Avant toute chose, je souhaiterais rendre hommage à Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, sauvagement assassiné. L’enseignement de l’Histoire est peut-être une des choses les plus essentielles pour faire cesser les horreurs que nous affrontons depuis plusieurs années. Sur ce, bonne lecture à vous !
Le roi, représentant des Français ?
Il est primordial de rappeler que les premiers rois de nôtre histoire ne se qualifiaient pas de « Roi de France » mais de « Roi des Francs » (Rex Francorum). Tout simplement car le royaume des francs et ses évolutions sont à l’origine du royaume de France. Les rois étaient aussi et surtout des « princes de la chrétienté » qui luttaient également pour l’extension de leur influence.
Cette tradition persista depuis la fondation du royaume par Clovis et jusqu’au XII° siècle où le roi Philippe Auguste commence à se faire nommer « Roi de France » (Rex Franciae) dans les actes. Ce n’est qu’en s’affranchissait du système féodal que (très) progressivement, le roi deviendra le représentant de l’État. C’est donc lui qui tenta pour la première fois de construire « une nation » au sens médiéval du terme bien entendu.
L’image du roi évolue donc tandis que depuis le VIII° siècle déjà, la langue d’oïl, parlée dans la partie nord du pays, se rapproche du « français » sous des formes très variables. Reconnaissons-le : parfois, à quelques dizaines de kilomètres, on ne se comprenait déjà plus.
Soulignons aussi que les habitants de ce royaume de France naissant n’ont pas la moindre idée d’appartenir à un peuple et à une Nation. Ce sentiment apparaîtra timidement bien plus tard, en certaines occasions comme la Guerre de Cent Ans.
Des prémices chez les auteurs ?
En 1420, durant la guerre de Cent Ans, le traité de Troyes entérine le dessus pris par l’Angleterre depuis Azincourt (1415) dans le conflit dynastique généralisé entre Valois (dynastie française) et Plantagenêt (dynastie anglaise). Il instaure cette dernière sur le trône de France (au détriment de Charles VII de France).
Certains français commencent alors à s’interroger sur cette « occupation » étrangère (attention à ce terme, on n’est pas encore en 40 les gars). C’est le cas d’Alain Chartier, poète, écrivain et homme d’état du XV° siècle.
En 1422, dans Le Quadrilogue Invectif, il rédige en ancien français une des premières personnifications du royaume sous des traits féminins : « Dame France ». Dans cette œuvre, la France s’adresse à ses trois enfants : la Noblesse, le Clergé et le Tiers-État (les trois ordres de l’Ancien Régime en bref). Ces derniers échangent sur les maux du royaume en cette période troublée et les représentants de chacun des ordres s’accusent mutuellement (comme quoi les querelles sociales ne sont pas nouvelles). À la fin de l’œuvre, « Dame France » les rappelle à l’ordre et appelle à l’union pour le salut du pays. Œuvre très intéressante.
Par la suite, de nombreux auteurs prirent également le parti de défendre le royaume. C’est le cas par exemple de François Villon, dans sa « Ballade contre les ennemis de la France » (aux alentours de 1460-61).
Qui mal vouldroit au royaume de France !
François Villon
Dans ce poème, chaque strophe se compose de malheurs bibliques et de malédictions mythologiques. L’auteur menace toute personne « Qui mal vouldroit au royaume de France ! » de toutes les choses terribles qu’il cite (la phrase ponctue la fin de chaque strophe). Le message est clair, il ne faut pas vouloir du mal de la France. Pour les intéressés : le poème est disponible en français moderne ici.
L’ennemi Anglais, facteur d’union ?
Si la guerre de Cent Ans a inspiré les auteurs, ce ne fut pas une « résistance » flagrante (encore une fois, attention à ce mot). Peu de personnes du « peuple » avaient accès à ces œuvres mais des écrits comme ceux du « Bourgeois de Paris », laissent à penser que le peuple s’interroge sur la présence de ces « anglois ».
Il décrit dans son ouvrage l’enterrement de Charles VI de France. A l’issu de la cérémonie à Notre-Dame-de-Paris, son épée est remise au régent le Duc de Bedford, (oncle du roi Henri VI d’Angleterre, nouveau roi de France par le traité de Troyes). Il précise qu’à cet instant « le peuple murmurait fort ». En revanche, notons aussi que certaines provinces du territoire français sont véritablement contrôlées par l’Angleterre sans opposition aucune des populations.
Et Jeanne alors ?
Jeanne d’Arc, symbole du sentiment français ? Son « épopée » a marqué ses contemporains et redonné un second souffle français dans la guerre de Cent Ans, c’est certain. Elle fut utilisée dans les siècles suivants et notamment au XIX° siècle où elle devint une véritable image d’Épinal. Il faut dire que l’histoire est belle : une bergère de la Meuse qui s’élève pour défendre la France contre ses envahisseurs. Pour autant, il reste difficile de dire ce qui avait poussé la pucelle à prendre les armes contre les anglais.
Les historiens restent très divisés sur la question, certains mettent en avant son patriotisme tandis que d’autres avancent plutôt l’idée d’une femme très pieuse (d’où les voix divines qu’elle aurait entendu) qui souhaitait juste rendre au royaume sa dynastie sacrée et légitime (sans réel patriotisme). En tout cas, elle délivrera Orléans et appuiera le sacre de Charles VII à Reims. Pour une femme au Moyen-Age, il fallait le faire ! La suite en revanche, on la connait tous…
Et après ?
De nombreuses décennies plus tard, François Ier édicte la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts. C’est officiel : en 1539, la langue française devient la langue officielle du royaume. Ceci est une date marquante puisque c’est le début de l’uniformisation du pays autour d’une langue. Et Dieu sait si cela est important dans la construction d’une nation. Il faudra cependant encore bien longtemps pour que l’on se mette à parler le même français dans toutes les provinces du royaume, les disparités régionales restant importantes.
Progressivement, les rois et siècles se succédant, le sentiment français pénètre de plus en plus la population et la fierté d’appartenir à ce territoire sera grandissante jusqu’à la Révolution Française, période où la patrie sera exaltée. À partir de là, on peut concrètement parler de sentiment français.
Viendra ensuite le XIX° siècle et le mouvement des nationalismes en Europe (encore une fois, attention : le nationalisme à ses débuts n’a pas le même sens qu’aujourd’hui). Il aboutit à l’écriture du « roman national » dans lequel de nombreux personnages historiques sont utilisés pour exalter la patrie et l’histoire de son territoire : les gaulois, Clovis, Saint-Louis, Jeanne d’Arc, Louis XIV, la Révolution, Napoléon, la République, etc…
Sujet complexe donc ! Il aurait fallu bien plus de lignes et de documentations pour aborder la question, à laquelle j’espère vous avoir initiée.
Merci d’avoir lu et à très bientôt !
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