Pour commencer, presque 25 ans d’existence pour la Dub Inc, qu’est-ce que l’on retient de toutes ces années ?
Komlan : Une sacré histoire collective. 25 ans c’est une vraie histoire de famille qu’on vit ensemble. D’avoir traversé ces 25 ans avec une équipe soudée comme ça, c’est vraiment le premier point à retirer de notre longévité.
Zigo : Je pense surtout qu’on ne les a pas vus passer. Pour nous c’est comme si on avait commencé hier.
Quel est le secret d’une telle longévité pour un groupe ?
Komlan : Je vais redire la même chose, c’est le collectif vraiment ! C’est de réussir à travailler ensemble, c’est de réussir à s’entendre. Notre vrai tour de force c’est qu’après 25 ans on arrive encore à discuter, encore à faire des projets ensemble, à voyager loin ensemble, dans des projets pas toujours faciles et de porter tout ça ensemble.
Zigo : On essaye aussi souvent de sortir de notre zone de confort. Quand on part à l’étranger, on remet toujours tout en question parce qu’on part dans des endroits où on n’est pas connu, où il faut aller chercher le public comme on l’a fait en France, par la petite porte. Commencer par des petites scènes, essayer d’attraper les gens. C’est ce qui nous plait et c’est ce qui fait qu’on ne s’ennuie pas. On n’est pas tout le temps dans des salles où tout est simple.
Komlan : On se met des challenges très régulièrement.
«les libertés qu’on a dans nos tournées, dans nos propos, sur nos albums, elles ne seraient pas possible sans cette indépendance»
En parlant de force de votre groupe, il y a cette indépendance qui semble pourtant de plus en plus rare dans le monde de la musique…
Komlan : Je ne sais pas si c’est plus rare, c’est différent. En tout cas c’est sûr que notre formule à nous, aussi longue, 100% indépendant ce n’est pas très courant. En tout cas pour nous, ça fait partie de l’ADN du groupe. On ne s’est jamais posé la question de savoir si on voulait signer quelque part. On a appris la musique comme ça, on la continue comme ça et les libertés qu’on a dans nos tournées, dans nos propos, sur nos albums, elles ne seraient pas possible sans cette indépendance-là. C’est non seulement une fierté, c’est aussi une vraie volonté militante de faire notre travail et c’est une liberté qui est inaccessible pour un groupe qui serait signé.
Zigo : Maintenant, ce n’est pas rare les artistes indépendants parce que le business de la musique a muté quand le digital est rentré et est devenu principal. Naturellement, beaucoup d’artistes sont devenus indépendants. Nous, ce n’était pas un choix, on a juste appris les choses comme ça. Ce n’est pas un choix de business, c’est juste qu’on n’avait pas d’autres choix. À cette époque-là, tous les artistes signaient en maison de disque et on faisait que comme ça. Nous, on n’a même pas eu besoin de se poser la question, on s’est organisé et voilà. C’est peut-être une des clés aussi du fait qu’on soit ensemble encore maintenant.
Vous arrivez avec un nouvel opus « Futur », qu’avez-vous voulu raconter dans celui-ci ?
Zigo : C’est un album comme tous les autres où on parle de tolérance, où on parle de société.
Komlan : Ce qu’il y a de différent c’est qu’on l’a fait pendant les confinements, pendant le Covid. C’est un album dans lequel on ne s’est pas inspiré de la même manière. Comme le dit Zigo, c’est un album où des sujets reviennent mais il y avait l’enfermement, on ne se voyait qu’entre-nous, on ne voyait que peu de gens, alors que nous on a quand même un métier où on rencontre du monde en permanence, où on rencontre le public. Là on s’est vu qu’entre-nous, il fallait aller chercher l’inspiration dans des choses plus introspectives. Je pense que c’est un album qui est aussi marqué par ça. Il s’appelle « Futur » pour ça, on s’est rendu compte une fois qu’on avait fini de le composer, qu’il y avait beaucoup de références au temps. Je pense que pendant cette période-là, on se demandait tous de quoi serait fait demain, on parlait beaucoup du monde d’avant, peut-être du monde d’après. Bon, le monde d’après est peut-être pire que le monde d’avant mais cet album est sous cette époque-là.
