Et si la Super League nous avait finalement rendu notre football ?

Quel fan de football prend du plaisir à voir toujours les mêmes clubs gagner, si ce n’est les supporters de ces clubs en question (et encore) ? En Espagne, sur les 16 dernières années le Barça et le Real se partagent 15 titres et l’Atletico rafle le dernier. En Allemagne, sur la même période le Bayern en totalise 12 tandis que Dortmund, Wolfsburg et Stuttgart récupèrent les miettes. En France depuis l’arrivée des Qataris, le PSG n’a laissé en route que deux titres de champions dont l’un à Monaco sous pavillon russe depuis quelques années. Du côté de l’Italie sur la même période que le PSG, les Turinois n’ont rien laissé sur leur passage en étant champions chaque année. Du côté de la Premier League anglaise, un peu plus de partage (entre riches bien entendu) avec des titres pour City, United, Chelsea mais aussi pour la surprise Leicester en 2016. Qui se souvient d’ailleurs de l’effervescence que ce titre avait créée dans le monde entier ? Le petit qui avait réussi à bouffer les gros. Aussi jouissif que rare.

Une fois qu’on a dressé ce tableau, on devine ce qu’il reste aux autres, les petits, les « pauvres » : une finale de coupe de temps en temps, parfois un trophée inespéré, mais bien souvent le néant.

C’est à ce moment-là qu’on se dit, non sans une pointe d’ironie et d’amertume : « Mais pourquoi faire le forcing pour qu’ils restent, les gros ? ». Finalement s’ils partaient, à quoi ressemblerait notre football ?

En France, si le PSG et Lyon avaient rejoint cette Super League comme cela était un temps pressenti, notre championnat serait certainement redevenu indécis. Alors certes, vous nous direz que cette saison, c’est le cas avec quatre équipes qui jouent le titre, mais depuis combien de temps cela n’est pas arrivé ? Et pendant combien de temps cela ne se produira plus ? D’habitude, à cette période, le PSG est quasiment déjà champion et Lyon, Marseille, Lille ou encore Rennes se battent pour la deuxième place. Il y a depuis trop longtemps déjà le PSG et les autres.

Alors certes, les affiches auraient été moins clinquantes qu’un PSG-Marseille ou qu’un Lyon-PSG, mais seraient-elles moins intéressantes pour autant ? Est-ce qu’un Lille-Rennes à la 36ème journée du championnat alors que les deux équipes se tiennent en deux points aux deux premières places du classement serait moins intéressant qu’un PSG-Marseille séparé par dix points ou plus ?

En y réfléchissant davantage, des championnats ouverts, indécis où chaque équipe a sa chance seraient autrement plus intéressants. 

Sur la scène européenne le rapport serait le même, un Olympiakos-Atalanta Bergame est-il vraiment moins intéressant qu’un Real-Tottenham ? Nous n’en sommes pas sûrs et les années passées ont vu mourir des clubs pourtant historiques sur la scène européenne tels que le Dynamo Kiev ou encore le Celtic Glasgow. Pas forcément moins intéressantes sur le terrain, ces affiches le seraient même davantage en tribunes : demandez à n’importe quel connaisseur des tribunes européennes s’il préfère assister à un Legia Varsovie-Panathinaikos plutôt qu’à un Barça-Chelsea, la réponse vous sera vite donnée, sans hésitation et sans équivoque.

Bien évidemment cette vision était utopique puisque le projet en tant que tel ne prévoyait pas de départ des clubs impliqués de leur championnat national, même si l’UEFA avait émis des menaces de suspension.

La réforme de la Champions League, une Super League maquillée ?

Sur le papier, cette réforme pourrait apparaître comme plus ouverte avec 36 clubs et donc plus de qualifiés par pays (il y avait 32 équipes qualifiées actuellement). En réalité, cette réforme permettra comme la Super League l’aurait permise aux clubs, essentiellement aux gros, d’amasser toujours plus d’argent. En effet, cette nouvelle formule verra plus de matchs, ce qui fera plus de recettes et donc plus d’argent à la fin dans les poches des clubs européens. Ceux qui effectueront le plus de matchs seront bien évidemment quasiment chaque année les Manchester City, Real Madrid, PSG ou encore Bayern Munich. Les droits télévisuels risquent d’ailleurs d’exploser.

