Encore une fois, les médias sont dans l’émotion. Ils sont aussi dans le buzz. On entend beaucoup d’hypothèses, beaucoup de rumeurs, beaucoup d’opinions, et finalement très peu d’informations, de science et de faits. Finalement, les médias se nourrissent du buzz et de la panique et la période actuelle est particulièrement vertueuse en ce sens. Le Covid-19 est un révélateur des pratiques médiatiques comme d’autres crises en leur temps. Le système médiatique fonctionne par priorité du buzz : on ne parle plus de terrorisme alors qu’il y a eu un attentat à Romans-sur-Isère, pas d’affaire burkini dans les parages, pas d’affaire people, David et Laura ne sont plus mentionnés nulle part (à part sur NordPresse) ; bref, c’est champ libre pour le Covid.
La communication de crise ou l’art du mensonge, de l’improvisation et de la manipulation
La communication gouvernementale a été marquée par l’improvisation la plus totale. Le 7 mars, Emmanuel Macron se rendait au théâtre avec sa femme pour inciter les gens à sortir malgré le Coronavirus. Dix jours plus tard, la France entière était confinée. Cette impréparation à la crise sanitaire actuelle est incarnée, presque symboliquement, par la personne de Sibeth Ndiaye. Porte-parole du Gouvernement, la Secrétaire d’État a multiplié les bourdes, reprises en boucle par des médias friands. On se souvient de sa démonstration peu convaincante sur le port du masque, expliquant que mettre un masque demandait des « gestes techniques précis » ou encore de sa bourde sur les fraises gariguettes qui ne seraient pas ramassées par « les professeurs qui ne travaillent pas actuellement ». Mais ce qui ressort avant tout, c’est pourtant le discours de fond. Dans une longue interview sur France Inter le 4 mars dernier, Sibeth Ndiaye nie en bloc toutes les mesures prises les jours suivants dans un élan d’honnêteté qui inquiète plus qu’il ne rassure.
Si elle avait menti, alors on aurait pu juger sa stratégie sous un autre angle. Mais l’idée qu’elle ait pu dire vrai illustre, en conséquence, l’improvisation qui a saisi le pouvoir les jours suivants. Il a alors cherché à maîtriser sa communication, à saturer l’espace public pour rassurer et garder la main. Emmanuel Macron s’est présenté, une fois encore, comme le protecteur de la Nation et ses ministres se sont mis au diapason. Cause perdue ; les sorties médiatiques calamiteuses de nombre de ses ministres ont eu raison de cette stratégie et l’Élysée a réorganisé sa communication. Depuis, on constate que seuls Édouard Philippe et Olivier Véran communiquent en jouant la carte de la transparence et du discours rassurant. Le Ministre des Solidarités et de la Santé n’avait d’ailleurs pas hésité à jouer la pédagogie sur le plateau de BFMTV début mars.
Cette séquence a d’ailleurs participé à accroitre sa cote de popularité et elle est, à mon sens, comme un collier d’immunité et un élément qui participe de l’imaginaire médiatique qui inspire confiance chez les citoyens. Reprise en boucle par les médias et sur les réseaux sociaux, elle a forgé une certaine idée de la franchise du nouveau ministre et, depuis, il continue de communiquer et d’être relayé dans les médias avec son Directeur de la Santé.
