« Entre le mur jaune de Dortmund et le mur Vert de Saint-Etienne, la seule différence, c’est la couleur. » Les mots de Neven Subotic, après son premier match en vert, semblent plutôt flatteurs pour le public de Geoffroy Guichard, si celui-ci avait besoin de se comparer pour se rassurer. Car en matière de supportérisme, Dortmund est une référence mondiale. En même temps, qui peut se targuer d’avoir un kop dans lequel se tassent 25000 personnes à chaque match (parmi les 81000 qui garnissent l’antre), toutes vêtues de jaune, provoquant un effet visuel incomparable ? La Sudtribune, plus communément appelée « mur jaune », est synonyme de rêve, de fantasme, pour tout passionné de football qui se respecte. L’agencement de ce qui apparaît comme le plus grand kop du monde (attention, pas la plus grande tribune, mais la plus grande tribune debout) est tout simplement parfait pour réaliser des tifos d’une envergure incomparable, tel que celui affiché lors du mythique quart de finale de Ligue des Champions 2013, face à Malaga :

Etant en stage à Bonn, à une centaine de kilomètres de là, il me paraissait inconcevable de ne pas venir voir un match au Signal Iduna Park (ou plutôt au Westfalenstadion, pour éviter le naming dégueulasse). Alors j’y ai été deux fois. Oui je sais, je suis un privilégié. Cependant, pas sûr que ce que je vais vous raconter ne soit tout à fait conforme aux attentes qu’imposent la légende. Enfin, ma foi, on verra.

Dortmund (parce qu’on a tendance à oublier qu’avant d’être un club de foot, c’est aussi une ville) est une métropole industrielle de 586 000 habitants – ce qui en fait la huitième du pays – juchée au cœur de la Rhénanie du nord – Westphalie. Une ville comme il en existe tant dans ce qui est le plus grand lander du pays (les landers, pour les non-initiés, étant les 16 régions administratives), ni vraiment grande, ni petite, où le poids industriel du bassin de la Rhur estampille un paysage où se côtoient métal et béton. Le cadre est austère, pas chaleureux pour un sou.

La reconversion industrielle est plutôt réussie, Dortmund ayant joué un rôle important dans les domaines de l‘acier, du charbon et de la bière, bien évidemment, pendant plusieurs décennies, avant de se lancer dans le biomédical. Le centre-ville ayant été totalement dévasté durant la seconde guerre mondiale, l’architecture est uniforme et peu fantaisiste, voir un peu morose. Près de la gare centrale, on trouve l’imposant musée national du football. Un peu cher, il est vrai, mais à la fois moderne et vintage, pour conter l’histoire si singulière du ballon rond dans un pays longtemps séparé en deux. Bref, l’archétype de la ville qui a tout pour puer le football.

Dortmund ne déroge pas à l’idée reçue, mais vérifiée, que l’on se fait de la rigueur allemande : tout y est parfaitement organisé. Les jours de match, des métros supplémentaires sont affrétés pour répondre aux besoins de l’affluence. Le billet de match garantit la gratuité des transports, incitant les gens à délaisser leurs voitures personnelles (ce que les Allemands font déjà beaucoup de manière générale) et désengorgeant les accès au stade. En un quart d’heure, l’affaire est pliée et nous-voici à quelques pas de la réalisation d’un rêve d’enfant. Et pas pour n’importe quelle affiche : Borussia Dortmund – Bayern Munich, Supercoupe d’Allemagne. Deux institutions, des champions du monde en pagaille et un trophée en jeu.

On arrive aux abords du stade trois bonnes heures avant le début du match et malgré le fait que les grilles n’ouvrent que dans 45 minutes, la foule est déjà bien présente. Les fanshops et autres foodtrucks officiels du club sont partout autour du stade. On fait même la queue pour rentrer dans la boutique officielle du club, archi-bondée. 81% des gens (sondage INPES Barney Stinson) portent un maillot à l’effigie de leur club. Et il n’y en a pas que pour Gotze ou Reus en matière de flocage, mais pour à peu près tous les joueurs ayant déjà porté la tunique jaune.

