D’aucuns parmi vous diront que j’ai pas mal été absent sur Spectre ces derniers temps. Et ceux-là auront parfaitement raison. Mais du passé, faisons table en marbre avec pour toi maintenant, là, tout de suite, un tout nouvel article de chez In wino veritas.
Alors c’est le début d’une nouvelle année et c’est un fait établi pour la plupart des gens : les dix derniers jours de décembre ont été plutôt rudes pour notre condition physique. C’est normal. On ne va pas se le cacher. On a tous plus ou moins connu et traversé quelques épreuves, mineures diront certains mais non sans peine avec, par exemple, ces redoutables kirs châtaigne qu’on ne déteste pas au fond mais il faut bien avouer que la mixture finale est sacrément sucrée, surtout si ton oncle, faute d’inattention étant aux prises avec un dilemme amené sur un coin de la table en loucedé par ton cousin sur les très discutables avantages du parquet flottant, te verse un demi-verre de crème de châtaigne. Je suis désolé mais quand le machin est aussi épais que du miel, tout en prenant en compte la cadence des convives où on peut clairement observer que ces gens-là ne sont pas ici pour acheter du terrain, il ne faut pas s’étonner que finir le quatrième verre, versé exactement 21 minutes après le premier, pour ne pas venir perturber le gars qui sert les godets dans sa logique primaire de tour de table dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, sorte d’entreprise infernale, ça peut indisposer, ça peut même faire chier ! On lambine pas à table fin décembre, ça se sait. Et ça se manifeste d’autant plus quand un quidam, peu importe lequel d’ailleurs, s’exclame pantois en voyant un parent finir son verre de vin : « il a une bonne descente lui, j’aimerais pas la faire à vélo ! »
Puis tu t’enfiles des cassolettes en veux-tu en voilà et il est vrai que niveau quantité, on est sur quelque chose de conséquent. Et le train déjà en marche, absolument pas du tout en perte de vitesse tout au long du repas d’ailleurs, vient finir sa course dans une bûche glacée façon baba au rhum.
Et heureusement qu’il y a les traditionnels trous normands entre chaque plat pour nous aider. Que ferions-nous sans eux ? Les trous normands… c’est un petit peu notre EPO à nous dans ces moments-là. Je sais bien qu’on ne monte pas des cols en danseuse toute une après-midi mais quand même ! Faut se le farcir le suprême de chapon aux morilles sans broncher après toutes les péripéties éthyliques d’avant-repas.
Enfin bref, les fêtes de fin d’année tu connais le principe. Ah oui, c’est vrai qu’il y a aussi cette saleté de Réveillon de la Saint-Sylvestre qui vient juste après. D’ailleurs à ce propos, j’y pensais l’autre jour, on ne dit plus trop Saint-Sylvestre et c’est bien dommage. Parait-il que c’est démodé…
En parlant de mode, tu connais le Old Fashioned ? La voilà ta cure détox de janvier ! Idéale contre tous les excès de fin d’année comme le nouvel an. Contrairement à ce que peut laisser penser son nom, ce cocktail n’a rien de démodé tant il a su traverser les époques avec toujours autant de classe, de flegme et de « coolitude », du moins pour les amateurs de cocktails. Parce que je peux te dire que n’importe quel bougre sachant différencier un high ball d’un collins (je fais le cake mais ce sont juste des types de verre) sait que le Old Fashioned, et bien c’est la base ! Breuvage vieux de plus de 150 ans de par son nom, il est, dans sa composition, la définition la plus proche que l’on peut se faire du cocktail traditionnel tel que résumé en 1806 dans les pages d’un numéro de l’hebdomadaire Balance and Columbian Repository : « une liqueur stimulante, composée de n’importe quel alcool fort, de sucre, d’eau et d’amer. ». Cette définition du cocktail est la plus ancienne connue à ce jour. Tu l’auras compris, le Old Fashioned, non seulement c’est la base en cocktail, mais c’est surtout la base du cocktail.
