Conséquence inévitable d’un discours dominant contradictoire et incohérent, le scepticisme s’observe partout où des femmes et des hommes sont abandonnés à l’opinion, sur les réseaux sociaux de façon plus remarquable encore. Mais quelles sont les causes de ce doute irrationnel ?

Du mensonge gouvernemental à la défiance populaire : aux origines du scepticisme systématique

Dans la cacophonie ambiante, l’État a toute sa responsabilité. Si les Français n’ont plus confiance en la parole officielle, c’est parce qu’on leur a déjà menti, et pas seulement une fois. Si le fameux nuage de Tchernobyl arrêté à la frontière par un anticyclone a fait date dans l’histoire de la manipulation politique, ces-derniers temps, le Gouvernement En Marche a fait aussi fort. Cette défiance qui se transforme en refus de croire en la parole officielle est rampante depuis le début de la crise du coronavirus. Tout a débuté lorsque le Gouvernement a fortement déconseillé le port du masque dans un premier temps.

Rétropédalage quelques semaines plus tard, le voici vivement conseillé puis obligatoire. Comment ne pas douter de la parole officielle de l’État après cela ?

Ici, il faut pourtant comprendre le motif politique car les décisions concernant la crise sanitaire sont avant tout politiques. Par exemple, le confinement visait à maîtriser l’épidémie pour ne pas saturer les hôpitaux. En ce sens, je crois, comme souvent, que le complotisme part d’une intuition plutôt bonne mais totalement dévoyée à l’épreuve de la logique par manque de culture générale et de sens critique. Ainsi, les complotistes ne saisissent pas les enjeux éminemment politiques, que l’on parle de gestion de la crise sanitaire, de coûts, d’enjeux économiques, ou plus simplement de communication et d’image à l’international. Le masque ne revêt que des enjeux politico-sanitaires mais assurément aucun complot. Le port du masque est une façon de maîtriser la propagation du virus, nul besoin d’avoir fait beaucoup d’études pour le comprendre. En revanche, il faut beaucoup de cran et de mauvaise foi pour penser le contraire, surtout quand on n’est pas épidémiologiste.

Des médias responsables du scepticisme

Les médias constituent l’incubateur de cette défiance car ils se sont éloignés de leur mission première : informer. Ils sont censés élever le débat, trier l’essentiel, éduquer, sensibiliser, donner à penser, aider les citoyens à construire leur esprit critique. Ils sont devenus un réceptacle de théories fantaisistes avancées par des pseudos experts en tout et surtout en rien, un conglomérat d’opinions tendancieuses d’éditorialistes bornés et un bouillon d’inculture. Cette infobésité drastique qui privilégie la quantité au détriment de la qualité donne du crédit aux sceptiques car les thèses avancées un jour sont contestées le surlendemain par les mêmes journalistes qui pensaient donner un scoop à une audience pourtant blasée par les sensations fortes. 

Alors, bien sûr, il serait formidable de prendre le sujet sans aller plus loin et en conclure que, le scepticisme étant une bonne chose, les citoyens font montre d’un grand sens critique. Seulement, il ne faudrait pas confondre scepticisme et biais précisément. Et en tout état de cause, il est bien affaire de complotisme.

Du complotisme à peine masqué

Car, on peut le dire, les antimasques sont souvent des antivax masqués (on a exploité le jeu de mots), ces dangereux criminels qui font courir des risques pas seulement à eux-mêmes mais à tous les autres en prenant le loisir d’avoir un avis sur un domaine pour lequel ils n’ont absolument aucune compétence : la science. Et c’est bien au grand dam des médias, lesquels deviennent un PMU où chacun croit bon de donner son opinion même quand le sujet appelle au moins des connaissances si ce n’est des compétences. 

