Salut, ça faisait longtemps ! Tu vas bien ? Moi ça va pas trop mal. Comme on doit parler musique sur Eclectic Wizard, il y a un aspect que je n’ai jamais abordé en détail jusque là et pourtant, c’est sûrement une des facettes les plus intéressantes de la musique : aller voir un artiste sur scène.
Si tu aimes la musique, j’espère que t’es allé voir plein de concerts dans ta vie et que tu continueras de la sorte car il n’y a rien de plus satisfaisant que d’aller voir jouer ou chanter quelqu’un. Quand il y a du talent bien évidemment. Parce que voir ton oncle chanter La Grosse Bite à Dudule à 3 de l’aprèm la gueule dans le rosé debout sur une chaise, cette dernière étant elle-même posée, de manière plus ou moins précaire d’ailleurs, sur une table, par définition, c’est aller voir quelqu’un chanter mais c’est quand même pas non plus la même chose qu’un concert des Velvet Underground.
Après, pousser la chansonnette sur La Grosse Bite à Dudule avec trois litres de rosé dans le cornet, c’est de l’Actors Studio. C’est de la Méthode pur jus. Là pour le coup ton oncle s’approprie parfaitement le matériau de base. Car si par « chanson paillarde », on entend « chanson populaire traditionnelle aux paroles osées, à caractère sexuel, ouvertement transgressive, visant à choquer les bienséances en violant les tabous qui ont cours dans la vie de tous les jours », quoi de mieux que de la chanter en featuring avec le cubi de jaja ?
Malgré tout, restons sur cette idée là : aller voir des artistes se produire sur scène, ça défonce ! Certains sont ainsi très réputés pour leurs performances scéniques et proposent à chaque nouvel événement de repousser un peu plus les limites du « game ».
On a tous en tête des groupes, connus pour en mettre plein la mouille à leur public en concert. Prenez Rammstein par exemple, formation venue d’Allemagne ultra populaire encore aujourd’hui avec justement la sortie de leur dernier album éponyme cette année. Qui ne connaît pas Rammstein, ne serait-ce que de nom ? Et bien que tu aimes ou pas leur musique, que tu trouves ça redondant ou pas, qu’à tes yeux, ça soit convenu ou pas, force est d’admettre que Rammstein excelle dans un domaine : la scène. Ils ont du coup plus ou moins entièrement bâti leur réputation là dessus avec leur marque de fabrique : les effets pyrotechniques et le cul ; mais pas en même temps. Le groupe a une forte identité visuelle de base et joue cette carte à fond en live. Alors c’est pas le dragon blanc aux yeux bleus, certes, mais c’est tout de même pas mal !
Donc quand je parlais des groupes qui, en concert, en mettent plein les yeux à leurs fans, Rammstein est de ceux-là… mais littéralement pour le coup.
C’est comme ça, il y a des noms qui reviennent souvent quand on pense à d’incroyables performances scéniques. Tu prends, par exemple, David Bowie, Freddy Mercury, Iggy Pop, Dave Gahan, le chanteur de Depeche Mode ou bien Chester Bennington, le défunt chanteur de Linkin Park, tu sais qu’avec ceux-là en terme de présence sur scène, de charisme, de spectaculaire, tu vas être copieusement servi.
De même qu’il y a des lieux mythiques pour la musique comme par exemple le Wembley Stadium de 1923 situé dans le Grand Londres (détruit en 2003) où a eu lieu une partie du Live Aid de 1985 ou, pour en citer un deuxième, le regretté CBGB, club qui se trouvait à Manhattan.
La scène étant un endroit où l’artiste s’exprime directement devant une audience, quand tout fonctionne à la perfection, il y a une sorte de symbiose qui opère et on a envie d’en faire partie. On veut être témoin de cet événement là. Alors ça peut être hyper personnel comme démarche, tu es guitariste amateur, absolument fan de l’instrument en question et tranquillement affalé sur ton pouf aux motifs zébrés, tu écoutes ta petite playlist des familles où figurent B. B. King, Clapton, Joe Bonamassa, Steve Vai, Frank Zappa et des dizaines d’autres et bien immédiatement tu te projettes et t’as envie d’être devant la scène au premier rang voir l’artiste jouer son morceau pour toi. Un documentaire comme It Might Get Loud, sorti en 2009, qui te montre Jimmy Page, Jack White et The Edge de U2 en train de jammer tous les trois sur les morceaux des uns et des autres, t’as qu’une envie, c’est d’être à la place du cadreur, un peu planqué dans un coin sans faire de bruit histoire de capter l’incroyable spectacle qui se produit devant toi.