Toutefois, cette saturation de l’espace médiatique – qui se confond quasiment totalement avec l’espace public maintenant que nous sommes tous confinés avec un nombre d’interactions sociales limité – n’empêche pas de relever des incohérences de taille qui s’apparentent presque à des mensonges. Si on observe attentivement les recommandations de l’OMS, on constate que, depuis le début, la France a 15 jours à 1 mois de retard dans leur application. Le problème de l’OMS est qu’elle n’a aucune autorité pour imposer des mesures aux États membres. Toutefois, et même si elle-même accuse un certain retard dans la prise en compte réelle de l’ampleur de la pandémie, elle alerte le monde depuis février. Et alors qu’elle demande un dépistage pour chaque cas symptomatique, le Gouvernement français les réserve aux personnes à risque. Dans le même sens, l’OMS et des milliers d’experts préconisent le port obligatoire du masque pour tous mais le Gouvernement continue d’expliquer qu’il n’est pas utile si l’on n’est pas malade. En fait, la France n’est pas en capacité de dépister massivement, alors elle rétorque que ce n’est pas nécessaire. Derrière une communication bien huilée et l’apparence d’une pédagogie bienveillante se cache en réalité une gestion de crise pragmatique : la France n’a tout simplement pas les moyens de protéger sa population ; elle n’a ni les masques, ni les tests, ni les personnels de santé pour le faire, alors elle ment. Dans cette période médiatiquement intense, la parole politique est pourtant mise sur un pied d’égalité avec la parole scientifique. Il conviendrait de rétablir un schéma rationnel : le scientifique est l’expert du sujet, le politique est celui qui décide. Entretenir le flou entre ces deux rôles distincts alimente la défiance de l’opinion publique envers le système politico-médiatique et joue à la faveur des complotistes.
On constate aussi une manipulation des images dans la communication de l’Élysée. En visite à l’hôpital Bicêtre, Emmanuel Macron est visible en train d’applaudir avec le personnel soignant.
Pourtant, une soignante de l’hôpital explique à Actu Val-de-Marne que « Cette vidéo est tronquée. Elle ne montre pas l’intervention de dix minutes d’une soignante qui a interpellé Emmanuel Macron. Elle a terminé en demandant au Président si le personnel hospitalier pouvait s’applaudir. À aucun moment nous n’avons applaudi Emmanuel Macron ».
Plus tôt, à Pantin, Emmanuel Macron en profitait aussi pour redorer son image.
Les images sont authentiques. Ce qui est intéressant est de voir comment elles sont utilisées pour mettre en récit la gestion de crise du Président. Elles ne disent pourtant rien mais elles donnent à voir de l’enthousiasme et contribuent à brosser la sympathie d’Emmanuel Macron dans le bon sens et à le présenter comme Père de la Nation, cette fameuse figure protectrice héritée de la monarchie.
Le passage sous silence des lois d’état d’urgence sanitaire
Alors que bon nombre de citoyens appellent de leurs vœux que le monde d’après soit plus social et écologique, les ordonnances promulguées pour « assouplir » le droit du travail ont de quoi faire frémir. Dans le même temps, Bruno Le Maire prépare déjà le retour de l’austérité : « il faudra faire des efforts » assure-t-il. Le vieux système politique et ses logiciels périmés continue ses ravages.
Les lois d’état d’urgence sanitaire adoptées le 20 mars 2020 pour adapter le droit du travail à la crise ne prévoyaient pas, initialement, de date de fin. Face à la fronde qui menaçait, le Gouvernement a finalement posé la date du 31 décembre 2020. Quasiment pas commentées dans les médias, ces lois portent atteinte au droit du travail et au Code de la sécurité sociale de façon sensible. Ainsi, la durée quotidienne de travail est portée à 12 heures maximum, au lieu de 10 heures actuellement, celle du travail de nuit à 12 heures au lieu de 8 heures. Le temps de repos entre deux journées de travail est réduit à 9 heures contre 11 heures auparavant mais surtout la limite hebdomadaire du temps de travail est portée à 60 heures au lieu de 48. Enfin, le travail est étendu potentiellement le dimanche. Ces dérogations temporaires au droit du travail s’appliqueront aux secteurs « essentiels » à la vie économique du pays, mais le Gouvernement décidera seul lesquels sont concernés. Bien entendu, les syndicats s’en sont inquiétés, mais il semble que le Gouvernement jouisse de la complaisance des médias pris dans une sorte d’union sacrée anesthésiante. Clairement, ce sujet-là n’est pas à la Une.
