Il était question depuis longtemps de rétablir le service militaire. C’est toujours possible, et ce parce que, formellement, ce-dernier n’a jamais été supprimé (il est « suspendu » pour une durée indéterminée depuis Jacques Chirac en 1997) mais pur autant une telle opération coûterait des milliards. Puisque les politiques au pouvoir ne brillent pas par leur idées révolutionnaires et innovantes, et s’illustrent surtout par une vieille nostalgie morbide pour un fantasme de la France du Général de Gaulle, alors le SNU est sorti de terre. Nous revoilà à chanter la Marseillaise de bon matin, à respecter des ordres abscons pour apprendre la « discipline » et à porter un uniforme pour mettre chacun à égalité. Et si on s’interrogeait ?
« La mise en place d’un Service national universel (SNU) vise à impliquer davantage la jeunesse française dans la vie de la Nation, promouvoir la notion d’engagement et favoriser un sentiment d’unité nationale autour de valeurs communes. »
Site du Gouvernement
La nostalgie au détriment de l’ambition
Le SNU est une mauvaise idée en soi. On ne peut pas forcer quelqu’un à s’engager, car c’est contraire au principe de l’engagement qui veut que chacun prenne conscience de son utilité en chaque instant par rapport à la société et aux autres. Pour une part, en caserne, il aurait vocation à apprendre la discipline à une jeunesse désemparée. C’est cette jeunesse à laquelle la société ne donne pas les moyens suffisants pour s’immerger dans la culture, découvrir la peinture, faire du sport et où seuls les plus riches y ont accès. Le SNU passe à côté de l’essentiel : il ne résout en rien les problématiques majeures de notre temps que la culture et le sport ont pourtant largement les moyens d’appréhender. L’économie de la connaissance est ignorée au profit d’une réponse de posture qui se focalise sur le sentiment national au détriment de la vie en société.
Prise à la lettre et hors contexte, la discipline n’est pas intrinsèquement une bonne chose. Respecter des ordres idiots n’a aucun sens lorsque la discipline d’une tactique sportive et d’un orchestre s’imposent pour la pratique : elle va de soi dans ce cadre. Ce sont d’ailleurs de belles pratiques. Plus encore, la patience, la connaissance, le numérique sont-ils vraiment captés par l’expérimentation du SNU ? Forme-t-on des citoyens éveillés, conscientisés et ouverts sur le monde ? Par là, il semble plutôt que le SNU soit ce drôle d’objet nostalgique et un peu dégoûtant où l’exaltation de l’identité nationale et l’expression de l’honneur patriotique sont galvanisés dans un système où règne le mérite. Le SNU se positionne sur trois aspects : cohésion sociale et territoriale ; prise de conscience, par chaque génération, des enjeux de la défense et de la sécurité nationale ; développement de la culture de l’engagement. Rien sur la question de l’image, rien sur les enjeux de société contemporains, rien sur le numérique ni encore sur la culture. On parle de cohésion, mais sans rien donner au quotidien pour qu’elle existe. Le SNU ressemble à une grosse tarte à la crème périmée sortie du frigo d’un homme politique un peu dépassé qui croit aux vieux remèdes lorsque les maux sont profonds.
Les vieux principes servis aux réactionnaires
Les partisans des vielles méthodes et qui râlent sans cesse sur la jeunesse seront heureux. L’uniforme est de retour pour l’égalité, la cohésion et le vivre-ensemble. Pendant quelques semaines en tout cas. Car ci-tôt terminé, la réalité politique, en dehors des enrobages de communication et les bonbons distribués aux faux téméraires, reprendra le dessus. Le vrai combat pour l’égalité, ce n’est donc pas l’uniforme : elle se joue au niveau socio-économique, là où précisément le gouvernement actuel mène une politique néolibérale qui creuse les inégalités. Les vrais enjeux sont oubliés. Alors, la citoyenneté, c’est l’engagement volontaire et non pas forcé, c’est de donner envie aux jeunes avec des moyens pour créer des projets. C’est éradiquer le travail étudiant pour permettre à ceux qui poursuivent leur apprentissage de faire des projets à côté de leurs études, de découvrir, de voyager, de sortir, de s’intéresser à des trucs et à agir pour le bien commun, ou même de rester chez eux parce qu’étudier, c’est à temps plein une activité. Il y a, dans le discours insinué du Gouvernement, quelque chose d’assez scandaleux qui consiste à banaliser cette pratique pour ne pas assumer sa responsabilité. Le SNU est un écran de fumée. Les étudiants aimeraient pouvoir manger, sans devoir faire double journée pour survivre. La grande majorité vit en-dessous du seuil de pauvreté, mais au Ministère de l’éducation, cela semble normal. Sous-entendu : « sortez-vous les doigts et allez travailler ».
L’exaltation patriotique comme trompe-l’œil
Plus encore, la Marseillaise est chantée pour forcer le sentiment national là où la France est riche de sa culture, de son art, du sport, des projets que les gens ont entre eux mais encore de ses écoles, de ses savants, de ses artisans, de ses artistes. Cela semble d’autant plus paradoxal que le Gouvernement ne lésine pas sur le lobbying pro-européen alors que les peuples aspirent à un retour aux identités régionales voire locales. Le SNU favorise donc l’identité nationale tandis que l’Union européenne gomme les particularismes. Drôle de principe.
C’est encore plus risible (ou scandaleux, au choix) quand on sait que des Youtubeurs adulés par les adolescents ont été payés très cher pour faire des vidéos vantant le SNU. A d’autres moments ou en d’autres Etats, cette méthode porte un nom.
En fin de compte, l’expérience pourrait déboucher sur l’universalisation réelle du SNU, balayant au passage les espoirs d’innovation et d’idées nouvelles portées par la société civile et les associations. Car on ne fait jamais rien de bon à secouer les vieilles bouteilles. Chaque période vaut pour ce qu’elle a été, et ne doit pas faire jurisprudence sur le temps que nous vivons. C’est encore plus vrai quand on manque d’idées et qu’on affiche son impuissance et sa suffisance à ce point. Le SNU est un condensé d’idées entamées, de vieux principes, de fantasmes tristement banals : en une phrase, c’est une sorte de reliquat d’un passé éprouvé et ramolli érigé en grande prouesse nationale.