Pour ce premier sujet du tout nouveau programme qu’est In wino veritas, on va parler du très tenace « bordeaux bashing ».
Le but du jeu étant d’éveiller ta curiosité à propos du vin et de son univers. Comme as, tranquille pépouze, entre ordures de néophytes. Tentant non ?
Je me considère néo-bordelais – mate un peu mon titre d’article – et comme je suis quelqu’un de relativement sensible, je me suis fais la réflexion suivante : le « bordeaux bashing » est gavé injuste. Parce que si on prend le temps de se poser cinq minutes sur le sujet, le vignoble bordelais c’est classe tout de même. Plus grande région viticole de France. Et c’est également la plus connue dans le monde à ce jour. C’est le berceau de vins prestigieux et complexes. Donc avant d’aborder l’alternative à ce problème dans un prochain article, essayons de s’intéresser à ce qu’est fondamentalement le « bordeaux bashing ».
Sévissant depuis une dizaine d’années, cette pratique vise à bouder les vins de Bordeaux, tout simplement. Allez on est bons là, vous pouvez plier les gaules !
Plus sérieusement, les vins de Bordeaux sont considérés comme vieillots et hors de prix dans l’inconscient collectif. Saloperie de clichés, même si on peut évidemment nuancer le propos. La résultante de tout ça, on peut dès lors noter un véritable désamour pour ce vignoble.
Et là, en train de servir une bonne petite Suze on the rocks à ta mamie tout en me lisant sur ton Huawei, tu te dis « ouais mais attends deux minutes gros, le vin c’est chaud, la majeure partie des gens n’y connaisse que dalle, quid des professionnels de ce milieu là ? »
Ce à quoi je te réponds « GG l’ami, t’as pensé aux sommeliers et c’est touchant de ta part mais, là encore, ces derniers sont loin de porter le bordeaux dans leurs petits cœurs de pierre.«
Dans Le Monde des Vins, 35 sommeliers se devaient d’effectuer un choix désignant leur bouteille « coup de cœur » et malheureusement pour nous (les Néo-Bordelais), aucun vin de Bordeaux n’est ressorti de leurs élucubrations.
La côte des bordeaux s’effondre quand celle des bourgognes explose. Pourquoi ? Et bien parce que la Bourgogne c’est une super région viticole déjà où même l’amateur de vin non éclairé peut dénicher quelques bombes atomiques pour pas trop cher. Et c’est à ce moment précis de l’article où tu te rends compte que je n’ai pas du tout répondu à ce « Pourquoi ? » balancé ci-dessus. Parce que ouais la Bourgogne, ça déchire mais pourquoi les vins de Bordeaux subissent un bashing pour autant ?
Parce que les gens désirent autre chose et cela combiné à l’image du bordeaux comme étant un vin totalement inabordable financièrement parlant, les ventes s’effondrent. De plus, on lui associe très souvent un grand potentiel de garde. Ce qui est cool à la base on est d’accord. Le bordeaux vieillit bien. Mais cette caractéristique se retourne finalement contre lui quand on sait que la grande majorité des bouteilles abordables pour le commun des mortels ne se prête pas à une dégustation rapide. Si tu veux acheter un vin de Bordeaux ayant atteint sa plénitude pour ton entrecôte de ce soir, tu vas devoir casquer mon con. En tout cas, dans la grande majorité des cas. Même si celui qui a du temps à consacrer à la chasse à la téteille peut parfaitement dénicher de bonnes grosses pépites bordelaises. Hélas, nous manquons tous de temps.
Pour moi, le « bordeaux bashing », c’est snober le snobisme. C’est insinuer que la classe et la renommée des vins de Bordeaux ne vont pas de pair avec l’authenticité et la grâce inhérentes qui leur est dûs.
Pour palier cela, je me dois d’évoquer les habitudes de consommation des gens. Et c’est là que ça pèche ! En effet, comme évoqué précédemment, les vins de Bordeaux ont un potentiel de garde incroyable et bien souvent, nous les dégustons trop tôt, bien trop jeunes d’où cette impression partiellement faussée qu’ils se ressemblent tous. Beaucoup de professionnels conseillent d’attendre au minimum cinq ans avant de les boire car ce sont pour la plupart des vins qui atteindront leur plénitude et développeront véritablement tous leurs arômes et tout leur potentiel que bien après la date de leur mise en bouteille. Alors je sais, t’as sûrement pas envie de te constituer une cave maintenant mais changer son mode de consommation et son regard sur la manière de consommer en général est, à titre personnel, la clef d’un profond changement au sein de notre société. Ça s’appelle avoir du recul en gros mon gros.
Maintenant, parlons flouze ! Ouais c’est vrai que certaines bouteilles valent à elles seules plus qu’un SMIC. Bonne grosse aberration si tu veux mon avis. En effet, une forte hausse des prix a été observée entre 2005 et 2010 pour les Grands Crus (2008 étant une année particulièrement néfaste pour l’amateur de vin ne payant pas encore l’ISF). De manière générale, on estime qu’une hausse de 700% s’est produite sur le prix des bordeaux entre 1986 et 2012. Ce faisant (qui passait par là), on ne peut guère en vouloir à celui qui estime qu’un vin de Bordeaux n’est pas à la portée de son porte-monnaie.
