prétendu combat de socialiste.

Jadot s’y met aussi

Qui s’attendait à ce que le burkini soit remis au centre du jeu par les écologistes ? Disparu des écrans radars depuis de très longs mois sur fond de crise sanitaire, l’habit polémique a fait son retour. Ceux, peut-être, qui savaient que la stratégie électorale de Yannick Jadot était la même que celle qui avait fait triompher Emmanuel Macron en 2017. L’ancien candidat à la présidentielle rallié à Benoît Hamon est bien décidé, cette fois-ci, à aller au bout. Dopé par les bons résultats des écologistes aux dernières élections (et bien qu’en trompe l’œil), il s’est mis dans l’habit d’un présidentiable. Au point de faire du Manuel Valls dans le texte.

On remarque cette même stratégie électorale de ne pas laisser les sujets sécuritaires à la droite… pour le même résultat ? Faire monter l’extrême-droite et faire réélire Macron ? Ou tenter de se substituer à Macron ? En jouant la même partition, Jadot utilise les mots de l’extrême-droite pour légitimer ses sujets et se présenter ensuite comme un recours possible. Il essaie de s’imposer au centre de l’échiquier politique. Si les écologistes parlent de sécuritaire, c’est non seulement le signe qu’ils se voient déjà au pouvoir mais peut-être plus encore qu’ils croient acquis les électeurs de gauche. Le risque est de faire fuir l’électorat de gauche vers Mélenchon, alors que Jadot ne veut précisément pas en entendre parler. Pour le moment, EELV ne pâtit pas de cette stratégie. Il faut dire qu’avoir le mot “écologie” dans le nom de son parti aide beaucoup. Mais EELV est-il fondamentalement de gauche dès lors que l’on vient sur le terrain du social ? Ici, Jadot parle de sécuritaire au détriment du social, au risque, peut-être, d’imposer encore davantage les thèmes favoris de Marine Le Pen.

Sauver le soldat Macron en propulsant le leurre Le Pen

Et les médias déroulent le même programme qu’en 2012 et 2017. Pendant que la gauche se chamaille et que les Républicains essaient de ne pas mourir, les médias nous ressortent Marine Le Pen du placard. C’est d’ailleurs assez édifiant de voir à quel point, sans leur aide, la candidate battue en 2012 et 2017 est transparente. En mettant ses sujets de prédilection sur le devant de la scène, ils lui mâchent le travail. Elle n’a plus qu’à asséner ses éléments de langage sur les plateaux TV. Derrière, Emmanuel Macron tentera de se hisser en dernier recours, le fameux “barrage républicain” tandis qu’il aura largement contribué à valider ses thèses. A n’en pas douter, le choix du polémique Gérald Darmanin après les non moins fameux Gérard Collomb et Christophe Castaner au Ministère de l’Intérieur, va t-il dans ce sens : attiser les braises pour jouer le numéro du pompier pyromane.

Dans ce grand spectacle médiocre, le social et l’écologie sont pourtant les priorités de notre ère. La gauche aura du mal à s’unir, on sait déjà qu’il y aura au moins deux candidats (sans compter l’extrême gauche). La droite n’est pas morte mais son électorat a filé chez Macron. Le sécuritaire est un leurre, un objet qui ne se juge qu’en termes d’intensité médiatique lorsque tous les indicateurs statistiques montrent que l’ensauvagement est une arnaque de plus pour détourner l’attention des sujets de fond. A moins de deux ans de l’élection suprême, la bataille est posée dans les mêmes termes que la précédente. Bis repetita ou cascade de surprises ? Désintox s’immisce dans les abysses d’un débat sécuritaire bien trop rôdé.