Médias et communication sont intimement liés. Et pas que par nécessité économique (oui, il faut bien vendre de la pub et pour ça, il faut tenir l’audience en haleine, TV, radio ou presse papier, même combat). L’idée dans cette chronique est de montrer comment les médias établissent une norme et comment ils usent du langage pour parvenir à leurs fins. En somme, Désintox veut vous faire la démonstration que les médias parviennent à transformer des partis pris, des opinions en normes qui font donc force de loi dans nos esprits. La performativité du langage politico-médiatique a ainsi ceci de spécial que la redondance des mots qui désignent des idées engendre la réalité puisque la réalité, dans les médias, est toujours perçue à travers les mots qu’on emploie pour la désigner : ils forment un filtre. Et nous allons voir que cette norme est autant médiatique que politique puisqu’elle a les mêmes assises idéologiques. Levons le voile (de façon politiquement incorrecte si vous le voulez bien).
Les mots, leur sens et leur déformation
En communication, il y a deux choses : les mots d’un côté, et de l’autre ce qu’ils suggèrent, comment ils sont connotés. Cela, les médias en abusent à souhait et contrairement à ce qu’on imagine, c’est pensé et même voulu. Par exemple, l’idée que rigueur rime avec austérité. Ces deux notions sont systématiquement associées et de façon automatique que ce soit par les éditorialistes ou par les économistes. Et à force, sans que jamais cette association ne soit montrée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une posture politique et pas un fait mesurable, elle est devenue une norme qui sert de référence dans tout raisonnement, dans tout reportage et même dans tout débat politique. Pourtant, la rigueur, c’est simplement « le caractère, la manière d’agir de quelqu’un qui se montre sévère et inflexible » selon le Larousse. Appliqué à la politique, c’est simplement une méthode qui consiste à être très attentif et rationnel dans la gestion de la chose publique. Mais rien ne dit qu’il s’agit de rentrer dans l’austérité sinon les mêmes protagonistes qui le répètent à longueur de journée sur les plateaux et qui associent les deux notions. Tant et si bien que la définition de « rigueur » admet désormais une définition économique qui précise qu’il s’agit d’une « politique économique, budgétaire, monétaire tendant à rétablir un équilibre momentanément perturbé » (Larousse). On fait passer l’incompétence extrême des hommes (et des femmes, c’est inclusif) politiques pour une tentative de rétablir les comptes publics, alors on cherche à mettre dans les consciences que l’austérité va de soi, parce que la « rigueur » s’impose. Ce n’est ni un constat, ni une évidence, encore moins une obligation politique : disons-le, c’est un choix politique mais le langage politico-médiatique le camoufle en vérité générale et passage obligé.
Le problème est, cela dit, très cuisant. Les journalistes, pour l’essentiel, sont de bonne foi. Malheureusement, je crains que certains soient fassent simplement preuve de bêtise. Le système nous formate puis nous enferme. On répète des choses à longueur de journées, tout ceci devient des logiciels qui servent à penser. Et donc on pense « mal », en tout cas de façon biaisée. Comment peut-on réellement débattre et discuter des choses politiques lorsqu’un point de vue se transforme en norme ? De ce fait, le choix de l’austérité, parce que c’en est un, apparaît comme évident, même pour ses pires détracteurs, parce qu’il ne nous a pas seulement été imposé politiquement (encore que les gens au pouvoir y sont arrivé démocratiquement), il a aussi été infusé dans notre esprit comme une évidence, une obligation, un passage obligé, indiscutable. Dans cette configuration, les anticapitalistes servent d’« idiots utiles » ; tout est fait pour les marginaliser et les faire passer pour des fous. Et alors, les gens « raisonnables », ceux qui sont dans le « réel », les « pragmatiques » comme Christophe Castaner nous l’explique, les mêmes qui défendent l’austérité, semblent plus au fait. Après