La crise sanitaire mondiale liée au Covid-19 a permis à Donald Trump de retrouver une tribune médiatique et politique et cela, tout le monde (littéralement) peut l’entendre, pour dire des choses formidables, évidemment. Fermeture unilatérale des frontières américaines, mesures de protection relativement peu encouragées, insultes aux journalistes critiquant le manque de préparation du pays et enfin, la cerise sur la gâteau de l’absurdité, une proposition de soins aux UV et aux injections de désinfectant… Un joyeux cirque donc, à l’heure où la primaire démocrate a désigné Joe Biden comme candidat à la présidentielle, suite à l’abandon successif de tous les candidats jusqu’à l’inépuisable Sanders. Il semble en effet qu’il se passe quelque chose en Amérique, précisément au moment où il ne se passe plus rien d’autre.
« Keep making America great »
Le slogan était tout trouvé, mais comment remettre au goût du jour et à l’agenda national les sujets de prédilection du Président sortant ? Une soupe de pangolin aura pourtant suffit. C’est aujourd’hui le concert des nations qui se voit contraint de jouer la symphonie trumpienne. D’abord, un virus jugé bénin est repéré en Chine, nouvel ennemi numéro 1 des États-Unis désigné par son nouveau Président en 2016. L’occasion parfaite de rappeler l’antagonisme avec la République Populaire, et la nécessité d’affirmer les États-Unis comme une puissance internationale face au péril rouge. En témoigne l’annonce de la suspension de la contribution financière américaine à l’OMS début avril. L’Organisation Mondiale de la Santé étant jugée trop favorable à la Chine, puisqu’elle n’aurait jamais essayé de démentir les chiffres (probablement erronés) de l’épidémie donnés par l’administration de Xi Jinping.
En s’attaquant frontalement à l’OMS, Trump rappelle à son électorat son insensibilité à l’idéologie intergouvernementaliste et de gouvernance mondiale. Il avait la même intention en déchirant l’accord de Paris pendant un meeting ou encore en rétablissant les sanctions économiques contre l’Iran sans consulter l’ONU. L’Amérique fait cavalier seul et n’a besoin de personne, ni dans sa politique étrangère, ni dans sa politique environnementale (logique, puisqu’elle n’existe plus au niveau fédéral), ni dans sa gestion de crise sanitaire.
D’ailleurs, il n’a pas fallu longtemps pour que Trump décide de fermer les frontières, encore une fois, de façon plus politique que sanitaire. Le 11 mai, il annonce la fermeture des portes américaines aux « européens », alors jugés comme la source du virus. Ainsi, les États-Unis se referment sur eux-mêmes, physiquement comme tout le monde, mais bien plus symboliquement, se referment sur leur espace et leur politique : la crise est mondiale, mais la solution sera trouvée pour les américains, uniquement les américains. Une décision d’autant plus politique que l’Europe pointée du doigt est l’Europe de Schengen, en aucun cas une Europe géographique, véritable vivier de l’épidémie, mais bien une Europe construite politiquement. Les britanniques, par exemple, pouvaient encore en mai voyager sans peine vers États-Unis. Trump rappelle à ses électeurs que le combat contre la Chine se passera de l’Union Européenne, responsable des maux du monde.
You fake news.
Reste une dernière chose à remettre au goût du jour pour assurer à l’administration Trump de rester encore un peu plus à Washington, le pouvoir d’avoir raison. Avec les commissions d’enquête sur l’ingérence russe et l’affaire ukrainienne (Trump aurait commandité à un proche du pouvoir ukrainien des investigations sur son – alors potentiel – adversaire Joe Biden), l’impérialisme trumpien sur la vérité s’est effrité. Après avoir contribué à faire de Donald Trump une figure récurrente du panorama people / média américain, la chaîne Fox News voit son patron historique Roger Ailes obligé de démissionner face à des allégations d’harcèlement sexuel en 2016. Un an plus tard, il décède, laissant la chaîne véritablement orpheline d’un faiseur de rois, proche des sphères du pouvoir, très largement responsable de l’élection de Trump. Il sera alors un peu plus dur pour le nouveau Président d’imposer sa vérité, d’accoler à tout reproche de CNN ou du Post le tampon « fake news ». Certes, cela ne l’a pas empêché de le faire, mais la dichotomie s’installant, elle joua en sa défaveur, Fox News ne canalisant qu’un public déjà conquis.
La crise du Covid-19 a été l’occasion pour plusieurs dirigeants de se réapproprier les médias, ayant ces dernières années repris un peu plus leur rôle de contre-pouvoirs. Ainsi Edouard Philipe répond au Parlement en direct sur BFM, Emanuel Macron s’adresse aux Français par l’intermédiaire de TF1. En somme, une sorte « d’union laïque » entre gouvernement et médias permet à tous les citoyens de recevoir une information la plus complète possible, tout du moins celle que le gouvernement est le plus disposé à donner. Aux États-Unis, Trump perpétue ses traditionnelles sessions presses, dans des conditions sanitaires relativement mauvaises pour les journalistes d’ailleurs. Les médias et le Président se livrent alors à une bataille pour la conquête du monopole de la vérité, les médias s’interrogeant sur des faits et déclarations, le Président répondant en tentant de prouver la logique politique derrière chaque intervention, chaque soupir des journalistes. Ainsi, il disqualifie toute opposition, reprend plus fermement son tampon fake news et affirme la tête haute qu’il est le meilleur, que la crise n’est nulle part mieux gérée et que bientôt, elle sera finie… Pas forcément faux si tous les américains se soignent par shots d’eau de javel…
En fin de compte, Trump a bien réimposé ses sujets dans le débat, alors que Joe Biden tousse au JT du 20h. Mais la situation américaine est catastrophique, l’État fédéral ne s’étant jamais vraiment préparé à une crise sanitaire pourtant signalée comme probable depuis l’administration Bush fils. Les américains, s’ils sont fournis en discours, le sont moins en solutions. Automédication et imprévoyance ont causé de nombreuses morts évitables, même en période de pandémie mondiale. Pandémie pourtant bien signalée par l’OMS, prise en compte assez tôt par l’UE et reportée dans les médias. Trump se voit déjà en tête des sondages, mais quelle Amérique restera-t-il quand il n’y aura plus rien du virus ?