Comme d’habitude, je ne vous infligerai pas la torture de vous lister les théories complotistes les plus absurdes. Vous en avez tous lu, chacun a soupiré, roulé les yeux, s’est ouvert les veines, clashé son collègue de boulot. Non, pas d’inquiétude. C’est l’été, il fait chaud, vous avez des envies de baignade et de rosé (à consommer avec modération sur In Wino Veritas) et vous avez franchement autre chose à lire. Mais vous voyez de quoi je parle. Je pense à ces théories faussement solides qui présentent le masque comme un exercice d’asservissement mondial pour attester de la docilité des peuples, à celles qui établissent un lien hautement peu convaincant entre le port du masque et la 5G, à celles plus recevables toutefois qui évoquent un impératif économique, ou à celles, enfin, qui réussissent l’exploit de n’avoir aucun sens quand on sait la crise économique qui s’amorce.

Renverser la rhétorique des antimasques à l’épreuve des biais

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Même si l’humour est un bon moyen de tourner en ridicule l’argumentation stérile des anti-masques, il ne suffit malheureusement pas à le décrédibiliser. Ceci s’explique par une raison simple : celui qui croit en quelque chose, y croit jusqu’au bout et cherchera tous les motifs qui se présenteront à lui pour confirmer sa croyance. C’est un biais cognitif appelé le biais de confirmation. Par conséquent, ce biais est très dangereux : l’interprétation biaisée de nos expériences auto-confirme les croyance que nous avions à leur sujet. C’est un cercle vicieux particulièrement néfaste à l’époque du tout médiatique.

On pourrait aussi parler du biais de croyance. Ce dernier nous conduit à juger la cohérence d’un argument à l’aune de la croyance en la vérité (ou la fausseté) de sa conclusion. Pour les antimasques, le raisonnement est souvent envahi d’incohérences, mais ils ferment les yeux sur ces dernières. Ils feront facilement l’impasse sur une erreur de raisonnement du moment que la conclusion corroborera leur croyance de départ.

Je ne peux m’empêcher de penser que l’un des biais les plus manifestes est la pensée de groupe, ou du moins l’illusion de la pensée à contre-courant. Vous les voyez souvent passer, les messages “bande de moutons” pullulent partout où le niveau de QI ne dépasse pas le niveau de la mer. Ils montrent de quelle façon ceux qui professent ces critiques sont intimement persuadés d’être sortis de l’opinion dominante pour aller vers ce qui est interdit de penser, vers la vérité que l’on nous cache. Je crois, au contraire, que c’est une manifestation de la pensée de groupe. Ces gens là se confortent, entre eux, sans argument aucun, avec beaucoup de biais et de contre-vérités au contraire, dans un complotisme naissant voire franchement avancé. Sur internet, cela entraîne le biais de conformité, cette tendance à penser (voire agir) comme les autres. Les autres, ce sont ceux qui sont médiatiquement les plus visibles, or les complotistes sont toujours très actifs sur les réseaux car ils ressentent le besoin d’alerter les autres, de crier la vérité au monde entier.

D’ailleurs, la plupart des antimasques sont aussi des antivax confirmés. Aucun mérite là-dedans bien sûr, mais un lien pour le moins intéressant : l’effet d’amalgame, appelé aussi l’illusion de corrélation, donne à voir une relation illusoire ou très largement surestimée entre deux événements. C’est ce qui conduit ces mêmes individus à associer le port du masque obligatoire au futur vaccin alors qu’il n’existe absolument aucun lien logique, rationnel, de cause à effet, entre les deux car ils répondent chacun à une logique sanitaire différente (maîtrise des contagions et ralentissement de l’épidémie pour le premier, immunisation des individus pour l’autre). 

Mais alors que vous vous empressez de finir cet article avant d’aller vous baigner, n’oubliez jamais qu’avoir un avis se mérite et l’exprimer aux autres incombe une lourde responsabilité : celle d’être écouté puis repris. Et dans ces temps où la défiance s’installe comme un parasite et où personne ne sait plus qui croire, Désintox devient la belle étoile pour éviter de se faire biaiser.