Zigo : Ce soir on ne joue pas tout l’album (samedi 1er juillet 2023 au Festival Aluna, ndlr). Pour nous c’est super dur après 25 ans de pouvoir greffer des nouveaux morceaux parce qu’il y a plein de morceaux qu’on est obligé de jouer sur scène et qu’on n’a pas envie de lâcher. Des soirs comme ce soir, on joue combien de temps ? (En s’adressant à Komlan, ndlr).
Komlan : 75 minutes mais je crois qu’on joue quasiment un morceau sur chaque album, sur les huit albums.
«15 ans après, on parle de racisme, de juger sur l’apparence, sur la couleur de la peau, et ça continue ! Comme ça s’est passé dernièrement, avec la police, et les jugements au faciès etc. Malheureusement je ne crois pas que le racisme et la bêtise aient beaucoup reculé»
En 2008 vous écriviez : « Même si parfois j’ai peur que la couleur de la peau remplace la vraie valeur », qu’en pensez-vous aujourd’hui, 15 ans après ?
Komlan : 15 ans après, on parle de racisme, de juger sur l’apparence, sur la couleur de la peau, et ça continue ! Comme ça s’est passé dernièrement, avec la police, et les jugements au faciès etc. Malheureusement je ne pense pas que le racisme et la bêtise aient beaucoup reculé, grâce à la musique ou à la société… Je n’ai pas envie de dire un truc triste mais malheureusement je pense que c’est encore d’actualité. En tant que musiciens, je pense qu’on est aussi là pour dire des phrases comme ça et surtout être positif par rapport à tout ça parce qu’on sait que les gens qui vont venir écouter notre musique se posent peut-être des questions qui ne sont pas toujours posées. Nous en les posant et les amenant différemment ça peut un peu faire évoluer les choses.
Deux ans plus tard, on ressort une autre phrase forte de vos textes : « tout ce qu’ils veulent c’est une France qui ferme sa gueule »…
Komlan : … ah bah là ! Plus que jamais aujourd’hui !
Zigo : C’est marrant parce que ce texte-là précisément, c’était par rapport à l’identité nationale. À un moment où ils voulaient imposer la marseillaise à l’école etc.
Komlan : Avec Sarkozy, le ministère de l’identité nationale (le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire créé en 2007 et dissous en novembre 2010, ndlr).
Zigo : Ce truc-là nous choquait donc on a écrit cette chanson pour ça mais on s’est aperçu qu’avec les années, à chaque problèmes sociaux qu’il y a eu, les gens interprétaient cette chanson pour chaque maux. Quand on va dans des manifs’, c’est un morceau qui est beaucoup joué et nous ça nous touche parce que ça veut dire qu’on a participé à la motivation des gens à descendre dans la rue.
Komlan : Les neuf utilisations du 49.3 dernièrement (article 49.3 de la Constitution, ndlr), ça va complètement dans le sens de ce texte ! Faire passer des lois sans demander aux gens, on est complètement dedans.
Toujours dans vos textes, il y a le « quoiqu’ils disent Sainté est là… » qui n’a sa place un petit peu qu’au Zénith à Saint-Étienne mais tout de même…
Zigo : Non, non, non !
Komlan : On le joue de partout ce « quoiqu’ils disent Sainté est là ».
Zigo : Partout où on va, il y a un maillot des Verts ! C’est un truc de fou ! Partout, même à l’étranger, il y a toujours un Stéphanois.
Komlan : Même aux États-Unis, on a eu des maillots des Verts.
Zigo : Sainté est toujours là !
Komlan : Cette phrase en tant que stéphanois tu la comprends, parce qu’on n’est pas une ville qui est mise en avant, on est toujours mis de côté. Nous c’est un peu à cette image-là, comme un groupe indépendant, qui avons notre place qu’on a pu se faire dans le milieu de la musique, de rappeler que quoiqu’ils en disent, on est quand même là les Stéphanois !
