Ce qui est sympa avec ce bon vieux Jack, c’est qu’en plus il s’agit d’une énigme non élucidée : l’assassin n’a jamais été arrêté par la police. Nombre de personnes furent suspectées bien entendu, mais aucune ne fut inculpée, faute de preuves. En tout cas, la panique suscitée par ces meurtres fut assez impressionnante (les rayons de conserves des supermarchés auraient été dévalisés, ainsi que le papier hygi… mince je me trompe de sujet, pardonnez-moi). Bref, penchons-nous un peu sur les faits.
Un décor bien sympathique
En 1888, le quartier populaire (très populaire) de Whitechapel est un quartier londonien typique de cette Angleterre victorienne et industrielle. Les populations pauvres et immigrées (dont beaucoup d’irlandais et de juifs) s’entassent dans les districts surpeuplés de l’East End londonien.
Comme si cela ne suffisait pas, les travailleurs des quartiers populaires manifestent souvent leur mécontentement quant à leur situation précaire. De plus, beaucoup vivent assez mal la concurrence de la main d’œuvre immigrée, nouvelle et peu chère. Les populations juives sont régulièrement prises à partie lors de révoltes sociales.
De régulières émeutes eurent lieu dans le district à cette même période comme le Bloody Sunday de 1887, où les affrontements avec la Police firent deux morts. Les conditions de vie et de travail se détériorant d’années en années, les habitants côtoient quotidiennement l’alcoolisme, la drogue, la prostitution ou encore les violences. Avant même les crimes de l’Éventreur, Whitechapel était donc déjà tristement connu…
Allez, ce petit décor joyeux est planté, on peut se lancer.
Une affaire qui a conservé son mystère
Lorsque l’on parle de Jack l’Éventreur, on parle d’une énigme policière non élucidée à ce jour, qui comporte encore une grande part d’interrogations. Par exemple, on ignore combien de meurtres peuvent être imputés à la main de Jack tant il existait des affaires comme celle-ci dans le district de Whitechapel. Cinq victimes dites « canoniques » lui furent attribuées. Il s’agit des femmes Mary Ann Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et enfin Mary Jane Kelly. La majorité de ces femmes étaient connues pour leur activité de prostituée et elles ont toutes été assassinées de nuit.
Elles furent assassinées dans cet ordre du 31 août au 9 Novembre 1888, avec toujours plus de sauvagerie, la seule exception étant constituée par Elizabeth Stride. Jack tire son doux surnom de son modus operandi : après avoir tranché la gorge de ses victimes (de gauche à droite), il prélevait des organes sur chacune d’elles avec minutie. Dans le cas de Nichols ce fut l’utérus, le rein gauche pour Eddowes, les viscères et le cœur pour Mary Jane Kelly (pour les moins sensibles, une photo assez morbide du cadavre de Mary Jane Kelly est montrée sur l’article Wikipédia dédié à Jack L’Éventreur).
Pris sur le fait ?
Le troisième meurtre fut le moins violent des cinq puisque la victime, Elizabeth Stride, n’a été qu’égorgée (tout est relatif bien entendu). L’hypothèse la plus plausible est qu’au moment de la découverte du corps de Stride dans la ruelle, l’Éventreur était vraisemblablement caché dans la pénombre afin de ne pas se faire prendre.
Vers les 1h du matin, un vendeur ambulant de bijoux du nom de Louis Diemschutz s’arrête à la suite de l’affolement soudain de son poney. Descendant de sa charrette, il distingue le corps d’une femme qu’il suppose endormie ou saoule, mais ce dernier choisit d’aller chercher de l’aide et ne s’approche pas immédiatement du corps encore tiède. Durant ce laps de temps, l’assassin eut largement le temps de prendre la fuite alors qu’il se trouvait sans nul doute encore devant le corps lors de l’arrivée du bijoutier (qui expliquera de cette façon le comportement de son poney). Sans le savoir, Louis Diemschutz est passé tout près d’arrêter l’un des plus grands criminels de l’histoire britannique. Rageant !
Un profil difficile à établir
Compte tenu de la gravité des meurtres, le choc de l’annonce mis aux abois les services de police, le quartier mais aussi la vie londonienne : que se passait-il à Whitechapel ? Plusieurs pistes furent envisagées pour tenter d’expliquer ces meurtres. Si jamais les spécialistes ne tombèrent totalement d’accord, beaucoup de médecins estimèrent que le tueur était un homme cultivé qui possédait des connaissances en anatomie pour être capable de prélever des organes sur ses victimes.
Thomas Bond, médecin légiste renommé, affirmait que les victimes étaient bien de la même main mais s’opposait à cette théorie et tentait d’expliquer ces atrocités en qualifiant le tueur d’homme sujet à des « crises périodiques de manie meurtrière et érotique », il évoque ainsi la possibilité d’une « hypersexualité » de l’assassin (l’ensemble de ses victimes sont des femmes et assez souvent, l’utérus était prélevé).
