J’aime beaucoup passer du temps dans les cafés de Lisboa. Et c’est justement lors d’un de ces rendez-vous dont je suis tant friand que mon pote d’Osorno me lance sans prévenir que Mastodon allait débarquer en ville.
Pour recentrer un peu les choses, Mastodon, originaire d’Atlanta dans l’État de Géorgie, est une des plus grosses formations metal dans le monde.
Mastodon, même si communément considéré comme un groupe de metal progressif (oui je sais le trop-plein symptomatique d’étiquettes dans la musique c’est chiant mais bon ça reste plus ou moins du metal quoi, ce n’est pas de la variétoche) du fait de la virtuosité de ses membres et de ses compositions complètement barrées, est en réalité beaucoup plus dense que cela.
Injectant entre autres des passages sludgy – pour faire simple, le sludge est un style caractéristique de la scène metal de la Nouvelle Orléans, ça joue une musique bien lourde et crade, le tout associé à des lyrics nihilistes, propre, et plus important encore, ça se drogue dans la bayou pour faire passer le temps, oula oui ça se drogue beaucoup – dans leurs morceaux.
La force du quartet réside dans sa grande diversité musicale. Mastodon joue sur les différentes atmosphères, Mastodon groove, Mastodon peut être heavy, Mastodon peut même être country.
Ce groupe s’avère en fait délivrer une musique extrêmement agressive et expérimentale à base d’harmonies vocales, fort de ses trois chanteurs (Troy Sanders, Brent Hinds et enfin Brann Dailor, mon héros). Le quatrième fanfaron rôdé aux backing vocals comme never n’est autre que Bill Kelliher.
Utilisant un registre vocal plutôt guttural, sans pour autant lorgner du côté du death metal traditionnel cainri, sur les deux premiers albums que sont Remission et Leviathan (respectivement concept albums basés sur les éléments du Feu et de l’Eau avec pour source d’inspiration le roman Moby Dick de Melville sur Leviathan), la formation va de plus en plus évoluer vers quelque chose de mélodique, à savoir un chant beaucoup plus clair qu’auparavant, au cours de ses prochaines sorties. Dès lors, ils continueront sur cette voie.
Ouais les quatre premiers albums du groupes sont chacun des concept albums traitant des quatre éléments parce que pourquoi pas après tout. Ce qui donne donc le Feu avec Remission en 2002, l’Eau avec Leviathan en 2004, la Terre avec Blood Mountain en 2006 et enfin l’Air avec Crack The Skye en 2009. Voilà. Ces quatre albums sont des chefs d’œuvre. On peut même se lancer sur une vieille analogie bien pérave et comparer le sans-faute que constitue ces quatre albums avec la fameuse suite Led Zeppelin I, II, III et IV. Moi je dis on peut alors faisons nous plaisir.
Pour se faire envie, voici le concept derrière l’album Blood Mountain, partiellement expliqué par le bassiste et chanteur Troy Sanders :
Il parle d’escalader une montagne et de diverses choses qui peuvent vous arriver dans les bois, lorsque vous êtes échoué quelque part sur la montagne, dans les bois, et que vous êtes perdu. Vous avez faim, vous commencez à avoir des hallucinations, vous voyez des créatures étranges. Vous êtes chassé. Cet album parle de toute la lutte que cela constitue.
Ce concept prend forme au travers d’une histoire que l’on peut suivre tout au long de l’album avec les lyrics des morceaux. En gros, un gars est à la recherche du Crâne de Cristal (« Crystal Skull », titre bonus, étant le tout dernier morceau), censé se trouver au sommet de cette Bloody Mountain.
Entre nous, Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal est un super film. Harrison Ford je t’aime. Trop de gens chient dessus. À tort.
Enfin bref, le gars veut le Crâne de Cristal histoire de perdre son cerveau reptilien. Noble quête. S’il réussit, il accomplira un pas de plus dans l’évolution biologique des êtres humains. Je ne sais pas toi mais des concept albums comme as, j’en veux à la pelle.
