Et puis il y a eu cet horrible attentat avec l’assassinat de Samuel Paty dans une séquence politico-médiatique où le coronavirus est devenu un arrière-plan permanent mais trop banal pour être sensationnel. Revoici, à désormais un an et demi de la présidentielle, l’éternel booster d’audiences et le véritable levier à clivages. Désintox prend le large pour comprendre les compromissions à peine masquées de ceux qui usent des mots pour tenter la parade.

Reprendre la main en imposant l’islam dans le débat

Chaque année, il y a systématiquement une séquence politico-médiatique qui tourne autour de l’islam. En 2016, souvenez-vous, c’était le burkini en plein mois d’août, sujet pas cher à produire, parfait pour emballer l’audience. En 2017, c’est surtout Manuel Valls qui avait enflammé les médias en s’acharnant sur “le problème de l’islam jusqu’à en mettre mal à l’aise la majorité présidentielle elle-même. En 2018 et 2019, c’est surtout le voile qui avait occupé l’espace médiatique. Et quand on ne parle pas de voile, on parle de halal, oubliant que c’est la loi de l’offre et de la demande qui le fait exister.

En 2020, l’islam a pourtant nettement moins existé dans les médias. La faute à un virus qui lui a volé la vedette sur la première partie de l’année. Mais puisque l’été est revenu avec son calme habituel, l’islam a été rappelé à la rescousse pour doper des audiences en berne. 

C’est alors que Gérald Darmanin s’est lancé dans le même petit numéro que ses prédécesseurs. Le 8 juillet dernier, il déclarait devant le Sénat : “L’islam politique est « un ennemi mortel pour la République”.

Les mots ont un sens, mais ce qui compte le plus ici, c’est leur connotation et l’effet qu’ils produisent. Dans cette déclaration où chaque mot est pesé, c’est l’expression “ennemi mortel” qui m’interpelle. Même si tout le monde partage la volonté de combattre fermement l’islam radical, il y a tout de même un sentiment étrange qui se dégage d’une telle formule prononcée devant le Parlement. Nommé ministre de l’Intérieur le 6 juillet 2020, Gérald Darmanin a tout de suite cherché à imposer ses thèmes. Aucune surprise, son cheval de bataille sera l’islam radical. Mais dans cette séquence, il manie maladroitement le sens de la laïcité et associe insidieusement, presque de façon subliminale, l’islamisme radical et l’islam. Que vient faire le communautarisme dans la problématique de l’islamisme radical ? Pourquoi affirmer que l’on peut être musulman et respecter la république (c’est clair comme de l’eau de roche) si ce n’est pour donner du crédit à l’idée contraire ? Gérald Darmanin sait très bien ce qu’il fait : en associant volontairement des termes qui n’ont aucun rapport, il projette dans le débat public un certain champ lexical de l’ennemi intérieur complètement artificialisé, contribuant à créer les conditions d’un soupçon généralisé à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, tâche leur incombe de montrer patte blanche pour prouver qu’ils sont de bons républicains. Et c’est là où cette rhétorique devient dangereuse. En insinuant que chaque musulman est suspect tant qu’il n’a pas donné de gage de sa bonne foi, il stigmatise une part importante de la population à travers sa religion. Pour rappel, la laïcité c’est la séparation de l’Etat et des cultes poussée jusqu’à la neutralité de ce-dernier à leur égard. Cela signifie que l’Etat est incompétent en matière de religion, que ce n’est pas son affaire. Or, pour justifier cet intérêt manifeste, Gérald Darmanin désigne l’islam politique comme un ennemi à abattre, employant une rhétorique guerrière à même de lever l’indifférence théorique de l’Etat au profit d’une posture active dans cet affrontement. Pour autant, la joute n’est pas tant initiée dans l’arène sécuritaire mais surtout dans l’arène identitaire. L’accent est mis, pas uniquement sur les dangers directs (les risques d’attentats par exemple) mais aussi (et peut-être surtout) sur les bouleversements identitaires à venir, doctrine habituellement couvée par l’extrême-droite.

Le choix des mots : une rhétorique de l’amalgame

Dans cette autre séquence, dans Bourdin Direct sur RLM et BFMTV (7 septembre 2020), Gérald Darmanin fait une compilation de tous les biais classiques du discours politique ambivalent et subliminal. D’abord, il commence par faire mettre en balance sa parole politique et son opinion personnelle. Qu’on se le dise, son avis nous importe peu. Ce qui compte, c’est ce pourquoi on l’invite, sa position de ministre vis-à-vis du droit et de son application. Ensuite, il commence par expliquer sur son deuxième prénom est “Moussa”. C’est un peu comme la fameuse réplique “Mon meilleur ami est noir donc je ne suis pas raciste”, sauf que là, c’est un ministre en exercice qui l’emploie. Enfin, il se réfère à son expérience personnelle, ce qui est parmi les biais cognitifs les plus sensibles même, du même coup, l’une des techniques de persuasion les plus efficaces. Vient le moment le plus important à mon sens. Il consiste à une association d’idées au sein de laquelle ce qui compte n’est pas le sens de la phrase, mais bien la présence des mots associés. Ici, il explique qu’“on peut être musulman et un grand Français de nature, évidemment”. Si cela est si évident, pourquoi le répéter si ce n’est pour accréditer l’idée que cela ne va pas forcément de soi ? Dans la lignée, il confirme que “tous ceux qui pensent que l’islam est incompatible avec la République crachent à la tête de tous ces soldats qui ont versé leur sang pour la France”. Là encore, il n’y a rien d’anodin. Cela lui permet, d’ailleurs, d’introduire un “mais” : l’islam doit s’adapter à la République. L’argumentation est arrivée à son terme.