Parce que là les amis, rendez-vous bien compte, avec le Old Fashioned on touche au classicisme dans ce domaine là. Simple avec seulement quatre ingrédients, à savoir du whisky, du sucre, un amer et de l’eau. On retrouve bel et bien la substantifique moelle de ce qui caractérisait le cocktail au tout début du XIXème siècle. Et quand je dis que cette mixture a plus ou moins 150 ans, cela est valable pour le Old Fashioned en tant que tel car le nom est apparu dans les années 1880 mais la formule elle remonte donc aux origines mêmes du cocktail. Ce qui veut dire que même à cette époque, le machin avait déjà de la bouteille, c’est dire !
Je sais pas moi mais tu prenais au hasard par exemple un coco en 1888. Et bien le gars, déjà à l’époque, pouvait, s’il le souhaitait, s’envoyer des Old Fashioned par la tronche et l’artisan de ses maux (de tête) futurs passait déjà pour une boisson old school. Je ne sais pas vous mais je trouve que ça a sacrément de la gueule !
Alors quitte à commencer quelque chose, quitte à s’intéresser à cet univers là, aussi fascinant peut-il être, autant que ce soit avec le cocktail originel non ? Parce que boire des Mojitos (mal faits), des Cuba Libre ou des Sex On The Beach au Buffalo Grill ou dans des vieux rades ardéchois en juillet moi j’veux bien mais quand est-ce qu’on découvre et qu’on apprend autres choses avec ces conneries ?
Le Old Fashioned, c’est un petit peu le cocktail avec lequel tout a débuté et cela a ensuite pris une envergure de taille, envergure que nous admettons tous aujourd’hui. Je pense pas trop dire n’importe quoi en affirmant qu’une bonne grosse majorité des plus de 18 ans ont déjà goûté au moins un cocktail dans leur vie.
Et le simple fait que je parle de ce vieux de la vieille dans cet article tient à une unique chose : le Old Fashioned a toujours su traverser les années sans trop grande difficulté malgré son âge très avancé pour une raison toute simple. Il continue de charmer les nouvelles générations par sa simplicité. Parce que c’est marrant cinq minutes les cocktails où t’as plus d’ingrédients que pour un minestrone mais quand est-ce que je bois moi ? Je pars du principe qu’à partir du moment où tu mets plus de temps à concocter ta potion que préparer un poulet basquaise (temps de cuisson compris), forcément qu’il y a un truc qui cloche ! Et le Old Fashioned est là pour te rappeler que les choses simples très bien exécutées, ça vaut son pesant de moutarde.
Et en plus, ça se twist tellement bien ma parole !
Alors simplicité certes mais il est également réputé pour la saveur qu’on lui connaît. Sa douceur toute particulière, sa suavité, lui confèrent un avantage certain sur les autres cocktails à base de whisky. Et en cela réside son attrait principal. Car oui le whisky a pas mal de chevaux au compteur et le boire sec n’est pas donné à tout le monde. Encore que… Alors j’ai rien contre les mélanges de type whisky coca (du bourbon s’il vous plaît, pas du scotch) mais là on parle d’un cocktail un peu plus élaboré que ça, ce n’est pas juste mélanger deux liquides et on est bon. Peut-être la seule chose qu’un « mixologue » puisse faire… Bon, j’avoue, je déteste ce terme. Les « je ne suis pas barman monsieur, je suis mixologue, je fais de la mixologie. », ce n’est pas possible.
M’enfin, revenons à nos moutons. Se faire un demi-pêche, c’est pas exactement la même chose que de se préparer un Old Fashioned. Je pense que tu en es conscient. Enfin bref, ce que je veux dire c’est que dans son élaboration, les autres ingrédients vont venir atténuer ce goût d’alcool pouvant rebuter certaines personnes sans pour autant le masquer, ce qui n’aurait aucun intérêt. Car comme l’alcool est un fixateur d’arômes, on veut que ça ait des chevaux. Si tu me sers un cocktail à base de whisky, je veux être en mesure de le sentir. Tout en faisant cela, les ingrédients vont également apporter en complexité et en richesse au spiritueux de base et ainsi, à leur contact, lui faire délivrer une toute autre palette aromatique. C’est le principe des cocktails dits « spirit-forward« . Y’a que ça de vrai.