Pourtant, la question sociale est bien au cœur de la crise que nous traversons. Ainsi, ce sont les personnels de santé, en grève il y a quelques semaines tout juste, qui sont en première ligne mais aussi tous les services publics qui manquent de moyens. Il y a aussi tous ces métiers du quotidien des Français, « ceux qui ne sont rien » comme l’avait dit Emmanuel Macron, qui continuent le travail pour permettre au pays de passer cette crise. Il y a comme un révélateur intéressant en cette période qui rappelle à tout un chacun sa place et nous suggère que ceux qui sont les plus mal rémunérés, les moins respectés souvent, sont ceux dont le pays ne peut pas se passer. Médiatiquement, il y a encore une sorte de paradoxe entre ces scènes de bienveillance à 20 heures, chaque soir, reprises en cœur y compris dans la communication gouvernementale et ces scènes, tolérées, de personnels de santé gazés par les forces de l’ordre et l’indifférence au cri d’alerte des 1 000 médecins urgentistes démissionnaires fin décembre 2019. Quelques semaines plus tard, leur colère prend du sens.
Et alors que le Gouvernement est responsable d’une crise sociale sans précédent qui dure depuis ses débuts, Gérald Darmanin affiche sa déconnexion avec le monde réel.
En proposant une cagnotte solidaire, c’est-à-dire un complément aux systèmes de solidarité qu’Emmanuel Macron et ses ministres ont mis à mal, le Ministre du budget (qui semble toutefois avoir revu sa copie depuis) a reçu les foudres de l’opposition qui lui renvoie la responsabilité d’avoir supprimé l’ISF. En terme de communication, il y a assurément plus adroit.
L’impérialisme médiatique sur le Covid-19 : la science rabaissée en opinion
Depuis le début de la crise, les plateaux TV et les Unes des magazines grouillent d’avis de pseudos spécialistes. Rien n’est traité sur le fond et, chaque jour, les médias balancent des hypothèses plus ou moins stupides pour alimenter l’audience en contenu. L’usage abusif du conditionnel témoigne de l’incertitude voire carrément de l’hypothèse délibérée pour avoir la primeur des consommateurs.
C’est l’ère des spéculations en continu, des hypothèses médiatiques et du doute généralisé. Mais ici, le doute n’est pas méthodique. L’emploi du conditionnel illustre l’incapacité des médias à considérer la parole scientifique comme celle d’experts mais plus encore, de donner des informations, c’est-à-dire des données précises et avérées, aux citoyens.
En fin de compte, cette ère médiatique sans précédent abîme la parole des professionnels : si toutes les opinions se valent au nom de la prétendue liberté d’expression que les médias instrumentalisent pour doper leurs audiences (RMC répète sans cesse « Vous avez la parole », « Donnez votre opinion »), alors celle des spécialistes ne peut pas prévaloir, au moins en apparence, sur celles des chroniqueurs, des curieux, des politiques et des lambdas. Le débat est ouvert et le politique a forcément raison là où il serait de bon ton que le scientifique, c’est-à-dire le véritable expert du sujet, soit entendu.
À vrai dire, il ne devrait pas être question que l’opinion l’emporte sur le sujet. Le Covid-19, avant d’être une crise sanitaire et donc sociale, est une affaire médicale sur laquelle sont habilités à donner un avis éclairé les seuls experts, c’est-à-dire les médecins et les scientifiques. Là encore, on peut se référer à la théorie politique de Julien Freund sur le degré d’intensité d’une question estimée d’intérêt public et donc mise sur la place publique. Cette approche permet à Freund de souligner l’importance des mass media qu’ils mettent ou non telle ou telle affaire sur la place publique en lui conférant une importance politique. Si personne ne doute de l’intérêt politique de la crise du Covid-19, on peut toutefois s’interroger sur la pertinence de l’avis d’un grand nombre de personnalités incompétentes en la matière. Ici, c’est aux médecins de nous indiquer la marche à suivre, personne d’autre n’est compétent pour s’exprimer.