Combien de fois, pour ma part, ai-je pu me répéter : « mais j’aurais tellement aimé voir Lou Reed en concert ! ». Et à ce moment là, une série de questionnement absolument existentiels surgit sans prévenir avec des réflexions profondes du type : « comment se fait-il qu’avant 2013 (année où il est décédé), mon pouvoir d’achat ne me permettait pas d’aller voir Lou Reed en concert bon sang de bonsoir ? ». Enfin, les choses sont ce qu’elles sont.
On connaît tous des concerts cultes auxquels on aurait rêver assister. On en connaît tous quelques uns. Que ce soit le Woodstock 94 ou bien les premières dates de tes groupes préférés. Parce qu’en y réfléchissant bien, ça devait quand même pas être dégueulasse d’assister aux premiers concerts de Oasis ou des Stooges. Enfin voilà, on a tous à l’esprit des événements culturels tournant autour de la musique auxquels on aurait aimé être témoin. Et c’est beau putain !
Alors oui j’ai parlé de Woodstock et non je n’ai pas parlé de l’édition originelle de 69. Je pense qu’on est tous plus ou moins d’accord pour dire que Woodstock 69 est un des festivals de musique les plus emblématiques de l’histoire de la musique contemporaine mais… quand même, l’édition de 94 quoi ! Pour le coup moins connue, il n’empêche que niveau programmation, on était pas trop mal : Allman Brothers Band, Joe Cocker, Crosby, Stills & Nash, Bob Dylan, Cypress Hill, Green Day, Nine Inch Nails, Red Hot Chili Peppers, Primus, Rollins Band, Santana, Rage Against The Machine, Aerosmith… Je trouve ça incroyable personnellement. Là c’est pas le Hellfest… Organisé pour célébrer les 25 ans de l’édition originelle, le « Mudstock » (en raison des nombreuses flaques de boue présentes sur le site) contient son lot de petits moments bien rigolos à base de personnes bien droguées et c’est sympa à regarder ! Et puis, lors de la première nuit du festival, le film Clerks du génial Kevin Smith fut diffusé pour la première fois dans le monde sur les écrans géants de la scène principale, soit devant 200.000 personnes. Balèze quand même.
Et dans tout cela à la fois, à l’esprit me vient un groupe en particulier : The Dillinger Escape Plan. Et niveau « pliage de game » en terme de performances live, ils ont été très très forts ces cons là.
Groupe de mathcore – genre musical dissonant, sorte de mélange entre metal et punk hardcore avec des structures rythmiques particulièrement complexes – originaire de Morris Plains dans le New Jersey, The Dillinger Escape Plan (abrégé DEP) tient son nom du gangster américain John Dillinger qui sévit au début de la Grande Dépression (je te conseille à ce propos le très bon, d’après mes souvenirs, Public Enemies de Michael Mann avec Johnny Depp dans le rôle de Dillinger, performance notable car, toujours d’après mes souvenirs, c’était pas du Jack Sparrow et ça fait quand même du bien). Et donc DEP, ce sont juste les Rois dans ce genre là.
Concernant la performance ci-dessus, le guitariste de Dillinger, Ben Weinman déclare :
Ce qui frappe d’emblée avec ce groupe c’est que leur musique est chaotique. On est pas sur quelque chose de vraiment catchy à la première écoute. En gros, c’est pas The Joker de The Steve Miller Band, définitivement pas le même délire. Les musiciens de DEP incorporent différentes influences à leurs compositions. Cela va du metal progressif en passant par le grindcore avec les tempos ultra rapides tout en y ajoutant des éléments « jazzy » par moment ainsi que plein d’autres choses.