Donc douceur ne veut pas dire que l’alcool n’y est pas présent. On le sent, t’inquiète pas ! On le sent même pas mal *hips*. Ça reste donc un cocktail plein de caractère surtout si l’on choisit bien le whisky qui l’accompagne. Du 50 degrés minimum sinon rien.
*hips*
Cependant, il faut être honnête deux minutes et mentionner deux choses qui ont largement concouru au fort regain de popularité du Old Fashioned ces dernières années auprès d’un plus grand nombre de personnes : la première est une série, la seconde est un film.
Mad Men et son personnage principal Don Draper (interprété par le génial Jon Hamm) ont en effet énormément participé à ce que les nouvelles générations – pas forcément fans de cocktails – connaissent le Old Fashioned. Car comme je l’ai dis un peu plus haut, le succès de ce cocktail auprès des adeptes de potions en tout genre ne s’est à présent jamais démenti mais faut bien avouer que si la chose ne t’intéresse pas plus que ça, tu ne risques pas de tomber sur la mixture en question. À moins de fréquenter des bars à cocktails bien sûr ! Jon Hamm, donc, campe un personnage évoluant dans le milieu de la publicité dans les Etats-Unis des années 60. Ouvertement mauvais garçon et charmeur au style de malade, le Don passe pas mal de son temps à siffler des Old Fashioned. Mais selon sa propre recette. Car oui, si ce cocktail brille par sa simplicité, cette caractéristique fait aussi de lui une base formidable pour innover en la matière. C’est ça le twist.
Mais est-ce que ça ne serait pas ça l’apanage des très grands de ce monde ? Evidemment que si. Briller par sa simplicité, traverser les époques avec aisance et style et constituer une base super solide à des fins d’innovations en tout genre.
Ainsi, Don utilise un rye (whisky avec 51% de seigle minimum), ce qui va conférer au cocktail un caractère plus sec, plus épicé. Il l’agrémente aussi de club soda et d’une cerise. En bref, il s’empare d’une formule plus que centenaire à son époque pour en dégager autre chose. Le gars pratique le cocktail quoi. Il se fait plaisir, tout simplement. Autre recette certes mais l’aura du Old Fashioned est toujours intacte, à savoir une boisson qui a du style.
Il y a eu aussi Ryan Gosling et le film Crazy, Stupid, Love (super film soit dit en passant) pour redonner ses lettres de noblesse au cocktail de la vieille école auprès des jeunes (et des moins jeunes spectateurs). En effet, le film se déroule de nos jours et le personnage interprété par Ryan Gosling boit le Old Fashioned avec du bourbon lui (whisky avec 51% de maïs minimum). Pour ceux ayant vu le film, il se le prépare pépouze chez lui derrière son bar avec du Pappy, une autre époque. George Abitbol pourrait être fier…
Et c’est sûrement ce genre d’exemples dans la culture populaire qui permettent une meilleure visibilité du Old Fashioned chez les jeunes. Toujours représenté, à la télévision comme au cinéma, comme étant une boisson cool, il n’en demeure pas moins que c’est ce qui se rapproche le plus de la vérité. Boire un Old Fashioned, c’est putain de cool !
Il ne faut cependant pas voir, à travers ces différentes représentations, cette potion comme étant purement masculine car là précisément nous serions loin de la vérité. Le Old Fashioned n’a pas de genre. Si tant est qu’une boisson alcoolisée corresponde véritablement à un genre ou un autre ou à n’importe quel autre standard ou idée reçue d’ailleurs. Alors après il ne faut pas être idiot non plus et se refuser d’observer certaines évidences. On sait pertinemment que les femmes boivent plus de blanc que de rouge en règle générale et que le pastis et le whisky sont plutôt consommés par les hommes. C’est comme ça. C’est triste et bien dommage mais c’est comme ça. Mais avec le Old Fashioned, il n’y a pas de pseudo règle de ce genre (à la con) comme le confirme Annie Beebe-Tron, bar manager au Ladies’ Room de Chicago, dans un entretien pour le site Esquire, magazine pour hommes (lol) :
Comme dans tous les domaines, il y a évolution et le cocktail ne fait pas exception en la matière. Étant donné que le Old Fashioned est une manière différente de boire du whisky et d’aborder ce spiritueux (même s’il peut être interchangeable avec d’autres alcools comme le rhum ou le mezcal ou les deux en même temps par exemple) et que ce dernier est donc plutôt consommé par la gente masculine, certaines femmes franchissent le pas et découvrent une palette aromatique dont elles ne soupçonnaient pas l’existence, surtout pour des arômes émanant d’une boisson classique à base de whisky. Et ça aussi c’est cool ! Les filles, buvez des Old Fashioneds quoi.
