Dans un an et demi, nous connaitrons le prochain locataire de l’Elysée. Mais les sondages prétendent déjà connaître le résultat. Fond de commerce mal placé ou vraie volonté de peser sur les consciences ? Désintox sonde la question.
Et pourtant, les sondages sont factices
Il ne faudrait pas oublier de le dire : les sondages n’ont aucune réalité tangible. Ils sont factices et n’ont aucune prise sur l’élection, laquelle se joue par le vote, concret, effectif, réel des Français le jour venu. Mais par leur influence médiatique considérable, ils deviennent parfois performatifs, contribuant à orienter le choix des électeurs, manipulant les opinions, jouant sur la corde sensible et poussant au “vote utile”. Le vote a été rendu anonyme pour que chacun puisse voter en âme et conscience pour le candidat de son choix et qu’aucun élément extérieur n’influence les choix des électeurs. Les sondages ont aboli cette dimension du moment qu’ils donnent des indications de résultats possibles (encore que forcément factices) aux Français avant même qu’ils ne se rendent aux urnes. Ainsi, annoncer un candidat avec un score en “dynamique favorable” (ce qui là encore ne veut rien dire car le vote n’a pas encore eu lieu) contribue à encourager ceux qui hésitent à voter pour lui le jour venu ou, au contraire, les encourage à changer leur vote de cœur pour lui faire barrage. C’est précisément le scénario qui s’est joué en 2017. Une large part de la gauche, acquise plutôt à Benoît Hamon voire à Jean-Luc Mélenchon, a voté Emmanuel Macron pour ne pas avoir à choisir, au second tour, entre François Fillon et Marine Le Pen. Sans les sondages, auraient-ils fait le même choix ? Quand on connaît l’issue et le score de Jean-Luc Mélenchon passé à quelques centaines de milliers de voix du second tour, on peut en douter.
Les sondages dévoient la démocratie car ils nous incitent à trahir notre choix initial pour lui préférer un vote stratégique. Et puisque chacun les scrute attentivement, ils ont une influence majeure et souvent déterminante dans les résultats des urnes. Ils nous disent, avant le résultat, non pas qui peut gagner mais qui doit gagner.
Le tapis rouge pour Marine Le Pen
Comme à chaque sondage, la candidate d’extrême-droite est désormais en tête, annoncée largement devant ses concurrents directs. Pourtant, le chiffre en lui-même ne veut rien dire. Le sondage Ifop-Fiducial des 18-19 juin derniers la donnait déjà à 28%, au coude-à-coude avec Emmanuel Macron, le scénario rêvé pour la machine médiatique. Lors du dernier en date, réalisé par Ifop-Fiducial là encore, elle oscille entre 24% et 27% en fonction du scénario envisagé. Quoi qu’il arrive, elle semble déjà qualifiée pour le second tour de la présidentielle de 2022. Et c’est là tout le problème : en écrivant, à l’avance, le scénario même fictif d’une élection à venir, les médias détournent les citoyens des propositions et des enjeux politiques pour les conduire dans l’arène du spectacle politico-médiatique dans laquelle Marine Le Pen est un peu le Rocky Balboa du pauvre.
Un obstacle à la démocratie : la dictature du vote utile
Dans ce scénario où Marine le Pen est dangereuse, c’est toujours le vote utile qui l’emporte. Du moins, tant que les Français accepteront de jouer à ce jeu-là. Le mieux placé dans les sondages, Emmanuel Macron, en tire profit. Désormais, il est présenté comme le mieux armé pour barrer la route de l’Elysée à la candidate du Rassemblement National. Ceci n’est qu’une façon de voir les choses. Encore une fois, il n’y a aucune implication tangible derrière les sondages puisque le futur ne s’écrit pas avant et seules les urnes disent ce qui est. En montant ainsi Emmanuel Macron, les médias lui donnent du crédit sans s’intéresser aux propositions, au bilan et aux implications politiques : si Marine Le Pen est si forte (si on s’en tient aux sondages bien sûr), quelle est la part de la responsabilité d’Emmanuel Macron et de sa politique néolibérale dans cette montée en puissance ?
Le mythe d’une candidature commune à gauche
Dans tous ces sondages, on retrouve sans cesse l’hypothèse d’une candidature commune à gauche. Ce scénario est purement médiatique. En coulisses, il ne fait peu de doutes quant aux intentions de Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon d’y aller coûte que coûte. Et d’ailleurs, si les deux cités sont assurément d’accord en tous points en matière d’écologie, il est bien évident qu’il ne sont pas sur la même longueur d’ondes en matière de social et surtout sur la question européenne. En ce sens, difficile d’imaginer les deux ex candidats à la présidentielle de 2017 se retirer au profit de l’autre. Malgré tout, les médias continuent de distiller les sondages avec un candidat commun. Tantôt Jean-Luc Mélenchon, tantôt Yannick Jadot, tantôt Olivier Faure, ceci a un effet dans le grand chelem médiatique : éliminer d’avance les candidatures de gauche pour la finale de 2022 qui devra au moins compter Marine Le Pen. En effet, à force d’insinuer qu’un candidat de gauche n’a pas ses chances en 2022 si toute la gauche ne le soutient pas, les médias parviennent à convaincre que cela ne vaut pas la peine de voter pour eux s’ils sont divisés. Résultat, le vote utile se met en place et c’est Emmanuel Macron qui en tire profit. Pourtant, en 2017, Jean-Luc Mélenchon avait écrasé la concurrence alors que les premiers sondages ne lui donnaient même pas 10%. Et à l’heure où l’on parle, il est déjà crédité de 10 à 15%, et c’est même lui qui est le mieux placé, d’après ces mêmes sondages, pour porter la candidature commune : pour quel résultat ?
EELV surcoté
Dans ce flou actuel, Europe Ecologie les Verts tente de surfer sur sa bonne dynamique. Après avoir gagné les élections européennes puis les municipales dans de nombreuses villes de premier plan (Bordeaux, Marseille, Lyon, Grenoble, etc.), les Verts aspirent enfin à accéder à la fonction suprême pensant disposer d’un bonne cote auprès des Français. Mais ce serait se tromper de constat : ce n’est pas EELV qui a convaincu, c’est l’écologie qui perce. C’est d’ailleurs une bonne nouvelle, y compris pour EELV. Ce n’est pas la première fois que l’écologie est proche de gagner. A la dernière présidentielle, elle avait fait un joli score. Et en 2017, le candidat écolo qui a le mieux réussi s’appelait… Jean-Luc Mélenchon. Lors des dernières élections, EELV a bénéficié du mot écologie dans son nom de parti et d’alliances gagnantes avec les forces vives de la gauche plurielle. Mais on sait qu’une présidentielle ne se gagne pas là-dessus. Il faut une figure de proue, une personnalité charismatique, un leader engageant. Yannick Jadot n’a jamais réussi à être celui-ci. Pourtant, il multiplie les éléments de langage et les sorties médiatiques. D’ailleurs, son discours sur l’écologie est plutôt convaincant. Mais sans remise en cause profonde du système, des institutions et de l’Union européenne dans son fonctionnement actuel, il devient inaudible et stagne dans les sondages. Parviendra-t-il à convaincre ? Les sondages vont-ils se montrer favorables ? Mais surtout, seront-ils fiables au point d’anticiper les surprises à venir ? Désintox doute méthodiquement des chiffres diseurs de bonne aventure.