tout, on se dit qu’ils doivent avoir raison et que c’est le mieux à faire. Cette propension à associer tout ce qui ne va pas dans le sens des politiques considérées comme la « norme », le « consensus » ou pire, le « réel » (comme si seules ces politiques étaient réalistes) dans la continuité de Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron, comme des extrêmes dangereux ou alors de doux rêveurs est flagrante. De là découle un objectif, au-delà de l’uniformisation des consciences pour encourager la société de consommation encore et toujours, celui d’établir des normes posées comme vérités absolues et fondamentales dans un quelconque raisonnement dans les consciences de manière subliminale. On suggère que tout ceci est évident, qu’il n’y a aucun doute à ce sujet alors que tout est question de choix (sauf si on discute avec Morpheus de Matrix). En revenant aux définitions et au sens des mots dans le dictionnaire, on remarque là encore des petites astuces politico-médiatiques. Ainsi, les médias entretiennent notamment le flou entre les mots « client » et « usager ». Et cet exemple est très évocateur des partis pris éditoriaux. Par exemple, TF1, généralement classé à droite, emploie le mot « clients » pour désigner les voyageurs de la SNCF lorsque France 2 (également un service public) emploie le terme « usagers ». Ça n’a l’air de rien, mais ça en dit long sur la perspective dans laquelle se place TF1. En plus d’être fautif dans la mesure où la SNCF fournit un service public, il entérine l’idée politique qu’elle est déjà ouverte à la concurrence, ou pire, qu’elle est déjà privatisée pour reprendre les explications de Clément Viktorovitch. Il y a donc, comme il l’explique, « un art de la suggestion subliminale ».
Il y a encore pire. Avant, dans les principaux médias, les pauvres étaient des victimes. Maintenant, le discours politico-médiatique tend à les présenter comme des coupables en alimentant la rhétorique sur leur propre responsabilité dans leur pauvreté. L’idée d’« assistanat » est régulièrement reprise et corroborée d’exemples sur la multiplicité des aides sociales. Là, les médias relaient l’argumentaire d’un Etat qui, à défaut de responsabiliser les individus sur leur propre condition (ce qui passe par l’éducation, le sport et la culture), préfère se dédouaner et les laisser dans la misère en les implorant de se remuer. Tout cela témoigne d’un basculement idéologique opéré avec la complicité des médias depuis une dizaine d’années. D’une certaine façon, ce renoncement à exiger la justice sociale est un peu amplifié par les médias qui n’ont de cesse que de créer de la peur et de l’égoïsme lorsque les populations sont plutôt enclines à faire acte de solidarité (les Gilets Jaunes ont un noyau social très fort à leur base et en plus ils font des barbecues même en hiver).
Les médias jouent donc à la performativité de leurs partis pris éditoriaux. Par exemple, quand un média titre : « Telle chose fait polémique », la polémique, si elle préexiste peut-être en un sens, ne naît réellement qu’en raison de l’existence précise d’un article la précipitant comme une réalité de l’espace public à un moment T. En résumé, le média en question ne fait pas tant informer au sujet de la polémique que la créer lui-même, alimentant par-là lui-même le flot d’informations qu’il a à traiter : c’est la création d’un espace médiatique qui invente lui-même ses sujets. De sorte que le langage, qui cache des choix éditoriaux, contribue à modeler la réalité médiatique qui ne fait qu’un avec la réalité publique : les deux se confondent et les médias dictent eux-mêmes la réalité qu’ils nous donnent à voir avant de calquer les analyses qu’ils veulent bien nous en livrer. Il n’y a plus rien d’autre qu’une réalité constituée de normes dont nous n’avons pas conscience, injectées dans nos esprits par la force de la répétition, par l’action subliminale des mass medias, et, enfin, dans son sens théorique, par la propagande exercée par les médias qui participent de la manipulation de l’opinion publique dont ils contribuent à forger la pensée.
