Eric Schietequatte cumule plusieurs casquettes au Amiens SC : celles de préparateur mental, de responsable du secteur animation et de la politique sociétale et environnementale du stade de la Licorne. Il y a peu, l’homme à tout faire du dernier 15ème de Ligue 1 a eu une idée : « je me suis dit que ce serait bien que notre stade devienne zéro déchet. J’ai commencé à en parler l’année dernière, on m’a répondu : « Pourquoi pas. » Cet été, la direction est revenue vers moi et m’a dit : « On y va. On se lance. » » Schietquatte n’est d’ailleurs pas novice en la matière. Également comédien, cumulant les mandats comme un député chevronné, il est le fondateur d’une troupe de théâtre écolo nommée Le Chapiteau Vert, qui avait eu « l’honneur » de produire un de ses spectacles à l’occasion de la COP 21 à Paris, en 2015. C’est donc tout naturellement, et avec l’appui de son couteau suisse, que la première partie de ce projet suit son cours, afin de faire du stade de la Licorne le premier stade « zéro déchet » en France.
Le football français n’est pas très écolo
Jusqu’au 22 décembre, le club effectue une pesée quotidienne de l’ensemble des déchets produits par sa structure d’ensemble (sportif, administratif, restauration) afin d’en évaluer l’ampleur. A partir du 1er janvier débutera la seconde phase : disparition de la vaisselle jetable, poubelles de tri, redistribution des restes alimentaires aux employés du club ou à des étudiants via des lunch boxs, partenariat avec l’application To Good To Go, mise en place d’une banque alimentaire pour aliments périssables les soirs de match, poubelles de tri sous l’étroite surveillance d’une « brigade zéro déchet », suppression des petites bouteilles en plastique… Bref, les actions à mettre en place ne manquent pas et vont jusqu’à impliquer des joueurs sensibles à la cause, à l’image du capitaine Thomas Monconduit ou du gardien de buts Regis Gurtner, prêts à donner de leur temps et de leur image.
Si un partenariat vient d’être conclu entre le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) et la Ligue de Football Professionnel, en avril 2019, les actions du genre se font rares. L’Allianz Riviera de Nice fait parti des bons élèves, étant l’un des stades les plus écolos d’Europe (charpente mixte bois/métal, toit doté d’une membrane transparente 100% recyclable, système géothermique pour chauffer la pelouse, récupération de l’eau de pluie, panneaux photovoltaïques…) Le stade Geoffroy Guichard fonctionne lui aussi en grande partie à l’énergie solaire et a développé un système de composte (encore heureux quand on s’appelle Les Verts), le Groupama Stadium du voisin lyonnais trie ses déchets et accueille les abeilles dans six ruches.
A part cela, en dépit de quelques actions de sensibilisation par-ci par-là, rien de bien concret. A l’inverse, l’ouverture du championnat français vers l’international a de fâcheuses conséquences. Ainsi, le trophée des champions, opposant le champion en titre au vainqueur de la coupe de France (ou à son dauphin en cas de doublé coupe-championnat), a eu pour organisateur le Canada en 2009 et 2015, la Tunisie en 2010, le Maroc en 2011 et 2017, les Etats-Unis en 2012, le Gabon en 2013, l’Autriche en 2016, la Chine en 2014, 2018 et 2019. Soient des milliers de km pour un match entre deux équipes françaises…
Les Grands Evènements Sportifs, des visions différenciées
Souvent pointés du doigt pour leur manque de considération écologique, les grands événements sportifs qui auront lieu dans les années à venir restent encore contrastés. L’Olympisme a de son côté choisi la voie verte pour l’organisation des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020, et de Paris en 2024, après l’excellente initiative des JO d’hiver de Sotchi, en 2014, qui avaient occasionné des dépenses énergétiques conséquentes pour créer les conditions adéquates à la pratique des sports de glisse. A Tokyo, si les objectifs d’organiser des jeux alimentés 100% en énergies renouvelables ne seront peut-être qu’en partie tenables, d’autres entreprises vertes seront mises en place. Ainsi, place du village olympique, podiums, médailles et équipements des athlètes japonais seront constitués de matériaux issus du recyclage. De plus, les Tokyoïtes seront incités à télétravailler durant l’événement, afin d’éviter les saturations des réseaux de transports et de réduire les émissions de CO2, alors que Toyota fournira aux délégations et à l’organisation des véhicules zéro émission.
A Paris, on compte encore surfer sur la vague (illusoire) de la COP 21 pour asseoir la réputation verte que le gouvernement vise à bâtir sur le plan diplomatique. Mais derrière cette manœuvre politique se cachent de nombreux bénévoles, militants écologiques et personnes de bonne volonté s’engageant dans la recherche de plans d’avenir. Un appel d’offre, dont on connaîtra l’issu cet hiver, a été lancé cet été pour la réalisation de projets innovants. EDF vient par ailleurs de parapher un contrat d’une valeur de 100M d’euros pour la fourniture des sites olympiques en énergie 100% renouvelable. En parallèle, le comité d’organisation travaillera main dans la main avec WWF, afin d’expérimenter un certain nombre de solutions. Les objectifs sont donc ambitieux : 100% d’énergies renouvelables, tri des déchets, utilisation de matériaux recyclés, hébergement des délégations à moins de 30 minutes des sites, tous situés dans un rayon de 10 km autour du village olympique (sauf pour quelques exceptions) …
Le football, un mauvais élève qui tente de se cacher
Des considérations dont se jouent allègrement l’UEFA et la FIFA. La première a décidé, à l’occasion du 60ème anniversaire de l’Euro de Football, d’organiser la compétition dans 12 villes hôtes de 12 pays différents. Une aberration écologique qui passe au second plan face aux enjeux économiques d’une telle décision. 12 villes et pays hôtes, c’est l’assurance de susciter l’attention, de créer de l’activité, de vendre produits et services un peu partout en Europe. Et qu’importent les km à avaler pour les délégations et les supporters, alors que chacune des six poules verra ses matchs se concentrer sur deux sites, plus ou moins éloignés.
