2020. 6 matchs de Ligue 1, 1 victoire pour 5 défaites. 5 buts marqués, 12 concédés. Une 18ème place sur l’année civile (seuls Angers et Toulouse font pire). Une avance sur la zone de relégation passée de 8 à 2 points. Un retard sur le top 5 passé de 4 à 10 points. Une seule recrue, et son bagage de 20 matchs de National. Pas de dégraissage. Une attaque mutique. Une défense aux abonnés absents. Un gardien qui ne se met au sol que lorsqu’il perd l’équilibre. Des blessés qui, tout juste revenus, se pètent en un rien de temps. Deux présidents totalement silencieux, au même titre qu’un directeur général présent autant qu’Alpha Sissoko ou Léo Lacroix l’ont été cette saison. Un directeur du recrutement sur le point de s’en aller. Un directeur sportif qui… ben rien en fait, il n’y en a pas. Des mises à l’écart. Un capitaine toujours aussi loquace et pragmatique sur les prestations de son équipe. Des jeunes chiens fous vides d’intelligence, des sénateurs qui fument la pipe dans un rocking-chair approchant lentement la sénilité et un coach qui ne cesse de marteler qu’il n’est « pas inquiet » (jusqu’hier).

Voilà, en bref, le panorama de la situation stéphanoise au lendemain d’une nouvelle défaite face à un cador de la Ligue 1, le Stade Brestois. Une première mi-temps tout simplement indigne d’une équipe professionnelle, une éclaircie en deuxième mi-temps mais au final, 0 point dans le colimateur. Un camouflet de plus dans une saison qui ressemble à s’y méprendre à une farce normande. Un puissant sarcasme sous forme de désaveu pour un club qui s’est bien assez vanté d’être doté du plus gros budget de son histoire (100M€), mais qui a moins dépensé que Reims, Toulouse ou Strasbourg. Un club qui a tout de même recruté 12 joueurs pour la bagatelle de 13 millions d’euros, parmi lesquels des paris, de jeunes joueurs à (re)lancer, et surtout, beaucoup d’éléments moyens voir médiocres (à ce prix-là, impossible d’espérer mieux).

Un club qui parle sans cesse d’ambition, s’auto-flatte pour sa « gestion de bon père de famille » (Roro, si tu nous lis) mais qui ne progresse jamais. Un club qui, en début de saison, a placé à la tête du sportif un technicien pas taillé pour le poste, cédant au chantage de certains cadres ayant menacé de partir dans le cas contraire. Des cadres qui se sont laissé aller, profitant du capital confiance engrangé durant une saison et demi pour changer l’Etrat en Club Med. Une préparation tronquée, pas adaptée pour une saison à 50 matchs ou plus, une équipe pas prête en août, une gestion calamiteuse de l’effectif (comment peut-on faire débuter la saison à un Khazri pas préparé, tout juste revenu de vacances après une saison terminée à la CAN en juillet ?), des blessures précoces et répétées, et des doutes qui s’installent. La cascade de blessure, une spécialité forézienne datant d’une bonne décennie. A-t-on envisagé que le fait que le staff médico-sportif n’ait pas changé d’un poil depuis tant d’années puisse avoir une incidence ? A-t-on réalisé que le copinage pouvait avoir ses limites ? Manifestement, non.

Des cadres qui ont lâché à la première difficulté, sur le terrain comme dans les vestiaires, mais qui ont, surtout, lâché leur coach. Celui qu’ils avaient choisi. Celui qui fut dégagé comme un malpropre, humilié par ses propres employeurs au détour d’une conférence de presse lunaire, malgré son amour inconditionnel pour le club. Des employeurs qui n’ont jamais assumé leur absence totale de vision à long-terme, et qui ont, depuis toujours, navigué à vue sur le plan sportif.

Des cadres, un groupe, qui n’ont, à ce jour, livré qu’une seule prestation aboutie : face à Nice, à Geoffroy-Guichard, au mois de décembre (4-1). Un groupe que l’on croyait relancé après l’intronisation de Claude Puel, victorieux dans un derby au dénouement plus que jouissif pour son premier match, et qui était même remonté à la 4ème place au soir de la 13ème journée. Un groupe qui, après 11 matchs sans défaite toutes compétitions confondues, a ensuite enchaîné 11 revers sur les 17 suivants, et 9 défaites sur 11 en championnat, dont 4 défaites consécutives (séries en cours). Un groupe qui n’a jamais montré de certitudes dans le jeu, et perdu la solidarité qui le caractérisait durant sa période d’invincibilité.

