Mais qu’est-ce que Ça ? Un objet cinématographique indéfini, assurément un petit bijou intelligent et raffiné qui, à défaut d’un véritable film d’horreur, est un thriller haletant et intense.
Mystérieux et pour le moins palpitant, on pouvait pourtant craindre le flop. Rassurez-vous, il n’en est rien. Le réalisateur a la grande intelligence de rendre à l’écran, par le matériau cinématographique, le cœur du projet de Stephen King. Et ce n’est pas une mince affaire. Jusqu’à présent, seul Stanley Kubrick avec The Shining était vraiment parvenu à traduire, par le cinéma, la tension du roman de King. Déjà, la scène d’ouverture, si les lecteurs du romancier américain regretteront qu’elle livre l’intrigue aussi tôt, donne le ton d’un film aux ressorts scénaristiques convenus et pourtant si justes.
Un film d’initiation
Ça, c’est d’abord le portrait critique d’une société américaine très stéréotypée, profondément patriarcale, violente et égoïste. A l’image du père possessif et dur (et plus encore ?) avec la jeune Beverly Marsh ou encore le groupe de brutes locales emmené par Henry Bowers, le fils du shérif, qui persécute le « club des ratés », les motifs de violence sont nombreux. Ainsi, le film présente plusieurs « portraits » et stéréotypes qui rappellent à chaque spectateur des expériences personnelles plus ou moins douloureuses. Le climat installé à l’écran est malsain et gênant. Et puis, tout le monde aura compris que le propos du film demeure le passage de l’enfance à l’âge adulte, de sorte que le point de vue est subordonné à celui des adolescents. Et c’est là toute l’ingéniosité d’Andrés Muschietti qui, par le biais de la focalisation, intègre les spectateurs au groupe d’adolescents qui sont les seuls à voir « Ça ». On remarquera aussi que la figure du clown renvoie à une peur d’enfants qui ne s’éteint pas avec le passage à l’âge adulte. Le choix de Stephen King est donc d’autant plus judicieux. Plongés dans une quête de sens et de réponses existentielles mais aussi d’émancipation familiale, les personnages sont tour à tour confrontés à leur peur la plus profonde incarnée par « Ça ».
Le « ça »
Le film approfondit les interrogations et les références choisies par le génial Stephen King. Car la question est bien de savoir ce qu’est « Ça » et en la matière, le moins que l’on puisse dire c’est que les idées ne manquent pas. Comment ne pas immédiatement faire le lien avec la pensée de Freud ? Dans sa théorie, le neurologue, fondateur de la psychanalyse, entend définir par ce pronom indéfini la part la plus complexe et non moins fondamentale de notre psychisme : l’inconscient. En ce sens, le « ça » est le lieu de l’énergie pulsionnelle et de l’hérédité, de l’inné ou bien encore du refoulé. Voilà qui est intéressant par rapport au film dans la mesure où il ne répond à aucune logique ou cohérence, échappe à notre volonté première et influe sur nos faits et gestes. C’est exactement ce qui se produit tout à tour pour chacun des adolescents du film. Ça, c’est l’expression des peurs personnelles de chaque être, d’où le point de vue systématique des personnages partagé par les spectateurs. Chaque personnage voit quelque chose qui puise dans ses souvenirs, ses peurs, ses fantasmes, ses angoisses ou ses traumatismes. C’est l’expression la plus fondamentale de notre inconscient. Ça est aussi introspectif, il explore les peurs de chaque spectateur pour les percer en plein jour. C’est une véritable catharsis qui est ainsi opérée.
Mais on peut aussi voir une autre référence dans le film. C’est celle de Nietzsche illustrée par la célèbre formule « Quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde de ne pas devenir monstre soi-même.Quand tu regardes l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi. » Il faut prendre l’expression dans son sens pathologique mais en aucun cas dans une dimension moralisatrice (il n’y a pas de morale dans le film). Le risque, dans l’œuvre de Muschietti, à force de regarder « Ça », c’est qu’on le devienne. Et cette idée se trouve parfaitement catalysée par la bande de brutes. On pourrait même étendre la réflexion pour la jeune fille vis-à-vis de son papa (pas de spoil). Ça c’est davantage tout le mal qui est inhérent à la société (la figure du père, de la mère, les jugements d’autrui, les harcèlements, la violence, etc.) que la seule incarnation par le clown. Ça transpire le cinéma
Ça transpire le cinéma
Il y a là un jeu raffiné et réflexif sur l’objet cinématographique. C’est sans doute un élément qui permet de saisir la finesse de l’esprit du réalisateur qui interroge la matière filmique à mesure qu’il fait progresser la narration. Certaines scènes sont particulièrement évocatrices, à l’image du projecteur dans le garage lorsque le groupe des « ratés » enquête sur le phénomène mystérieux. L’imbrication du cinéma dans le cinéma qui introduit une classique mais non moins plaisante mise en abyme est poussée à son paroxysme lorsque le projecteur, mis au sol par l’un des adolescents pour faire cesser l’affreuse image qu’il déploie, continue de tourner. Le cinéma ne s’arrête donc jamais. C’est aussi parler de l’intercommunication entre les espaces dans la mesure où la mise en abyme concerne, comme dans Sinister, le film lui-même et la salle de cinéma et ses spectateurs.
Les cinéphiles ne seront pas déçus car le réalisateur a pris soin de rendre hommage à des références du cinéma d’horreur. On retrouve un clin d’œil à The Shining dans la scène de la salle de bain, à travers les écritures ensanglantées sur les murs, et le « Exit » au début. Et cela n’a rien de surprenant tant on imagine que le réalisateur cherche à s’inscrire dans le prolongement du succès de Stanley Kubrick dans l’adaptation cinématographique de Stephen King. L’Exorciste est évidemment adulé par plusieurs scènes (notamment celle du manoir avec le clown qui sort de l’armoire dans la position de l’araignée). On retrouve aussi des clins d’œil plus au moins dissimulés à Super 8 et Sinister (avec le projecteur).
Nul doute que ce remake convaincant s’inscrira bientôt dans la longue série des références du genre. En attendant la suite… dans 27 ans ?