Le 1er septembre 2016, Colin Kaepernick, joueur des 49ers de San Francisco (NFL) pose un genou à terre sur les premières notes du Star Spangled Banner. Un geste retentissant, triste vestige d’une époque ségrégationniste où Martin Luther King et ses pairs devaient s’agenouiller face à la police. Ensuite suivi par ses coéquipiers, ils souhaitent protester contre un racisme encore trop présent aux États-Unis. Devenu rapidement l’emblème d’une lutte qui dépasse les frontières, il se heurte, en pleine élection présidentielle, aux spectres de Donald Trump. Ces joueurs qui « salissent » l’hymne américain, le futur président les qualifiera, ni plus ni moins, de « f*** de **te ». Colin Kaepernick, lui, ne retrouvera jamais de club après ça, dénonçant une collusion des dirigeants de la NFL.
Si son cas a pu refroidir les ardeurs jusqu’ici, les récents évènements semblent avoir changer la donne. Les voix s’élèvent. Plus nombreuses, plus incisives qu’avant. À commencer par la légende du basket-ball, Michael Jordan. Pourtant évasif sur ces questions habituellement, l’ancien Bulls s’est dit « aux côtés de ceux qui dénoncent le racisme enraciné et la violence envers les personnes de couleur dans [son] pays » avant de promettre un don de 100 millions de dollars pour des associations engagées pour l’égalité raciale et la justice sociale.
Gregg Popovich, le légendaire coach des Spurs, quintuple champion NBA, s’est montré plus acerbe et ce, notamment envers son président qu’il qualifie « d’idiot » et de « lâche » : « Il n’est pas seulement clivant. Il est destructeur. Et sa seule présence vous fait mourir. Il vous mangerait vivant pour parvenir à ses fins. Je suis consterné de voir que nous avons un leader incapable de dire que la vie des Noirs compte »
« Les seules manifestations ne changeront pas tout. »
Outre-Atlantique, il n’a pas fallu longtemps pour que le mouvement prenne de l’ampleur. En liant la parole aux actes cette fois. En Allemagne, le seul pays où le football a repris, Marcus Thuram (Mönchengladbach) ou encore Jadon Sancho (Dortmund) ont rendu hommage à George Floyd le week-end ayant suivi son meurtre. Le premier a posé un genou au sol, le second a pondu un message sur son maillot (« Justice for George Floyd »).
Dans un autre registre, Memphis Depay, joueur de l’Olympique Lyonnais, défilait la semaine dernière dans les rues d’Amsterdam lors d’une manifestation du mouvement « Black Lives Matter ». Ces gestes, plus que des hommages, plus que des messages contre les violences policières, sont des prises de positions marquantes contre un racisme qui n’a pas déserté l’Europe.
Mais au-delà de ces déclarations chocs et des fonds noirs instagramés, il faut identifier les causes et conséquences de ces discriminations pour mener une lutte efficace. Pour Raheem Sterling, figure de la lutte contre le racisme en Angleterre qui s’est confié Lundi à la BBC, « Les seules manifestations ne changeront pas tout ». L’ailier de Manchester City dénonce une discrimination discrète mais ancrée profondément, qui ne donne pas les mêmes chances de reconversion aux personnes de couleurs. « Regardez : vous avez Steven Gerrard, Frank Lampard, Sol Campbell et Ashley Cole. Tous ont eu une grande carrière, tous ont joué pour l’Angleterre. Et pourtant, bien qu’ils aient tous obtenu leur diplôme pour entraîner au plus haut niveau, les deux qui n’ont pas eu de bonne opportunité sont les deux anciens joueurs noirs… »
Un constat que son compatriote Lewis Hamilton s’autorise également dans sa discipline. Fervent défenseur du mouvement, le sextuple champion du monde de Formule 1 déclarait début mai : « Malheureusement, en F1 de nos jours il y a un vrai manque de diversité : pas seulement au niveau des pilotes, mais aussi chez les mécaniciens et les ingénieurs. » Un manque de diversité qu’il n’explique pas uniquement par la couleur de peau (même s’il existe un lien de cause à effet évident) mais par le manque d’ouverture aux classes défavorisées d’un sport financièrement élitiste dès le plus jeune âge.
Un silence pesant ?
Le manque de diversité n’est pas le seul reproche que le pilote britannique assène à son sport. Le mutisme d’une partie du paddock et de l’encadrement passe difficilement. Certains, comme le pilote monégasque Charles Leclerc se sont pourtant manifestés dans le même sens. Ce dernier évoquait la difficulté de s’exprimer sur ce genre de sujet avant d’affirmer « (qu’il) avait tort » puis poursuivant : « j’ai encore du mal à trouver les mots pour décrire l’atrocité de certaines vidéos que j’ai vues sur Internet. Le racisme doit être combattu par des actions, pas par le silence. »
En France, les propos d’Hamilton font écho à ceux formulés par Yannick Noah ce dimanche. Sur le plateau de France 2, l’ancien tennisman a condamné à son tour l’aphasie des sportifs blancs : « C’est bien que les jeunes s’en occupent mais moi ce qui me gêne c’est que ce sont tous des métis ou des noirs » avant de préciser que « leur silence [le] gêne ».
La question de l’investissement des joueurs blancs revient régulièrement. Les récentes affaires de racisme dans les stades en attestent, le joueur victime se retrouve parfois esseulé et les sanctions prises contre les clubs ne sont pas dissuasives. Souvent évoquée, une réaction collective, comme un refus de jouer ou un départ du terrain enverrait un message fort aux auteurs et à nos jeunes générations, plus qu’essentielles dans cette lutte.
Ce combat ne doit pas être mené par sa seule communauté. À ce titre le sport et la sphère d’influence qu’il représente doivent permettre d’éduquer sensiblement sur ces sujets. Au-delà du cadre des violences policières, le racisme demeure dans nos tribunes, et plus largement dans notre société. Les cris de singes, les insultes et les discriminations de toutes sortes, qu’elles soient à caractère raciste, homophobe ou misogyne n’ont plus leur place dans notre sport. Elles n’ont leur place nulle part.