L’ambiance est plutôt familiale, et il n’est pas rare de croiser des couples, parents et enfants, portant les maillots des deux équipes. Avantage Dortmund, bien entendu, mais les Bavarois se défendent bien malgré tout. L’image est insolite, quand on sait qu’en France elle serait inconcevable, à l’heure où porter du vert est interdit une fois toutes les deux semaines dans une ville Française choisie… Ici, les supporters sont traités comme des passionnés, pas comme des criminels. Symbolique de la société que j’ai découvert outre-Rhein et que je résumerai en deux mots : confiance et bienveillance. Chacun se responsabilise, le dialogue persiste et le tout-répressif n’existe pas, pour la simple et bonne raison qu’il ne sert à rien, sinon à raviver les tensions en créant un climat délétère mêlant paranoïa et défiance, convergeant vers une violence devenue inévitable. Enfin, c’est un autre débat.

Dans le stade, c’est pareil : fanshops, buvettes et foodtrucks sont partout, façon parc d’attraction. On y trouverait un Macdo que ça nous étonnerait même po, sutout que les couleurs ne feraient pas tâche. Tout ça, on s’en fout un peu. La seule chose qu’on veut, c’est entrer dans le mur jaune avec des billets d’une autre tribune. Et après s’être heurtés à plusieurs stadiers, on réussit finalement à tromper la vigilance de l’un d’entre eux et à nous faufiler en loucedé. Nous y voilà. L’émotion est forte et à cet instant, on ressemble davantage à des touristes à Disney Land plutôt qu’à des fans de foot. Les rangs sont étroits, sans siège, ce qui nous étonne au vu des normes imposées par l’UEFA pour les matchs Européens. Cela explique également la capacité de la tribune.

A leur entrée pour l’échauffement, les joueurs sont accueillis sur un air très connu et repris dans tous les stades du monde, mais dont il m’a été impossible de retrouver le nom. Apparaissent ainsi devant nous les Gotze, Reus, Neuer, Boateng, Hummels, Lewandowski, Tolisso… Du bien beau monde. Ça commence à se chauffer doucement la voix mais la vérité, c’est qu’on entend davantage les supporters du Bayern, venus en nombre (environ 8 000 dans le parcage).

Pas de “You’ll never walk alone” avant le début du match, protocole oblige. Pas de kapo ni de bâche, The Unity, le groupe ultra du club, ne semble pas être présent ce soir. Boycott ? En effet, le coût des places ayant été considéré comme trop cher par ses membres. Du coup, les chants sont lancés à la voix, par qui veut ou du moins parvient à fédérer, et les drapeaux sont absents. Aucune constance, ça pousse très fort pendant quelques secondes, et ça s’arrête tout aussi vite. On entend parfois des tambours résonner, mais eux aussi, avec inconstance. L’ambiance est liée aux aléas du match. Et à chaque but, c’est douche de bière gratuite…

Quand t’es touché par la grâce divine et que tu sors ton téléphone au bon moment

La fin de match est un peu plus enthousiasmante, mais rien de bien fou non plus. Y’a un titre en jeu les mecs, quand même, et face au grand rival Bavarois, qui vous met sans cesse la râclée ! Et pourtant, toujours aussi peu de constance. Et même si la joie est bien présente au coup de sifflet final, elle est bien relative. L’habitude du succès ? Le peu d’importance donné à l’événement ? Quoi qu’il en soit, on attendait davantage de ce public.

C’est pour cela qu’on y est retournés deux semaines plus tard ! Cette fois, c’est à l’occasion du premier match de la saison en Bundesliga, face au FC Augsburg du grand Thomas Koubek. Pas d’excuse : match de championnat, retour de The Unity, bâche, drapeaux, mégaphones, tambours… Tout y est. Sauf nous, car cette fois-ci, on est en face, juste en dessous du parcage visiteur, qui fait pas mal de bruit d’ailleurs. Et puis, surtout, on entonne notre premier “You’ll never walk alone”… J’en ai des frissons rien que d’en parler, bordel. Un de mes plus beaux moments de football, à n’en pas douter. On a également droit à un tifo en hommage à l’un des meilleurs buteurs de l’histoire du club, Manfred Burgsmüller, décédé au mois de mai dernier.