Parmi les créatures étranges dont parle Troy Sanders, on peut croiser la route du Cysquatch. Dans une interview, il le décrit comme un Sasquatch coupé cyclope qui a la faculté de voir l’avenir, « Sasquatch » étant le terme amérindien utilisé pour désigner Bigfoot, la créature légendaire vivant aux Etats-Unis et au Canada. Grâce à son don, la créature aide le personnage principal dans sa quête, l’avertissant des dangers à venir. Pratique.
À l’heure actuelle, comme j’ai pu le dire auparavant, Mastodon est un groupe établi. Les gars sont tête d’affiche dans pratiquement tous les festivals auxquels ils participent. Ce qui a rendu Mastodon à ce point populaire reste la qualité de leurs performances live. Et ils ont appris l’art de la scène aux côtés de maîtres en la matière : fuckin’ Slayer.
En effet, ces derniers ont emmené Mastodon en tournée avec eux à neuf reprises. D’ailleurs, dans une interview vidéo accordée à Loudwire, Troy Sanders, toujours lui, revient sur la chance qu’a eu son groupe à l’époque de tourner avec fuckin’ Slayer, ainsi que la leçon qu’a pu tirer Mastodon de toute cette expérience.
Et puis remémorons nous ce magnifique passage live chez David « Almighty » Letterman le 15 mai 2009 où le groupe, en pleine promotion de leur quatrième album, Crack The Skye, nous claque dans les oreilles un « Oblivion » pas piqué des hannetons. On peut y voir Brann Dailor, le batteur, assurer de véritables parties vocales, prouesse des prouesses quand on connaît un peu le jeu du joyeux luron.
D’ailleurs, restons un petit moment sur ce batteur de génie qu’est Dailor. Possédant un style à nul autre pareil, on peut néanmoins dresser quelques spécificités le concernant. Batteur jazzy et très inspiré par le rock progressif et ses illustres formations comme Genesis, The Lamb Lies Down on Broadway, sorti en 1974, étant un de ses albums favoris. Il y a franchement pire qu’être inspiré par le grand Phil Collins me direz-vous et vous aurez parfaitement raison.
Là aussi, il y a tellement à dire sur cet album qu’est The Lamb…. La voix de Tarzan et de Frère des ours derrière les fûts (oui ces références comptent énormément pour moi), dernier album avec Peter Gabriel parti fricoter pendant les sessions d’enregistrement avec William Friedkin le temps d’une collab’ concernant un projet de musique de film (rien que ça est incroyable, je pourrais presque m’arrêter là) et enfin un concept album fini basé plus ou moins sur le El Topo de Jodorowsky. On est peu de choses hein ?
Mais revenons à Dailor. Ce dernier est aujourd’hui considéré par beaucoup de ses pairs comme un des meilleurs batteurs des temps modernes. Grand virtuose derrière son kit, faisant démonstration de son chaos organisé à qui tendra l’oreille, usant de polyrythmie et de roulements de caisse claire absolument frappadingues, utilisant rarement des méthodes de batterie conventionnelles ou de simples beats rock. Sublimant le tout, il se met donc véritablement à chanter à partir du quatrième album de la formation.
Je mets personnellement un petit billet sur une carrière totalement incroyable pour ce musicien hors-pair du fait d’un succès toujours grandissant de son groupe un peu partout en dessous de la couche d’ozone. Et par là, je ne prétends pas que le groupe O-Zone est au dessus de Mastodon. Calmez-vous.
Et puis, ça vaut ce que ça vaut mais Dave Grohl, ancien Nirvana et actuel Foo Fighters qu’on peut aisément décrire comme un des mecs les plus sympas de l’industrie musicale, a récemment déclaré dans une interview qu’il considérait Brann Dailor comme le meilleur batteur du monde. C’est vraiment gentil de sa part.
En tout cas, il n’en fallait pas moins pour me faire dégainer mon portable manquant de peu d’éborgner mon collègue, ce qui, admettons le cinq secondes, aurait été fort peu amical même si ce n’était pas fait exprès. Après quelques minutes passées sur l’Internet, ma place de concert était prise. Le 17 février 2019, ça serait donc ce jour là qu’aurait lieu la Bagarre. Et puis… dernière date de la tournée, c’est toujours classe.