On peut dès lors très bien émettre un parallèle entre cet aspect là de leur musique : à savoir le côté jazz et l’acte même de se produire sur scène. En effet, le jazz dans sa conception originel est différent de la musique savante écrite qui se résume à un compositeur créant une œuvre et la consignant sur un support écrit : la partition. Vient ensuite l’interprétation mais l’œuvre est donc préexistante. Le jazz, lui, comme la plupart des musiques de tradition orale, opère différemment. L’œuvre s’accomplit au cours d’une performance, pas avant. Il y a certes des éléments préparatoires comme une composition servant de point de départ mais cette dernière ne peut pas plus constituer l’œuvre en elle-même qu’un scénario n’est un film. Le jazz privilégie la performance enregistrée. C’est exactement le même principe que pour un concert. Une performance live peut devenir une œuvre à part entière. Par contre, si cette dernière n’est pas enregistrée, une fois la dernière note jouée, elle n’existe plus que dans la mémoire des membres du groupe et dans celle du public.
Tout passe par la performance enregistrée et à moins d’avoir assisté à tous les concerts qui ont eu lieu sur Terre depuis un petit paquet d’années maintenant, seules les personnes ayant assistées, par exemple, au festival de Woodstock 94 pourraient en parler. Par chance, on capte les événements culturels comme celui-ci pour notre plus grand plaisir.
Ce que j’essaye de dire ici, c’est que s’agissant de performances live, DEP place la barre très très haut. Et cette comparaison entre le jazz et le fait de jouer sur scène me semble pertinente surtout concernant The Dillinger Escape Plan car on retrouve des éléments jazz dans leur musique mais leur manière de se produire en live rappelle aussi ce genre musical. Tu prends un morceau jazz lambda, il y a donc une base écrite à celui-ci mais une immense place est laissée à l’improvisation et le morceau évolue, change au gré des musiciens qui le jouent. C’est une affaire d’alchimie et de symbiose en réalité. La performance live transcende le morceau de base et vient apporter quelque chose de nouveau à chaque fois. Après, si la performance n’est pas enregistrée et si tu n’étais pas présent au moment du live, tant pis pour toi et quelque chose d’unique est probablement perdu à tout jamais. Avec DEP, c’est à peu près le même mécanisme, il y a cette sorte de chaos ambiant qui entoure leur musique et déteint sur leur concerts. Comme un morceau de jazz, il y a une partition écrite servant de point de départ, il y a des éléments préparatoires à tout ça (la setlist, le lieu du concert, l’état émotionnel dans lequel se trouvent les musiciens…), puis vient la performance live en elle même et tout peut changer. C’est innovant à chaque fois. C’est ça un concert ! C’est pour ça qu’on paye notre place – parfois hors de prix – pour aller voir nos artistes préférés faire leurs trucs sur scène. Pour tous ces moments où le train déraille mais sans faire de victimes, on sort juste des sentiers battus et BAM, une impro de plusieurs minutes, BIM, un solo incroyable de derrière les fagots, c’est pour toutes ces petites choses qu’on aime voir jouer de la musique live. Qui payerait une place de concert pour voir un mec faire exactement la même chose sur scène qu’en studio ?
Avec DEP, chaque performance est unique, nouvelle et à l’instar de leur musique, leurs prestations scéniques sont animées d’une pure intensité. Tout DEP suinte l’expérimental, la sincérité et la spontanéité et nul doute que dans un futur article de l’Eclectique Enchanteur, j’essaierai de plus me pencher sur l’intégrité artistique et créative dont ont fait preuve les Américains tout au long de leur carrière et ainsi permettre aux réfractaires à leur univers d’un peu plus comprendre de quoi il retourne avec Dillinger, même si à travers plusieurs captations de différents concerts, tu as pu, entre autres, voir à quel point un groupe peut pousser le concept du live, de l’instant présent à vrai dire, aussi loin. Constamment, ils jouent avec cette notion de temporalité, le fait que ça se passe maintenant, ici et pas ailleurs. Les musiciens s’investissent tellement dans leur démarche créative, sans faire la moindre concession, qu’ils délivrent quelque chose d’unique à chaque performance scénique. The Dillinger Escape Plan se surpasse, The Dillinger Escape Plan se méprise au service de sa musique. C’est un groupe radical et leurs concerts le sont tout autant, à juste titre. Au Reading Festival de 2002 au Royaume Uni, le chanteur, Greg Puciato a quand même chié sur scène.