Il y a des pays que l’actualité oublie, que la presse délaisse tant qu’ils n’ont rien à dire ou rien fait. Il y a des pays qui surgissent dans nos vies le temps d’un exploit ou d’un drame. En 2019, la Nouvelle-Zélande se révèle, d’abord dans le drame par l’attentat de Christchurch, puis dans l’exploit, par le vote d’un « budget du bien-être » le 30 mai, porté par la Première Ministre Jacinda Ardern.

C’était une promesse de campagne en 2017 pour Ardern. À la tête d’un gouvernement de coalition travailliste (un genre de 50 shades of gauches), la Première Ministre peut enfin mettre en marche son projet, novateur dans la façon d’envisager une politique publique. Plutôt que d’indexer au PIB la marge de manœuvre du gouvernement, Ardern considère que l’action de l’État doit se faire en fonction des indices de bien-être de la population. « Ce n’est pas parce qu’un pays s’en sort bien économiquement que tous ses habitants s’en sortent », rappelle la présentation du projet. Concrètement, il s’agit d’un investissement massif de l’État dans cinq secteurs phares pour réduire les inégalités : la santé mentale, le bien-être des enfants, la condition des natifs (Maori et Pacifika),  la transformation de l’économie sur le modèle d’une croissance durable et les services publiques.

capture d’écran du wellbeing budget

La cerise sur le gâteau

La Nouvelle-Zélande n’est pas le premier pays à aller dans le sens du bien-être plutôt que de la croissance. En 2008, le Bhoutan crée un « indice de bonheur national brut » (BNB). Celui-ci a été théorisé par le roi du Bhoutan dans les années 70, Jigme Singye Wangchuck, il permet  de faire passer le bonheur des citoyens d’abord dans l’élaboration des politiques publiques, avant un certain impératif de croissance économique. Le BNB se mesure en agrégeant un indice de développement économique (qui doit aussi être durable et équitable), la préservation des traditions et de la culture bhoutanaise, la sauvegarde de l’environnement et une bonne gouvernance. Au moment même où l’économie mondiale s’écroule sous le poids de la crise financière des subprimes, crise due à la folie de marchés immobiliers laissés sans surveillance ni contrôle, à ce moment même un tout petit pays, coincé entre l’Inde et la République Populaire de Chine, décide que l’argent ne fait pas le bonheur.

Le rôle des gouvernants est, à en croire le préambule de la constitution américaine, de « garantir la poursuite du bonheur ». Cet impératif s’est transformé, de par l’irruption de l’économie dans le politique, de « l’économie politique » capitaliste, en quête de croissance toujours plus forte, ce qui permettrait à tous les citoyens de bénéficier de plus de richesses et ce, pour être plus heureux. Lorsque le mur de Berlin s’effondre en 1989, on s’écrit à la victoire de ce modèle sur toute autre alternative. F. Fukuyama, américain, théorise la « Fin de l’Histoire », aucun autre modèle n’a su contredire au libéralisme, qui doit à terme se mondialiser. Or, les failles de ce modèle, qui perpétue la pauvreté, détruit l’environnement, isole les individus et détruit le lien social, s’éloigne de la perspective du bonheur.

Si le Bhoutan initie le mouvement, la plupart des pays développés se sont aussi mis à mesurer les indices de bien-être de leurs populations, le Royaume-Uni en tête. Des rapports de l’OMS, d’ONG en tout genre ou de l’OCDE permettent d’obtenir des données sur les sources du bien (ou du mal) être. Le budget néo-zélandais s’attaque alors aux principaux problèmes soulevés par ces différents indices, pour réduire les inégalités, soutenir les minorités  opprimées, développer l’éducation et permettre une transition écologique aux agriculteurs et entreprises soutenue par l’État (investissement dans la recherche, primes sur l’usage des terres). Est-ce la concrétisation d’un changement de paradigme dans la gestion de l’État ou les prémices d’un mouvement plus vaste et mondialisé ?

Investir dans l’Etat

Très novateur sur certains points (la protection des enfants, la lutte contre les maladies mentales et le suicide), le budget 2019 de la Nouvelle-Zélande renoue aussi avec certaines pratiques budgétaires enfouies sous les décombres de la crise de 1973. Si tout le monde salue l’audace d’Ardern, il ne faut pas oublier qu’elle n’a fait que remettre au goût du jour des théories économiques qui datent des années 30 : New Deal, Keynésianisme, État providence ne sont pas des néologismes maoris mais bien les concepts fondateurs du service public pour tous, de juste redistribution des richesses et de lutte contre le chômage. 1 ,7 milliards de $ investis dans les hôpitaux sur 2 ans, 1,2 milliards de $ dans les infrastructures scolaires sur 10 ans, 2.9 milliards dans la rénovation de la sécurité sociale, la partie « investir dans la Nouvelle-Zélande » du projet de budget présage un État Providence, couplé aux préoccupations contemporaines de bien-être social, sociétal, environnemental, pour préparer L’Après.