Venons-en au sujet qui agite les débats, la chloroquine. Et je me permets de citer ici la remarque liminaire de Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de C l’Hebdo sur France 5 samedi 11 avril : « Je pense que si la question avait pu être traitée dès le début pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un sujet scientifique et de médecine, sans doute il n’y aurait pas eu cet emballement. Il y a eu la volonté de diaboliser le professeur Raoult qui a donné le résultat contraire. Ça ne mérite toutefois pas une guerre de religion. Mais le Président de la République a quand même peut-être contribué à détendre cette atmosphère aujourd’hui. » Le député poursuit en racontant son échange avec le Professeur Raoult qui lui confie que « […] chacun des deux médicaments que je recommande est utilisé par plus d’un milliard de personnes au quotidien » et de conclure « Mais je ne vais pas aller plus loin car qui suis-je pour avoir un avis sur la question ? ».
Aussi, je crois que la question de la chloroquine a subi un embrasement parce qu’elle a été volée au champ médical par les politiques et le système médiatique. Elle a été mise sur la table comme un sujet de débat national alors qu’elle n’est affaire que de médecine, et la médecine est affaire de soins.
Pour Didier Raoult, c’est une « affaire de pratique médicale et non pas de recherche ». Sa conclusion est qu’il faut soigner les gens, d’autant que la chloroquine est disponible, sans ordonnance, depuis très longtemps en pharmacie. Il y a donc paradoxe. Il regrette que ce soit des non-médecins qui parlent de santé. On revient à l’idée de saturation de l’espace médiatique par des pseudos spécialistes alors qu’il faut donner la parole aux médecins, aux experts véritables du sujet. Je m’applique cette logique : je ne suis pas médecin, je ne m’aventure pas sur la question de la chloroquine et je laisse le Professeur Raoult en parler mieux que moi :
À vrai dire, je crois que c’est un sujet qui n’avait rien à faire sur un plateau TV parce que ceux qui en parlent n’y comprennent rien et que ça finit par alimenter des théories du complot absurdes, encore que hilarantes, qui se répandent comme une trainée de poudre.
La stupidité attristante des complotistes
Je dis souvent que les complotistes sont des gens avec de bonnes intuitions aveuglés par l’excitation du scandale improbable et la bêtise mais aussi lassés par les mensonges et la manipulation. Les théories qui circulent actuellement sont toujours aussi stupides et ridicules et il ne faut pas défendre ceux qui les relaient. Je crois qu’il faut plutôt leur dire qu’ils sont au moins très naïfs et déconstruire les mensonges.
La plus populaire concerne le lien supposé entre Agnès Buzyn, son mari et le Professeur Raoult. À ce sujet, France Info a réalisé un très bon fact checking, qu’il ne sert à rien de reproduire en moins bien.
La conséquence de tout ça est l’héroïsation d’un expert qui jouerait contre la volonté obscure du Pouvoir dans un jeu à l’étrange équation au détriment de la rationalité, de la science et de la pratique médicale. Il faut se détendre et analyser.
En tout état de cause, les médias sont un porte-voix des politiques, surtout quand ils vont contre les citoyens et l’intérêt général. Depuis quelques jours, les réseaux sociaux voient refluer un certain nombre de vidéos, dont celle d’Eric Woerth répandant l’idée qu’il y aurait trop de lits d’hôpitaux en France.
En ces temps de confinement prolongé, acceptons de ne pas avoir d’avis, de nous risquer aussi à faire confiance aux experts, à croiser les sources et à creuser avec bon sens et réflexion. Le Covid-19 nous rappelle à quel point les médias dominent notre société et en quoi leur étude est plus que jamais essentielle. Désintox s’illustre en 2.0 pour endiguer la pandémie de désinformation.