Zigo : Quand tu parles du Zénith de Sainté, c’est vrai. Notre ADN il est là dedans, c’est-à-dire qu’on a été porté depuis toujours par Saint-Étienne. Bien-sûr on n’est pas devenu connu comme ça à Saint-Étienne tout de suite mais dès le début on a senti que les Stéphanois s’appropriaient Dub Inc et nous soutenaient. On s’est toujours senti poussé par Saint-Étienne c’est certain.
Vous nous parlez des maillots des Verts, justement le football a une grande place à Saint-Étienne, c’est quelque chose qui vous anime ?
Komlan : Je suis plus Saint-Chamond Basket que Saint-Étienne, il faut demander à Zigo ça (rires).
Zigo : Je trouve qu’il y a justement une ferveur populaire qu’on ressent nous au Zénith de Sainté. Il m’arrive d’aller au stade et j’arrive à ressentir le même genre de feeling, ça c’est clair.
Komlan : Je dis ça en plaisantant, c’est quand même un axe de notre vie important et tant mieux. Il faut qu’il y ait des choses comme ça qui fédèrent dans la ville et comme tu dis, je prends aussi du plaisir à emmener mon fils au stade. C’est aussi ça Saint-Étienne, cette unité, cette solidarité, il y a un vrai truc comme ça à Saint-Étienne, populaire, qui nous est propre, et c’est beau à voir.
Quand est-ce qu’on pourra entendre le « quoiqu’ils disent Sainté est là » résonner depuis les travées du Chaudron ?
Komlan : Houlà (sic), tu en demandes peut-être un peu trop (sourires).
Zigo : On a voulu à un moment essayer d’organiser quelque chose comme ça mais parfois il faut aussi avoir l’humilité de rester à sa place. On s’est rendu compte qu’on n’était pas capable de remplir Geoffroy-Guichard et que ce serait dommage de ne faire qu’une moitié de Geoffroy-Guichard. Le Zénith est maintenant un rendez-vous pour nous, on ne peut pas changer de salle, elle est devenue un évènement pour nous incontournable et pour le public aussi. C’est souvent plein trop tôt mais il ne faut pas qu’on pète plus haut que notre c** (sic) (sourires).
Komlan : On s’est aussi rendu compte que pour un groupe indépendant comme nous, est-ce que ça nous correspondrait ? Un stade c’est énormément d’argent, il s’y passe de la politique, ça ne nous correspond pas.
«on vient d’une ville qui s’est fondée sur l’exil et l’immigration donc c’est important de parler de ça et de savoir d’où on vient»
Pour finir, pour revenir sur vos engagements, on aurait aimé les mettre tous en avant mais on a choisi d’en sélectionner un, qui revient souvent dans vos chansons, c’est celui de l’exil. Pouvez-vous nous en parler ?
Komlan : Notre manière de le faire concrètement, c’est de rencontrer l’association SOS Méditerranée. On a fait un morceau qui réunit douze chanteurs français, italiens, africains, jamaïcains pour Skarra (Mucci). C’est un morceau où chaque chanteur a laissé ses droits, a cédé ses droits à SOS Méditerranée. On essaye de les accueillir le plus possible sur nos concerts, qu’ils puissent venir mettre une table avec leur association pour pouvoir communiquer, pour pourvoir expliquer eux gens parce que je pense qu’il y a plein de gens qui ne comprennent pas ce qu’il se passe. Maintenant, les infos elles passent, l’une remplace l’autre et cette question-là elle est plus forte que jamais. Notre seule manière de le faire c’était de communiquer là-dessus, pour qu’on continue à en parler.
Zigo : C’est quand même un sujet pour nous qui est hyper important et hyper sensible. Déjà nous dans le groupe, on a tous des grands-parents et parents exilés. En plus, on vient d’une ville qui s’est fondée sur l’exil et l’immigration donc c’est important de parler de ça et de savoir d’où on vient.
Merci à la Dub Inc Family pour sa disponibilité et sa gentillesse ! Retrouvez l’association SOS Méditerranée en cliquant ici. Retrouvez tous les « Héros » mis en avant par la Dub Inc en cliquant ici.
Merci à Alexandre Durry (Exalta Production) pour la vidéo.