Le match commence très fort. Après que les joueurs aient été accueillis par le mythique “Heja BvB”, le “Allez les verts” local, le score est de 1-1 au bout de trois minutes, le temps qu’il aura fallu à notre Koubek national pour réaliser sa première (et pas sa dernière) boulette en Bundesliga. En tribune, malgré une constance un peu plus importante que face au Bayern, c’est toujours très décousu. Par contre, quand ça pousse vraiment… Attention les oreilles. Les chants paraissent peu variés, si bien que tout le stade les connaît et les entonne en cœur. Mais cela ne dure que peu, et à chaque fois, il faut attendre un petit moment avant d’en entendre un nouveau. Le noyau semble assez petit par rapport à la taille de la tribune : peut-être chante-t-il, mais d’ici, ce sont davantage les chants des supporters adverses (applaudis en début de match par le stade tout entier, montrant une différence notoire dans l’état d’esprit général), plus constants, qui font écho.

Quatre erreurs de Koubek plus tard, le Borussia l’emporte 5-1 et entame parfaitement sa saison. L’ambiance de fin de match est sympathique, le stade tout entier communie. La passion est palpable, mais elle est plus proche du modèle anglais que du modèle français, s’il en existe un, malgré l’existence d’un kop.

A l’heure de dresser un bilan, on va aller droit au but : on est un peu déçus. On s’attendait forcément à une ambiance de feu, de la première à la quatre-vingt-dixième minute, ce ne fut pas vraiment cela. La puissance vocale du stade est impressionnante, mais le mur jaune ne donne de la voix qu’avec parcimonie. Par culture ? Probablement pas, les supporters d’Augsburg chantant presque tout au long du match. Tourisme trop important ? Je plaide coupable, même si j’ai essayé de baragouiner quelques chants dans un savoureux yaourt brassé. Mais je ne suis pas le seul. Ce phénomène dont souffrent bon nombre de clubs à travers l’Europe a quelque peu tendance à tuer les tribunes. De nombreux abonnés louent leur abonnement pour toute ou partie de la saison, afin de gagner de l’argent, les places pour certains matchs pouvant atteindre des prix ahurissants. C’est ainsi que beaucoup d’enceintes accueillent de moins en moins de supporters et de plus en plus de spectateurs, venus pour l’attraction touristique et non pas pour pousser leur équipe. Et encore, Dortmund est loin d’être le plus à plaindre en la matière…

Mais la raison principale, c’est une série de dissensions au sein même de la tribune, gangrenée par quelques groupes d’extrême droite cherchant à gagner en influence. Plusieurs affrontements ont eu lieu entre les membres de ces groupes et des membres de The Unity. Depuis quelques années, la lutte contre le hooliganisme et l’endiguement de ces mouvances neo-nazis sont devenues une priorité pour les dirigeants du football allemand, ceux de Dortmund en tête. Mais là-encore, malgré le sacro-saint « zéro tolérance », c’est le bienveillance qui règne aux dépens de la répression, comme en témoignent les programmes de réhabilitation proposés aux quelques 3000 hooligans interdits de stade à travers le pays, tel que l’explique l’excellent article de nos confrères de Lagrinta. Ainsi, il paraît très difficile d’animer une tribune aussi divisée…

Cependant, l’atmosphère reste indescriptible. La passion est palpable, le poids de l’histoire de ce club également, et dans ces moments-là, les mots ne suffisent pas tant les émotions les surpassent. Les chiffres ne disent pas toujours tout, mais un taux de remplissage de stade de 98%, avec plus de 80 000 spectateurs par match, dans une ville aussi peu attrayante, c’est quand même assez éloquent. On comprend rapidement où on met les pieds. Voir un tableau tel que celui-ci devenir réel a quelque chose de magique.

Après, on ne va pas se mentir non plus, le Signal Iduna Park n’a plus grand-chose du Westfalenstadion, et c’est peut-être là que le bât blesse. La mercantilisation engendrée par le sport spectacle a fait perdre à l’enceinte une partie de sa dimension populaire, même si les billets les moins chers restent abordables (17.50€) et que la chose semble être, au moins en partie, acceptée par les supporters. L’Allemand est plus pragmatique que le Français, il assume ses paradoxes et sait que la fin justifie les moyens. Le football, c’est de la passion, mais aussi et surtout de l’argent. A Dortmund, les deux semblent se côtoyer et vivre en paix. La leçon à tirer de cette expérience, c’est peut-être qu’il faut savoir vivre avec son temps, au risque d’y perdre une partie de son âme, si on veut connaître le succès. 

En tout cas, Neven, on est bien d’accord avec toi : s’il est plus petit et n’a pas la puissance vocale de son homologue jaune, le mur vert n’a rien à lui envier. Et on serait même tentés de dire que c’est plutôt l’inverse, dans un certain sens…