Si dans le groupe D, les équipes joueront à Londres et Glasgow, elles joueront à Rome… et Bakou dans le groupe A. Soit une distance de 3872km à parcourir à minima deux fois. Problématique quand «80 % de l’impact global du football sur l’effet de serre » est occasionné par « les déplacements de supporters » selon les mots adressés par Pierre Galio, expert à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), à So Foot en 2015. Pour compenser ces émissions, l’UEFA a promis la plantation de 50 000 arbres dans chacun des 12 pays concernés et la réalisation de projets liés aux énergies renouvelables, sans en dire plus. Une solution de facilité, quand on sait que l’estimation de 405 000 tonnes d’équivalent CO2 produites par l’événement sera certainement dépassée.
Du côté de la FIFA, même son de cloche. Après une Coupe du Monde du carbone en 2018 (2.2M de tonnes, un peu moins que les 2.4M de tonnes générées au Brésil en 2014), durant laquelle il fallut, pour les délégations et supporters, parcourir l’immense territoire russe en long et en large, l’édition 2022 aura lieu dans le désert. Outre les polémiques en matière de droits de l’homme, de conditions de travail (plus de 2000 morts sur les chantiers liés aux infrastructures), de corruption ou encore de santé pour les sportifs, cette Coupe du Monde indigne pour son irresponsabilité écologique. Déplacée à l’hiver pour que les joueurs puissent s’affronter dans des conditions supportables (25°C de moyenne de température), les 12 stades y seront climatisés, projetant une facture énergétique record.
Tout cela sans compter sur le peu d’intérêt voué par les pays émergents à la cause écologique, les pays du golf en tête, et qui ne laisse rien présager de bon sur la question (le Qatar étant par ailleurs, avec 30.36 tonnes par habitant en 2017, le pays qui rejette le plus de CO2 par habitant selon une étude menée par l’ONU, l’OCDE et l’Agence Internationale de l’énergie). Alors que le gouvernement qatari promet une énergie 100% renouvelable pour alimenter ses stades, via des panneaux solaires notamment, tout permet de douter du bien fondé de tels propos. Ainsi, selon des chercheurs britanniques, il ne faudrait pas moins de 1000 km² de panneaux pour subvenir aux besoins énergétiques des 12 enceintes, soit un dixième de la surface du pays ou encore l’équivalent de la surface totale de la région Midi-Pyrénées en France…
L’ONU et le programme « Sport for climate action », catalyseurs du sport vert ?
L’ONU Changements Climatiques (CCNUCC) s’est emparée de la question il y a peu en lançant le programme « Sport for climate action » au sein d’une autre initiative intitulée « Climate Neutral Now », et qui vise à engager la société civile dans le processus d’action climatique. Créé en 2016, il vise à engager les « Organisations sportives à afficher un leadership climatique en s’engageant activement et collectivement sur le chemin de la neutralité climatique ». Il est basé sur une charte et sur cinq principes directeurs qui restent assez généraux. Il engage pour l’heure 53 organisations sportives, parmi lesquelles « ceux qui font du « green washing » et ceux qui l’utilisent comme un véritable outil », tel que nous l’a confié Miguel Alejandro Naranjo, responsable de Climate Neutral Now. Un programme qui souffre cependant de son absence de valeur contraignante (comme tout ce qui touche à l’écologie dans le monde libéral) et de ses faibles financement.
L’exemple du Betis Séville est intéressant puisque le club andalou est engagé à la fois dans l’initiative Sport for climate action et dans l’initiative Climate neutral now, qu’il a rejoint en mars dernier, devenant le premier club de football à prendre une telle initiative. Le club n’a pas tardé à joindre l’action aux engagements, introduisant dans son centre d’entraînement des sources de production d’énergie renouvelable, un système de tri des déchets, d’éclairages intelligents et réduisant, dans l’optique d’une suppression totale, ses déchets plastiques. C’est le premier et seul club de football professionnel d’un grand championnat engagé auprès de la CCNUCC.
Précurseur, le Forest Green Rovers, écurie de 4ème division anglaise, avait signé la charte deux ans avant. Considéré comme le club « le plus vert de la planète », il est l’exemple à suivre. Stade… en bois, menus végan pour les joueurs comme les supporters, énergie 100% verte, recyclage des équipements, systèmes anti-gaspillage, engrais bio, parkings avec bornes de charge pour véhicules électriques : la liste ne peut être exhaustive, tant les engagements pris sont en constante évolution. A tel point que le respect de l’environnement est devenu la raison d’être de ce petit qui a tout à apprendre aux grands. Et qui démontre qu’avec un peu de bonne volonté, sport de haut niveau et écologie sont totalement conciliables.
Encore faut-il connaître la vision de l’UEFA ou de la FIFA sur la question, tous deux signataires de la charte et emblèmes malgré eux du green washing sportif… Allez les verts.