En pleine période de Gilets Jaunes, et alors que les affaires politiques du gouvernement Macron fleurissent, revoilà les bons vieux sujets bateaux sortis des placards. Résurgence de l’antisémitisme, Hijab nouvelle affaire Burqa de 2019 ou encore intellectuels et Gilets Jaunes : quand le système politico-médiatique sature l’espace public pour éclipser les problématiques sociales. Désintox met les pieds dans le plat (et pas le plat du pied).
En pleine crise des Gilets Jaunes, il est de bon ton de recréer de la division. C’est bien connu, le social rassemble plus largement que le sociétal. Il est même navrant de voir que ces causes multiples, souvent superficielles dans leur façon de poser les problèmes voire sincèrement caricaturales, sont surmédiatisées. Pourquoi parle-t-on autant de véganisme alors que seuls 5% des Français sont végétariens (et la nuance est de taille qui plus est) ? Pourquoi parle-t-on sans cesse de religions alors que 60% des Français déclarent ne pas en avoir ? On pourrait multiplier les exemples de ces questions d’ordre sociétal qui polluent les émissions de télévisions et de radio et les pages des magazines mais qui obstruent aussi la pensée parce qu’elles évitent le fond et la dimension globale.
Montrez-moi cet antisémitisme qui se cache partout
Parfois, c’est l’effet boule de neige et c’est le plus dangereux. Quand on parle sans cesse d’antisémitisme dans les médias, on agite le spectre d’une résurgence de ce phénomène, en tout cas de sa survivance vorace. Or, si on prend les chiffres (et là encore le support est critiquable), même après une augmentation en 2018 à 541 contre 311 l’année d’avant, les actes antisémites n’atteignent pas le sommet de 2015 (plus de 800 actes enregistrés). Sur la durée, il n’y a donc pas de phénomène de montée de l’antisémitisme. C’est factuellement faux. Mais c’est sans doute davantage l’analyse qui est problématique. L’adage politique veut qu’on fasse dire aux chiffres ce que bon nous semble. Quelle signification peut-on donner à un phénomène dont on fait la promotion (en parler, c’est promouvoir, jurisprudence Dieudonné) sans fossoyer l’analyse ? Ici, les médias analysent cela même qu’ils contribuent à alimenter : une atmosphère mortifère et nauséabonde dans laquelle prospèrent les actes antisémites qui occasionne une couverture médiatique spectaculaire. Et parfois trompeuse. Le serpent se mord la queue et c’est fort utile pour occuper le temps d’antenne et vendre des magazines. Le temps médiatique est pressé, et avec lui son lot de préjugés et de conclusions hâtives qui sculptent peu à peu la réalité médiatique, c’est-à-dire la réalité telle que nous la percevons. C’est en cela ce que j’appellerai volontiers une spéculation médiatique. Début mars 2019, la stèle marquant l’emplacement de l’ancienne synagogue de Strasbourg au Halles est très vite annoncée comme profanée par un acte antisémite. Un de plus dans la longue liste de ceux qui auront la chance de figurer à la une de l’actualité. Le vendredi 8 mars, alors que l’enquête avance, on apprend finalement qu’elle a simplement été heurtée accidentellement par un automobiliste. Il ne pas s’agissait donc pas d’un acte antisémite mais d’un accident. « En faisant marche arrière le client d’une boîte de nuit à côté, a heurté la stèle », avait indiqué à l’AFP une source proche de l’enquête. Cet exemple est pour moi l’illustration d’une aberration médiatique, celle qui consiste à alimenter sans cesse, quitte à spéculer, une réalité qu’on veut dépeindre de l’actualité, quand bien même celle-ci serait fausse. « Pour le journaliste, tout ce qui est probable est vrai » disait Honoré de Balzac. Par la mobilisation du temps médiatique sur les sujets, les rédactions cherchent non pas l’analyse mais l’effet de masse, c’est-à-dire le sentiment de submersion par l’antisémitisme à un moment donné. Or, le traitement médiatique ne permet pas de mesurer quoi que ce soit, il a simplement comme intérêt de créer une opinion commune. Par conséquent, les médias sont un espace de chaos où l’opinion et la supposition cohabitent avec l’information. Ces émissions où débattent sans fin les « spécialistes » parachèvent de répéter des inepties qui peuvent contribuer à créer des stéréotypes médiatiques influençant, ensuite, l’opinion publique en la divisant sur des sujets périphériques.