En fait, Gérald Darmanin adopte une lecture biaisée de la laïcité, colportant des idées reçues et des lieux communs sous l’apparat du bon sens et de la transparence (d’où l’exemple issu de son expérience personnelle avec son grand-père). Cela participe d’une stratégie plus vicieuse encore qui ressemble beaucoup à celle des pompiers-pyromanes.

La démonstration des pompiers-pyromanes

Sur ces aspects, la rhétorique du Gouvernement peut tout à fait être qualifiée d’islamophobe. Mais dans ce moment particulier où tous les mots sont dévoyés, où chacun y va de son néologisme pour attaquer l’autre sur fond d’islam, il faut toutefois peser les déclarations. Si je pense que le Gouvernement est islamophobe, c’est parce que l’omniprésence du champ lexical de l’islam dans ses sorties médiatiques est dantesque. Bien sûr, les médias y participent puisque ce sont souvent eux qui posent le sujet sur la table. A cet endroit, je mentionne que le terme “islam” a été prononcé 44 fois dans le dernier discours d’Emmanuel Macron sur le thème de la lutte contre les séparatismes. Il y aurait tant à dire sur ce sujet, mais je m’y cantonerai plus tard. A mon sens, cette rhétorique s’inscrit plus largement dans une réponse sécuritaire qui transparaît dans les discours. L’islamophobie, c’est-à-dire cette hostilité manifeste à l’encontre des musulmans, est avant tout visible dans le temps passé à répéter qu’ils n’y sont pour rien mais enfin quand même… S’ils peuvent le prouver et s’excuser au cas où, c’est mieux. Cette rhétorique insidieuse donc…

Le 16 octobre, après la re-publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, Samuel Paty est assassiné par un réfugié tchétchéne musulman. Sans vouloir faire des liens qu’on ne peut pas prouver, on constate que les multiples déclarations sécuritaires, les attaques contre les musulmans ont créé un immense incendie. S’en est suivi l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre, faisant encore trois morts. Les sorties médiatiques sont pyromanes. Elles jettent de l’huile sur le feu. Ce que je veux montrer, c’est le poids des mots. Ils peuvent blesser, ils peuvent tuer mais ils ont aussi le pouvoir d’apaiser et d’assainir. C’est un parti pris politique que d’être dans la surenchère sécuritaire. C’est visiblement la voie choisie par le Gouvernement. Peut-être est-ce également dans la perspective secondaire de contenir la colère populaire en la catalysant sur un sujet explosif à même d’éclipser les enjeux sociaux du moment. Car pendant tout ce temps, la réforme des retraites en toujours en discussions.

La réponse sécuritaire est d’autant plus inquiétante que, dans le même temps, le Gouvernement veut limiter la diffusion de photos et de vidéos des forces de l’ordre sur le terrain, ce qui serait une atteinte fondamentale aux libertés publiques. Il y a une dérive autoritaire dans les mots et dans les actes qui doit au minimum nous inquiéter en tant que citoyens.

Et tandis que l’incendie avait pris partout et que certains pays musulmans se mettaient à boycotter des produits français de leurs supermarchés (mais pas chinois, courage aux Ouïghours), Emmanuel Macron s’est téléporté sur Al Jazeera pour s’expliquer et rappeler au monde entier l’importance de la liberté d’expression en France et le droit à la caricature de Charlie Hebdo, attaqué une énième fois pour avoir caricaturé le prophète.

Il y rappelle l’inaliénable liberté d’expression à la française. Il y défend aussi la liberté de Charlie Hebdo à faire usage du blasphème en vertu de la laïcité de la République. Mais à ce stade, je ne commenterai pas davantage le discours du Président. A défaut, je préfère dire quelques mots au sujet du Premier Ministre.

