Ciel bleu, soleil éclatant, musique, des milliers de personnes ; presque tous les éléments sont réunis pour scander « sous les pavés, la plage ! », sans le moindre second degré. Malheureusement, les pancartes jouent les parasols. Impossible de bronzer… Sur celles-ci : « même pas drone », « floutage de gueule » ou encore, « sécurité globale = liberté minimale ».

Appel à mobilisation

Des syndicats de journalistes, des sociétés de rédacteurs, la Ligue de défense des droits de l’Homme et Amnesty International France ont appelé à se réunir sur la place du Trocadéro pour protester contre la loi relative à la sécurité globale. L’article 24 de celle-ci prévoit de punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser des images non floutées d’un policier ou d’un militaire « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

Un important dispositif de sécurité a été mis en place par les forces de l’ordre. À 15h00, la place est entourée de barricades. Les camions de CRS et de gendarmes mobiles encerclent le rassemblement.

Une crainte de la censure

Michel Nicolas, journaliste depuis 25 ans et syndiqué au SNJ (Syndicat National des Journalistes) depuis ses débuts s’interroge : « À partir du moment où vous n’avez plus le droit de diffuser les images, […] comment pouvez-vous montrez dans un titre de presse, dans un média, ce qu’il se passe dans le réel ? » Pour lui, le projet de loi révèle une incompréhension de ce qu’est la profession de journaliste : « un journaliste n’est pas une personne aux ordres, c’est aussi quelqu’un qui pense par lui-même, […] Emmanuel Macron lui, aime les journaux, mais il n’aime pas les journalistes. »

« Je pense qu’on a plus à perdre qu’à y gagner »

Walid, étudiant

Un mot revient particulièrement au fil des heures et des rencontres : « liberticide ». C’est notamment le terme qu’emploie Walid, 24 ans, étudiant en école de commerce, pour qualifier le projet de loi. « Je pense qu’on a plus à perdre qu’à y gagner en passant cette loi » affirme-t-il, même s’il reconnaît « qu’il y a parfois des abus sur les réseaux sociaux ». Murielle, militante d’Attac et de la Ligue des Droits de l’Homme est plus radicale : « c’est insupportable […] si les journalistes ne peuvent pas faire leur travail, c’est un vrai problème, c’est de la démocratie en moins. »

Des doutes sur la mise en pratique

Même si la loi n’interdit pas de prendre des images de policiers ; journalistes, syndicats et citoyens présents s’accordent pour expliquer que le danger de ce texte réside dans son application. Beaucoup ont en mémoire les images de violences du Burger King, un soir de manifestation des « gilets-jaunes », et se demande si de tels agissements auraient pu être révélés sans vidéos à l’appui.

Rangé sur le côté de la place du Trocadéro, où la foule est moins présente, un « gilet-jaune » de la première heure, le regard observateur, confie : « si on a pu révéler certains de ces agissements [violences policières], c’est grâce à des journalistes indépendants notamment. Ceux de la grande presse, un petit peu, mais moins. Cette loi, ce serait une atteinte d’une part à la liberté des journalistes et d’autre part à la sécurité des manifestants. » Walid lui, a été marqué par une autre affaire : « on a filmé l’affaire Benalla, on a filmé plein de trucs et ça a permis justement de faire éclater au grand jour des problèmes. »

Dérives

Michel Nicolas insiste lui aussi sur le risque potentiel d’auto-censure que fait peser cette loi sur les journalistes. Il explique : « c’est une espèce de renversement de la charge de la preuve. Désormais, c’est aux journalistes de prouver qu’ils ont exercé leur métier avec justesse […] plus on glisse sémantiquement, plus on va loin. Et le risque, il est là. » S’il juge « moyennement dangereuse » la situation actuelle, il ne peut s’empêcher de penser à long terme : « imaginez dans deux ans, il y a les élections nationales. Imaginez qu’un parti plein de haine vienne au pouvoir avec un article comme celui-là, c’est du pain béni, c’est une matraque dorée. »

La proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture mardi 24 novembre. Mais les images d’une rare violence de l’agression du producteur de musique Michel Zecler par plusieurs policiers, diffusées par le site Loopsider jeudi 26 novembre, sont venus se glisser comme un caillou dans la chaussure de Gérald Darmanin. L’évacuation plus que musclée par les forces de l’ordre d’un camp de réfugiés de fortune place de la République a également choqué de nombreux citoyens. Face à la pression, le Gouvernement a finalement déclaré que l’article 24 de la loi de sécurité globale sera entièrement réécrite par les parlementaires. Christophe Castaner, chef de file de la majorité à l’Assemblée nationale a néanmoins tenu à rappeler : « ce n’est ni un retrait, ni une suspension. »