Quand les « intellectuels » ont compris le filon
En la matière, prenons l’exemple de Bernard Henri-Lévy. Réputé intellectuel sans que rien ne puisse l’assurer d’être indiscutable à ce sujet, le pour le moins très contesté homme médiatique ne peut pas se vanter d’être admiré. Plus personne ne l’écoute mais surtout il est persuadé de penser sans cesse parce qu’il intervient tout le temps (merci Yann Moix pour la formule). Se pose ici une question sans fin : quelle légitimité a t-il pour intervenir aussi souvent et avoir autant de temps d’antenne et d’espace médiatique ? « On ne peut malheureusement pas dire que l’antisémitisme est aux marges du mouvement », « c’est le cœur du mouvement », avait-il déclaré sur Europe 1 en février dernier. Plus tard encore, BHL a renchéri, écrivant sur Twitter :
Il est presque amusant de lire le mot « analyse » dans son tweet tant il s’agit là d’opinions de comptoir tenues d’assurer le spectacle en alimentant un buzz dont il se nourrit. Et alors, celui qui s’est remarquablement planté dans un spectacle européiste qui n’attire pas les foules a affiché au grand jour sa haine des Gilets Jaunes, ces « pauvres » qui lui mettent la nausée, lui qui trouve la misère beaucoup plus intéressante à l’étranger. Soyons précis, l’exercice auquel se livre Bernard Henri-Lévy est de la pure diffamation. Il ment en larguant une opinion grossière aux contours incertains sous les traits d’une pensée d’intellectuel. Pire encore, il enrobe sa légitimité dans les médias réputés sérieux qui l’accueillent, de France Culture à Europe 1 en passant par Le Monde. Cette suffisance heurte quand on sait qu’alors qu’il ne représente qu’une élite ultra minoritaire, il cumulera quoi qu’il arrive des milliers d’heures d’antenne à répéter les mêmes choses tandis que ceux qui manifestent dans la rue le samedi seront réduits au silence pour peu qu’on ne dise pas qu’ils mangent des enfants et sont responsables de la chute de l’Empire romain pour les décrédibiliser un peu plus. Pourquoi dis-je tout ceci ? Pour une raison simple, qui tient au propos liminaire que je développe : le sociétal est un bel agent d’enrobage qui permet de masquer la crise sociale profonde à l’œuvre. On pourrait penser que BHL fait fausse route dans son analyse si on ne savait pas que lui, comme les Alain Finkielkraut et consorts, vivent de la controverse sociétale. Ils disent tout ça sciemment et se prêtent à un jeu de manipulation de l’opinion somme toute assez ignoble. Que deviendraient-ils sans une croix gammée par-ci ou bien un burkini par-là ? Ce même BHL qui déclarait qu’il était « pour le dépassement du Point Godwin », une aberration intellectuelle supplémentaire.
Rétablissons les choses : non, le point Godwin, ce n’est pas la mémoire. C’est erroné de dire cela. La loi Godwin fait référence au fait que plus un débat s’éternise, plus une référence au nazisme pour décrédibiliser son adversaire est probable. Cela n’a donc aucun rapport avec la mémoire, c’est même tout le contraire. Ces propos sont ceux d’un imposteur de la pensée qui induit sciemment en erreur ceux qu’il l’écoutent. Dans le même sens, il est intéressant de voir comment il parle du prétendu retour du fascisme en Italie sans jamais au grand jamais s’interroger sur les lois migratoires votées en France que même Marine Le Pen n’aurait pas osé mettre en œuvre (https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A12886). Les ressorts médiatiques sur lesquels appuie BHL sont consensuels et très complaisant à l’égard de ceux qui sont au pouvoir. Il agite le spectre des extrêmes qui servent irrémédiablement à maintenir les néolibéraux au pouvoir partout en Europe.
Revoilà le petit-frère du burkini
Je voudrais aborder un dernier point dans ce modeste décryptage des médias. Qu’en est-il de la montée de l’islamophobie ? Pointée du doigt régulièrement, elle a trouvé sa consécration dramatique dans l’attentat du 15 mars à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Un suprématiste blanc, Brenton Tarrant, 28 ans, a alors tué 50 fidèles et blessé 49 autres dans deux mosquées de la grande ville de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, et diffusé en direct les images du carnage sur Facebook. Le terroriste a expliqué qu’il avait décidé d’agir à force de voir ce qu’il se passe en France, avouant être influencé par les écrits de Renaud Camus sur le « grand remplacement », théorie du complot fumeuse qui a le vent en poupe. Mais pourquoi ? Il serait temps de s’interroger sur l’influence des médias sur nos consciences. A force d’instrumentaliser la peur, les médias ont fait le jeu de l’extrême-droite mais plus encore, ils ont engendré des monstres. Ils ont nourri une haine.
Que font les médias, les revues, les chaînes de TV ? Ils divisent l’opinion publique, instrumentalisent la peur et excitent les angoisses. Et alors que l’actualité immédiate était pauvre, les médias ont tenté de ressortir la vieille recette islamophobe qui crée le buzz. L’affaire du hijab de sport Décathlon a eu le droit à une couverture médiatique hors du commun. Le buzz a duré seulement quelques jours, mais l’intention était là. Tout le monde s’en fout, mais les anti hijab pensent que les musulmans veulent l’imposer, les musulmans se sentent stigmatisés, ça crée des conflits, des clashs, ça génère du clic sur le web, de l’audience à la TV, des débats à la radio, etc. Le système médiatique est bien rodé et toute occasion est bonne de créer le buzz.
Toujours, le sociétal éclipse le social. C’est la recette miracle pour entretenir un débat permanent et un buzz inéluctable. A l’arrivée, les Français se montrent défiants à l’égard des politiques mais aussi des médias qu’ils accusent de leur mentir sciemment. Mais chaque fois nous entendrons les journalistes dire que les hommes politiques contribuent à la haine ambiante contre les médias, mais jamais que certains médias participent eux-mêmes de la haine dont ils font l’objet. Car il est plus facile de crier au scandale que de remettre en question ses propres pratiques. Le moment est grave car il est celui d’une profonde crise de confiance en la presse pour les Français. C’est un retour de manivelle qui crée l’entorse à l’information, celle que les médias délaissent bien souvent par antagonismes. Désintox fait de l’éthique médiatique son cheval de bataille.