Adoucir le capitalisme par le langage
C’est la prophétie de 1984 : on a supprimé les mots négatifs du capitalisme pour les remplacer par des mots positifs, donc on ne peut plus nommer, et donc penser négativement le capitalisme. On n’est donc plus en démocratie car penser c’est encore le seul acte de liberté qu’on possède, et si les mots pour penser n’existent plus, alors on vole la liberté des individus d’être en désaccord. C’est l’extension de la théorie de l’opinion dominante et de l’opinion majoritaire. Par exemple, le jargon capitaliste transforme un « plan de licenciement » en « plan de sauvegarde de l’emploi ». C’est la même chose, mais dans le second cas, c’est positif et il devient difficile, sinon impossible d’y être hostile. Vous êtes contre un plan de sauvegarde de l’emploi, vous ? Le langage, dans tout ce qu’il a de plus subliminal, parvient à faire du capitalisme une chose essentiellement bonne. Tout ceci est lié à la performativité du langage ; ce qui est dit devient pensé, et à force de le répéter, devient une évidence même pour ceux qui ne partagent pas cela. Même si nous avons un esprit critique contre le capitalisme, nous ne pouvons que penser, au fond de nous-même, que le capitalisme est moins violent que le communisme par exemple, parce que les systèmes de désignation font que le capitalisme est critiquable et imparfait, mais en aucun cas un système condamnable dans son entièreté dans la mesure où il serait compatible avec la démocratie. D’ailleurs, qu’est-ce qui nous permet aujourd’hui de dire qu’on est en démocratie sinon le fait que le langage utilisé performe cette idée et l’inscrit, par les mots, dans le réel que nous éprouvons ?
Le capitalisme est parvenu à établir son système en guise de norme, en tout cas de référentiel si bien qu’il est presque impossible de penser en dehors de celui-ci parce que les mots pour penser hors du capitalisme n’existent pas ou plus, ce vocabulaire-là a été éradiqué. En éradiquant ce vocabulaire, on a éradiqué les moyens de s’opposer de manière argumentée. Le problème est donc bien que la norme que nous considérons comme telle est devenue globale et que, se faisant, elle est devenue le fameux « monde du réel » qui s’oppose donc au « monde du rêve » (« la gauche du réel » de Manuel Valls, « la gauche du rêve » de Benoit Hamon par exemple). En apparence, il y a donc la réalité (le système capitaliste) et la fiction (tout le reste), mais tout ceci n’est en fait qu’un parti pris politique qui ne se discute plus, qui est devenue la norme et qui sert de support de pensée à tout ce qui fait référence. Et si on pousse le raisonnement plus loin, on s’aperçoit que tous les anticapitalistes sont des leurres pour justifier que le capitalisme est encore le meilleur modèle qui soit. Au fond, qui voudrait que Philippe Poutou devienne Président de la République ? Et qui prendrait le risque que la France soit migrée au Venezuela, hein ?
Le capitalisme est devenu la norme, on l’a essentialisé, ce qui l’a établi comme une constituante à part entière du « réel » de notre société, notre « matrice » pour reprendre la métaphore de Matrix. Et en ce sens, je dirais que Matrix présente aussi un monde normé de façon anarchique (au sens d’autoritaire) qui ne constitue en rien un réel dans l’absolu, sinon dans les consciences de ceux qui y vivent et ne cherchent pas (mais ils ne peuvent pas chercher, ceci est impossible) à en sortir. En conclusion, tout ceci participe de notre propre conscience politique d’une norme que l’on considère comme absolue et allant de soi alors qu’il est précisément question de choix politiques et de conceptions qui doivent ouvrir à de potentiels (et nécessaires) désaccords et contestations. En s’établissant comme norme, le capitalisme éradique toute opposition crédible en renvoyant ses adversaires à de doux rêveurs et réduisant leurs alternatives politiques à autant d’impossibilités, tout en les maintenant en vie pour apparaître plus rationnel.
Les médias, infuseurs de consciences
Le système médiatique a longtemps cessé, dans son ensemble, de chercher à aiguiser l’esprit critique des citoyens. Y a t-il seulement intérêt ? Là encore, j’en reviens aux intérêts des médias qui demeurent de générer des revenus. Et pour cela, les méthodes ne sont pas toujours très catholiques (sauf pour La Vie). Le buzz est encore ce qui permet aux médias de générer le plus de recettes. Les gens en sont friands. Et ce système devient pervers, car, dès lors, les médias ne vont pas chercher à aiguiser l’esprit critique des individus, mais leur vendre ce qu’ils ont envie de consommer : du clash, de l’angoisse, etc. Nous sommes complices de ce système. Alors, la conséquence est bien triste : nous devenons des consommateurs à qui il faut vendre de la publicité. La qualité passe après, et tout est fait pour nous endormir. Mais nous, nous ferons tout pour vous réveiller. Le nouveau slogan de Désintox.