De nombreux témoignages disait avoir aperçu les victimes en compagnie d’hommes avant leur mort. Problème : se livrant à des activités de prostitution, ces femmes étaient souvent en contact avec des hommes et relativement peu de témoignages coïncidèrent les uns avec les autres pour déterminer un portrait-robot type de l’agresseur.
Quelles pistes ?
Le MPS (Metropolitan Police Service), qui se chargeait de l’enquête, reçut de nombreuses lettres durant la période où ils enquêtèrent sur les meurtres de Whitechapel. Les auteurs de ces lettres s’accusaient systématiquement des meurtres. Cependant, il n’est pas aisé de démêler le vrai du faux mais la police en retint quelques-unes :
- La lettre Dear Boss : quelques-jours avant les meurtres de Stride et de Eddowes, la police reçoit une lettre signée de Jack The Ripper prétendant couper les oreilles des futures victimes et les envoyer à la police. Catherine Eddowes, découverte quelques jours après la réception de la lettre par Scotland Yard, fut tuée et une section au niveau de l’oreille fut constatée. La police ne garda pas cette lettre comme une preuve mais c’est de cette dernière que l’assassin célèbre tire son nom de Jack L’Éventreur.
- La Lettre From Hell : l’écriture est assez différente de la lettre précédente, ce qui rend d’autant plus douteuse l’authenticité de ces dernières. Cette lettre est remise à Scotland Yard accompagnée d’un rein gauche humain (le rein gauche avait été prélevé sur le cadavre de Catherine Eddowes). L’adresse d’expédition est assez claire : From Hell, de l’enfer.
Une carte postale, surnommée Saucy Jacky retint également l’attention des enquêteurs (car elle semblait annoncer le double meurtre du 30 septembre 1888) mais jamais aucun lien ne put être tiré entre tous ces écrits et les services de police pensèrent donc qu’il ne s’agissait que de canulars utilisant l’effroi suscité par les meurtres pour faire parler.
The Juwes are the men that will not be blamed for nothing
Enfin, un tablier ensanglanté ayant appartenu à Catherine Eddowes fut retrouvé à proximité d’un graffiti rendant les juifs les responsables. On le nomme le graffiti de Goulston Street : « The Juwes are the men that will not be blamed for nothing« .
Ce graffiti sulfureux fut bien entendu effacé le plus rapidement possible sur ordre du chef de la police Charles Warren afin d’éviter de nouveaux troubles antisémites dans le quartier. Le MPS en a néanmoins réalisé un fac-similé :
Plus d’une centaine de suspects furent mis en cause au fil des années, des noms revinrent mais aucun d’eux ne purent être véritablement assimilé au tueur de Whitechapel, et aucune preuve ne permit de lier les crimes à une personne de confession juive. L’inspecteur Abberline, chargé contemporain de l’enquête, eut ses propres suspects tout comme les enquêtes ultérieures mais aucune ne put soutenir des chefs d’accusation réellement valable, laissant ainsi encore en 2020 sa part de mystères à cette énigme policière…
Élevé au rang de mythe
Aujourd’hui, le nom même de Jack l’Éventreur est resté dans l’imaginaire collectif non seulement britannique mais également dans le reste du monde. Il fut dans le courant du XX° siècle utilisé pour diverses raisons : pour effrayer (le personnage incarne l’idée du croque-mitaine dans la culture anglo-saxonne) ou pour sensibiliser à la lutte sociale (il fut souvent représenté comme bien vêtu, éduqué, issu des classes aisées qui asservissent le peuple ou encore comme l’incarnation de ce que la négligence sociale peut produire de pire).
Les œuvres artistiques inspirées par cette affaire ne manquèrent pas, plus d’une centaine d’œuvres de fiction (romans, films, opéras, théâtre, etc…) évoquent les événements avec plus ou moins de libertés. Qu’il s’agisse de littérature ou encore de cinéma, de Sherlock Holmes au film From Hell en passant par les DLC d’Assassin’s Creed Syndicate, Jack l’Éventreur est toujours présent dans notre inconscient plus de 130 ans après ses méfaits.
La musique s’est aussi emparée de Jack : un opéra mais aussi et surtout les musiques rock et heavy metal qui en furent assez inspirées. La chanson The Ripper (1976) issue du premier album du groupe Judas Priest constitue à ce titre un très bon exemple, le chanteur se plaçant dans la peau de Jack l’Eventreur.
Enfin, la passion que suscite encore cette affaire chez certains a donné naissance à un néologisme : la ripperology (traductible en « éventrologie », terme employé par Colin Wilson, écrivain britannique) qui inclut l’ensemble des personnes passionnées par ce genre d’études, professionnels ou amateurs…
Il commettait ses crimes dans la pénombre mais ces mêmes actes le firent entrer dans la lumière. Bon ok je me calme, mais y’a forcément une leçon à tirer de tout ça. Je vous laisse la trouver par vous-même par contre.
Merci d’avoir lu ce focus et à très bientôt dans les Flâneries de l’Histoire !