Depuis novembre 2020, un affrontement a éclaté entre les forces gouvernementales dirigées par le Premier ministre Abiy Ahmed et les troupes majoritairement tigréennes du Front de libération du Peuple du Tigré (FLPT).
Le Tigré, c’est quoi ?
Située au nord-ouest de l’Ethiopie, à la frontière de l’Erythrée et du Soudan, la région du Tigré constitue l’une des dix régions du pays, toutes fondées majoritairement sur les origines ethniques de la population. Le nombre d’habitants s’élève à 5 millions et la région possède une superficie aussi grande que celle de l’Autriche. Toutefois, les Tigréens représentent une minorité dans le pays puisqu’ils constituent uniquement 6 % de la population. Il est important d’ajouter que l’Ethiopie est un État fédéral dans lequel les régions possèdent leur propre gouvernement, avec une forte autonomie. Il s’agit d’une caractéristique essentielle à garder en tête.
Mise au point historique
Depuis février 1975, les Tigréens se sont rassemblés au sein d’un parti politique qui se prénomme “Front de libération du Peuple du Tigré” (FLPT). Rien qu’au nom du parti, il est assez aisé de comprendre les revendications sécessionnistes intervenant dès l’origine. En effet, les fondateurs du parti auraient été animés « d’une conscience ethno-nationaliste forgée par l’accumulation de revendications des Tigréens contre les pouvoirs centraux successifs en Ethiopie ». La position est claire : non à la soumission au pouvoir central, oui à l’autodétermination du peuple tigréen.
Après la chute de l’empire en 1974, le régime du Derg prend le pouvoir et une guerre civile éclate (1974-1991). Durant cette période, toute revendication identitaire est sévèrement réprimée. Le FLPT devient l’acteur principal dans la lutte armée contre le gouvernement. C’est pourquoi en 1991, à la chute du régime du Derg, le chef du FLPT Meles Zenawi prend le pouvoir. Ceci est intéressant en ce que cela montre que, même si à l’origine, le FLPT revendique un rejet du pouvoir central, il n’hésite pas à le gouverner lorsque les événements jouent en sa faveur en 1991. Le parti reste même à la tête du gouvernement central jusqu’en 2018, c’est-à-dire jusqu’à l’arrivée du Premier ministre actuel, Abiy Ahmed.
La chute du FLPT
En 2018, le parti a perdu le pouvoir à Addis Abeba suite à la démission de Halemariam Desalegn (qui succèda à Meles en 2012) et ce, du fait des manifestations des deux ethnies majoritaires du pays : les Oromos et les Amharas. Abiy Ahmed, oromo, mène depuis une stratégie d’éviction du FLPT pour contrer sa forte influence dans le pays. En outre, le Premier ministre a créé un nouveau parti : le Parti de la prospérité. Le FLPT a refusé de s’allier à cette coalition et se place donc dans l’opposition. Il semblerait assez juste de dire que le conflit actuel est né de cette chute, qui a très probablement été mal vécue par les ténors du parti. De plus, la politique anti-FLPT déployée par le Premier ministre a renforcé les rancoeurs du côté tigréen jusqu’à l’escalade de 2020.
L’escalade de 2020
Le 4 novembre 2020, les forces gouvernementales sont intervenues militairement au Tigré pour réprimer la rébellion. En mai 2020, des élections législatives devaient avoir lieu. Cependant, elles ont été repoussées une première fois par le pouvoir central pour cause de coronavirus en août 2020. Passée cette échéance, le gouvernement d’Addis Abeba a renouvelé le report pour la même raison mais sans annoncer de nouvelle date. Cette fois-ci, le FLPT a décidé de ne pas écouter la décision centrale et a organisé ses propres élections en septembre 2020, que le parti a remportées.
Cette désobéissance marque d’une certaine manière le retour aux origines du parti : rendre autonome les Tigréens, sans être rattaché au gouvernement fédéral. Cette tentative de séparatisme a poussé le Premier ministre à répondre à cet affront. Il a, en effet, coupé les fonds fédéraux destinés à la région du Tigré. Une décision qui a eu pour conséquences l’attaque de la branche armée du FLPT d’un camp fédéral le 4 novembre 2020. M. Ahmed a répliqué à travers des bombardements et surtout la dissolution du gouvernement du Tigré. Cela fait donc maintenant près de 7 mois que le conflit dure et très peu d’informations ont fuité sur le déroulement du conflit et sur les potentiels massacres commis.
Résumer le FLPT à un désir de séparatisme semble être un raccourci qui pourtant aujourd’hui prend tout son sens. Toutefois, les trente années passées au pouvoir montrent que les revendications du FLPT sont plus complexes qu’une simple volonté de créer un Etat autonome tigréen. C’est plus l’exclusion du pouvoir politique central qui semble expliquer la montée des tensions, aboutissant de fait à une nouvelle guerre dont le dénouement reste encore inconnu.