Dans ce discours, Jean Castex parle d’une atteinte à “notre identité et à notre culture”. Ces mêmes mots sont régulièrement employés par l’extrême-droite. C’est la stratégie anxiogène, la rhétorique guerrière qui crée les conditions d’un affrontement fratricide, potentiellement celle d’une guerre civile aux motifs faussement confessionnels. En tout état de cause, il y a cette même volonté d’occuper l’espace sécuritaire car cela donne raison à Marine Le Pen et Emmanuel Macron se présente ensuite comme rempart dans la perspective de la présidentielle de 2022. Dans ce contexte, la volonté pour lui est de capitaliser, non pas sur sa politique sociale qui le rend impopulaire dans la lignée de ses prédécesseurs, mais sur sa capacité à incarner la “résistance” face à un ennemi désigné : l’islam (radical). Et pourtant, n’y a t-il pas un fossé entre les paroles de Jean Castex affirmant qu’il s’agit d’un “ennemi que le Gouvernement de la République combat sans relâche en mobilisant, au quotidien, l’ensemble de ses forces” et les actes des compromissions diplomatiques avec les Etats promouvant l’islam radical ? Sont-ce les prétendus “discours de certains qui s’en font les complices” qui la promeuvent ou bien les réalités économiques, commerciales et politiques de la France vis-à-vis de certains Etats musulmans ?

Cesser les ambivalences avec les pourvoyeurs de l’islamisme radical

Il y a les mots et les actes. Sous couvert de discours guerriers, les compromissions des dirigeants français à l’égard de l’islam politique sont pourtant majeures. Elles dépassent de loin le sujet du steak haché halal au kebab du village. Elles portent les interrogations en matière de diplomatie et de commerce extérieur tout en révélant les ficelles qui lient les Etats et leurs méthodes d’influence. Tandis que Gérald Darmin s’indigne de voir des rayons halal dans les supermarchés (alors même que sa politique néolibérale le favorise in fine), l’islam politique se répand au profit des positions diplomatiques françaises.Ceux qui traitent l’opposition d’islamogauchistes sont les mêmes qui déroulent le tapis rouge aux chefs d’Etats qui offrent un refuge à l’islam radical. C’est par exemple le cas du Qatar. Omniprésent en France, le petit Etat princier a par exemple conquis le champs des médias avec beIN Sports, achète régulièrement des monuments et prend des parts dans des multinationales françaises emblématiques, jusqu’au Paris-Saint-Germain, une véritable vitrine. Rien qu’en 2013, 10 milliards d’euros ont été investis par le fonds souverain de la Qatar Investment Authority dans le capital de Total jusqu’à celui de LVMH en passant par Vente-privee.com. L’ouvrage Qatar Papers, de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, montre ainsi la stratégie délibérée du Qatar pour glaner de l’influence auprès des musulmans français. Ils révèlent ainsi les plans astucieux de l’émirat à travers le programme Al Baith porté par son ONG Qatar Charity. Ils nous apprennent que cette-dernière finance quelques 138 écoles et mosquées en Europe, de la Norvège à l’Italie, en passant par l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suisse, la Belgique, les Balkans et la France. Mais le Qatar n’est pas le seul, puisque l’Arabie Saoudite, qui est une alliée de la France, depuis la formation du royaume de la famille Saoud au XXè siècle, et à l’égard de laquelle elle est pour le moins conciliante, est régulièrement accusée de financer l’islamisme radical. En fait, le Royaume a suivi la même stratégie que le Qatar bien avant lui et a financé des mosquées et des écoles en Europe pour participer à la diffusion du wahhabisme, un courant du salafisme. L’historien britannique Charles Allen estime à 70 milliards de dollars les montants engagés en ce sens par l’Arabie Saoudite depuis 1979. Pire, la France lui vend des armes puisqu’elle est son troisième plus gros fournisseur (4,3% des importations saoudiennes) entre 2015 et 2019 derrière les États-Unis (73%) et le Royaume-Uni (source Amnesty International). Encore une fois ici, il est affaire d’économie et d’intérêts financiers avant tout. C’est le principe du financeur influenceur.

Remettre l’école au milieu du village

Pendant des années, les politiques ont dégradé la condition des enseignants en France, ils ont affaibli leur figure. On se souvient de François Fillon qui avait fustigé l’attitude des enseignants fainéants en 2005.

“Les enseignants qui demandent aux parents d’élèves de ne pas envoyer leurs enfants à l’école le lundi de Pentecôte ne se préoccupent pas de l’intérêt des élèves. Ils n’ont pas envie de travailler le lundi de Pentecôte, il faut dire les choses comme elles sont.”

François Fillon, 2005

Entre temps, des politiques de réduction de postes et des baisses de moyens dans l’éducation ont affecté encore plus la condition des enseignants et les médias ont participé à créer des mythes sur leurs salaires et leurs vacances, tant est si bien que la fracture est consommée : en 2019, 73 % des personnels du second degré ont vu leur santé dégradée par leur travail (enquête du syndicat Snes-FSU). Et pourtant, la réponse aux maux de la société, la fracture sociale, sociétale, les affrontements perpétuels, les inégalités, tous ces sujets prégnants qui éclatent au grand jour trouvent une partie de leur réponse à l’école de la République. Ce « court-termisme » dans les choix politiques met en péril notre propre capacité à faire société à long terme. Car si l’école ne peut pas tout, elle est en tout cas la mieux à même de nous constituer en peuple et en Nation politique et prospère. Désintox déroule l’analyse jusqu’au cri du cœur.