La seule légère bonne nouvelle sera donc le nombre de clubs y participant agrandi, si tant est que cela profite aux petits et peut-être un rééquilibre du fait des mini-championnats remplaçant les poules où souvent les deux gros se qualifiaient aisément. Affaire à suivre.

L’hypocrisie du monde du football

À en voir les débats qui ont agité la planète football pendant deux jours, on aurait presque cru que l’UEFA, la FIFA ou encore la LFP représentaient les avocats des pauvres face aux méchants riches du club des 12 fondateurs de la Super League Européenne.

S’indigner du système proposé par la Super League européenne c’est bien, sortir de celui profitant déjà aux ultras riches c’est mieux. En effet, depuis quelques jours toutes sortes d’acteurs ont pris la parole pour dénoncer le projet à l’avantage des plus riches laissant sur le carreau les plus pauvres. Comme si le système actuel ne le faisait pas déjà.

Comme si la FIFA n’avait pas attribué la Coupe du Monde 2022 au Qatar en plein hiver.

Comme si l’UEFA dans sa grande bonté était toujours à la recherche d’un système équitable profitant à tous. Elle aura bien essayé de faire croire qu’elle aimerait un système plus égalitaire en instaurant le fair-play financier en 2010 mais on a vu que celui-ci n’avait absolument aucune influence, puisque Manchester City est en demi-finale de Ligue des Champions cette année. Pire encore, celui-ci va être assoupli dans les prochaines semaines afin de céder au caprice des gros clubs. La grande inquiétude de l’UEFA et des autres instances du football mondiale résidait seulement dans le fait que leur système n’aurait plus été aussi lucratif qu’avant avec l’instauration d’une Super League européenne.

En France, la LFP et la FFF se sont indignées face au projet de cette Super League européenne « mettant un terme à un système basé sur le mérite sportif ». Comme si ce critère était le plus important à leurs yeux alors qu’ils n’ont pas hésité à laisser mourir le club de Luzenac monté sportivement en Ligue 2 en 2014 et évoluant, par leurs fautes en Régionale 1 désormais.

« La belle histoire » s’est transformée en cauchemar, la justice administrative dont le Conseil d’Etat a pourtant récemment donné raison au club de Luzenac qui aurait dû évoluer en Ligue 2…

Ander Herrera, joueur évoluant au PSG a été un des premiers joueurs à monter au créneau pour dénoncer ce projet, lui étant « tombé amoureux du football populaire ». Comme si son club et employeur défendait les valeurs du football populaire alors que ce dernier selon un rapport de l’UEFA en 2019 était le club qui proposait les places les plus chers à ses supporters.

De l’espoir néanmoins

Ce projet de Super League européenne était bien évidemment abjecte pour tous les fans de football particulièrement ceux qui se battent depuis des années pour un football populaire. Avec celui-ci, fini les surprises du petit qui tape le plus gros, bien que très rares ces derniers temps. Cependant il ne faut pas oublier que l’argent gangrène le football depuis bien des années et ce système n’est qu’un énième coup de forces des gros jamais rassasiés. Le symbole le plus criant était la présidence de ce projet, incarnée par Florentino Perez actuel président du Real Madrid qui a pendant des années profité du système de l’UEFA, son club remportant pas moins de 13 Ligue des Champions, mais ce système n’étant plus assez lucratif pour lui, il fallait voir plus grand, il fallait voir plus haut, sans les boulets que représentent les Eibar, les Leeds, les Lorient, les Wolfsburg, les Bergame et consorts.

Alors certes, l’abandon du projet représente une petite victoire pour les fans de football mais elle ne remet pas en cause la marchandise qu’est devenue le football. Les partisans de la Super League européenne ne s’en cache d’ailleurs plus du tout en qualifiant à plusieurs reprises le football non plus comme un sport mais comme une véritable industrie.

Cependant, ce qu’ont réussi les fans de football européen peut leur donner des idées : ils ont les clés pour que le système sur lequel le football repose s’effondre. Sans les fans, le football n’est rien. Un boycott européen de tous les abonnements télévisuels relatifs au football, représentant plus de la moitié des recettes des clubs pourrait mettre à mal ce système selon l’excellent Romain Molina. Nous en sommes encore loin malheureusement mais nous avons désormais la preuve que les fans représentent un levier non négligeable dans la lutte pour un football populaire.