Ce changement brutal (on parle tout de même de 700 de putain de pourcent) s’explique par le fait que le négoce bordelais, à partir de 2008, s’est rapidement tourné vers le marché chinois ce qui a tiré les prix vers le haut, les Chinois raffolant des vins de Bordeaux, la demande n’en était que plus forte. De toute manière, pour la plupart des étrangers, il n’y a que le bordeaux qui compte en France.
Car retiens bien une chose, le bordeaux plaît toujours à une clientèle étrangère et si la France a choisi de se concentrer sur le marché chinois, l’image du vignoble bordelais s’est vu ternir au fil des années outre-atlantique. On peut clairement dire qu’un abandon quasi total a été opéré aux États-Unis par le négoce bordelais, impactant directement l’image même du vin chez les Cainris (moins de bordeaux et parmi ceux restant, pas les meilleurs, tu m’étonnes que ça n’a plus la côte chez eux). C’est simple, de 2008 à 2013, les Bordelais ont été absents du marché U.S. et cela à suffit à ruiner la réputation du vin en question, réputation pourtant plus que centenaire. L’objectif aujourd’hui, pour les professionnels en activité aux États-Unis, étant de reconquérir les anciens et d’éduquer les jeunes pour les ramener en douceur et avec préoccupation vers le vignoble bordelais : trouver des vins moins chers avec une image à la connotation moins négative. Trouver de nouveaux domaines quoi.
Le connaisseur, lui, veut être surpris (ce qui ne veut pas dire que le Chinois et le quidam lambda ne veulent pas l’être hein) et se tourne donc vers des appellations moins formatées, moins prestigieuses avec un volume de production revu à la baisse car le vignoble bordelais c’est pas moins de 700 millions de téteilles de sorti chaque année. Les vins originaires du plus vaste vignoble de France sont identifiables de par la richesse de goûts et de styles différents qu’ils procurent. Il y a du tannique et du pas tannique, du boisé et du pas boisé, du fin et du moins fin, du plus fruité et du moins fruité, de l’équilibré, bref, tu vois le genre.
Le bordeaux est donc, à l’heure actuelle, de moins en moins présent sur nos tables et sur la carte des vins de bons nombres de restaurateurs, même sur Bordeaux.
Nicolas Martin, alors directeur de l’office de tourisme de la ville de décembre 2012 à octobre 2018, avait publié un manifeste lorsqu’il était encore en fonction où il s’alarmait de cet état de fait : mais bordel, pourquoi les restaurants bordelais ne proposent pas de vins de Bordeaux ?
M. Martin a le droit, je pense, de constater publiquement en sa qualité de directeur de l’office de tourisme que près de 20% des restaurants bordelais ne servent absolument pas de vins locaux dans leurs établissements et que ça n’est pas normal pour des restaurateurs s’enorgueillissant de pratiquer une cuisine riche de produits locaux et préférant proposer des vins étrangers à leurs clients, origines sûrement plus branchouilles, comme l’Australie, l’Afrique du Sud ou l’Amérique du Sud, entre autres. Il y a une sorte de distorsion entre les supposées véritables intentions des restaurateurs, à savoir pratiquer une cuisine locale et leur attitude vis à vis des vins de Bordeaux. Certains Bordelais ne pratiqueraient-ils pas le « bordeaux bashing » ? Pompon sur la Garonne !
L’ancien directeur de l’office de tourisme assume qu’un véritable effort doit se faire ressentir pour sauvegarder le patrimoine viticole bordelais, tout en précisant qu’il ne « demande pas aux restaurateurs de ne servir que du bordeaux ». Mais, « quand on est à Bordeaux, on se doit de proposer un minimum de vin local. Pourquoi faire venir du vin de Nouvelle-Zélande en avion, alors qu’on en produit ici ? Il y a des enjeux écologiques et économiques derrière cette démarche. »
Le CIVB (Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux) partage également ses conclusions en la matière par le biais d’un de ses représentants en la personne de Christophe Chateau : « s’interdire de faire du vin local dans la plus grande région viticole au monde, il faut que l’on m’explique quel est l’intérêt ? ». Considérant qu’un restaurant à Bordeaux devrait proposer « au minimum 50% de bordeaux ».
Bon après, le CIVB prêche surtout pour sa paroisse, on ne va pas se mentir.
Bref, maintenant tu le sais, le bordeaux, ça reste une référence mondiale et si les Grands Crus, onéreux à souhait représentent 3%, dis toi bien qu’il te reste encore 97% pour te faire plaisir ! Comme tu peux le voir dans le milieu du vin, la vie n’est pas toujours rosé.
Allez…*hips* salut !