Un groupe qui ne semble plus aussi bien vivre que l’année passée. Le management façon Puel n’a rien à voir avec celui de Jean-Louis Gasset. C’est plus froid, ça communique moins, et surtout, ce n’est pas (encore ?) hiérarchisé. L’ancien technicien lillois a aboli les statuts. Si l’attitude ou le niveau d’un joueur ne lui convient pas, il n’hésite pas à le lui faire savoir. Outre « l’affaire Kolo », Trauco, Aholou, Palencia, Gabriel Silva, Moukoudi, ou encore Nordin en ont tour à tour fait les frais. Diony et Diousse ont retrouvé du temps de jeu.

Mais cette gestion n’a finalement conduit à aucune stabilité. Aucun 11 type ne se dégage au demeurant, alors qu’on pensait qu’après une phase d’essais, une ossature finirait par émerger. Mais il n’en est rien. Il faut avouer que le nombre incalculable de blessures n’aide pas. Cependant, quand il en a eu la possibilité, Puel n’a jamais essayé de créer de repères collectifs, que ce soit à travers les hommes ou les dispositifs choisis. Défense à 3, à 4, milieu à deux pointes hautes ou avec un numéro 10, attaque bicéphale ou monocéphale, on a à peu près tout vu, pas toujours au bon moment. Son crédo – « on prépare la saison prochaine » – semble justifier tout et n’importe quoi. L’absence quasi totale de fond de jeu, de créativité, de qualités techniques, de cohérence tactique, de combativité.

Autre dimension marquée du Puel Project : la propension à faire jouer les jeunes. On le sait, Claude est un formateur et lancera des jeunes pousses dans le grand bain coûte que coûte, même au mépris des résultats. Une rhétorique presque sympa si on y réfléchit, pour sa dimension (enfin !) long-termiste. Mais envoyer au casse-pipe un jeune comme Abi, qui semble perdre toute confiance au fil des matchs, faire débuter un Maxence Rivera encore trop tendre, même pour le N2, faire de Fofana un titulaire indiscutable du jour au lendemain, sans transition et sans prendre en compte la charge mentale que représente le fait de passer du football de jeunes au football d’adulte. Le jeunisme, oui. Le péril des jeunes, non.

Les performances des cadres sont indigentes, certes. Perrin, Cabaye et Debuchy vieillissent. Boudebouz n’est plus que l’ombre du joueur qu’il fut à Montpellier. Kolodziejczak et M’Vila semblent plus enclin à jouer au tennis-ballon à Copacabana qu’à être des footballeurs professionnels. Hamouma est, comme à son habitude, un pilier de l’infirmerie. Ruffier semble perclus de rhumatismes et atteint d’une cataracte précoce. Mais ils ne semblent pas non plus entretenir une relation saine et vertueuse avec leur entraîneur. Ceux qui étaient des relais sur le terrain comme dans les vestiaires n’en sont plus. Cette désunion, cette désorganisation du groupe, est des plus inquiétantes. Car si ces cadres ne sont pas au niveau sur le terrain, faire d’eux des joueurs lambda, ne pas chercher à régler ces problèmes internes, c’est se priver d’une aura dont on aurait bien besoin.

Aujourd’hui, la situation est alarmante. Ce n’est pas une demi-finale de Coupe de France – grattée par un enchaînement de relative réussite aux tirages et de matchs plus que laborieux – qui doit l’occulter. Et ce, même si par miracle, on allait au bout et qu’on assurait à minima le maintien. Les succès de Galtier et Gasset n’étaient que des leurres, cachant derrière eux un club amateur, qui liquide les hommes qui se veulent clairvoyants. Un club qui sent encore la naphtaline, et qui ne peut revendiquer qu’une constante : le soutien de ses supporters. Un club qui vit dans l’ombre de son passé, survivant grâce à sa dimension populaire dans le présent, mais n’ayant absolument aucun dessein pour le futur. Un club que ses dirigeants refusent de vendre après avoir affiché leurs limites à plusieurs reprises. Des dirigeants qui doutent de la crédibilité de chaque potentiel acheteur, alors qu’eux même n’en ont plus aucune, et qui marchent à l’affectif. Un club qui tombe, et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… Le problème ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.