D’après le Cocktail Codex, livre écrit par l’équipe du légendaire bar à cocktail Death & Co, situé dans l’East Village à Manhattan, le Old Fashioned fait partie des six cocktails emblématiques sur lesquels le cocktail s’est construit et a atteint ses lettres de noblesse. Mais cela ne veut pas dire que tu ne peux pas changer certaines choses comme on l’a vu avec le Old Fashioned façon Don Draper et le fait de troquer son whisky pour du mezcal par exemple. Le cocktail, c’est l’art de composer avec ce que l’on a pour proposer une palette aromatique qui offre et apporte quelque chose de purement sensorielle pour la personne qui la déguste. C’est tout l’attrait de proposer une nouvelle version, une nouvelle recette. C’est apporter quelque chose de plus au produit de base, c’est l’art de le sublimer et de jouer avec les ingrédients. Donc ouais tu peux moduler certaines choses. À condition de respecter certaines règles. C’est comme en musique, tu ne fais pas non plus n’importe quoi. Après, Gutalax existe aussi.
Et la meilleure des écoles qui te permet de déconstruire quelque chose pour mieux la réinventer reste encore celle qui t’a fait connaître le schéma originel. Toujours dans le Cocktail Codex, il est précisé que « la beauté du Old Fashioned réside dans le fait que n’importe quel autre spiritueux peut rentrer dans sa composition et en devenir ainsi le corps, le cœur mais aussi l’esprit. Il faut juste que les autres ingrédients appuient et accentuent ce spiritueux. » En gros, c’est au bon vouloir de chacun quoi ! Le cocktail, c’est de la poésie, il ne faut pas l’oublier. C’est de l’art, au même titre que la cuisine. Alors après si tu restes un puriste dans l’âme (ce qui est cool aussi), fixe toi un cap et ne troque jamais ton sky contre quelque chose d’autre.
Pour revenir à cette vieille analogie toute pérave entre musique et cocktail, tu prends l’exemple d’un orchestre ou même d’un groupe de musique. Bon je te demande pas d’être John Williams non plus. Mais il faut savoir jouer avec toutes les composantes présentes qui s’offrent à toi pour former un ensemble cohérent où au final la personne est apte à reconnaître et discerner l’apport de tel ou tel instrument, de tel ou tel ingrédient au sein de l’ensemble, œuvre musicale ou cocktail, que tu as élaboré. Il faut que tout y soit bien composé, que les différents éléments s’accordent parfaitement entre eux afin de proposer quelque chose de lisible pour autrui.
Alors maintenant, venons-en au fait. Parce que même si l’histoire d’un produit, le fait de connaitre sa culture, d’où il vient, son élaboration, enfin bref, la compréhension global de ce qu’il représente reste très important pour justement le faire perdurer, la partie la plus intéressante tient quand même à pouvoir être capable de s’en préparer un correctement étant donné que c’est la manière la plus simple jusqu’ici de tester la chose.
Mon Old Fashioned (le meilleur à mes yeux, tout naturellement)
Ingrédients
- 1 bonne cuillère à café de sirop d’érable
- 2-3 traits de Peychaud’s Bitters
- 60 ml (ou plus) de bourbon à minimum 50 degrés
- Un petit peu d’eau de coco
Préparation
- Dans un verre de type Old Fashioned, balance un gros gros glaçon bien dodu et remue pour bien rafraîchir le verre
- Ajoute le sirop d’érable et le Peychaud’s et remue encore
- Balance donc ton bourbon, remue encore et encore, c’est que le début d’accord d’accord
- Complète avec un petit d’eau de coco
- C’est prêt
Old Fashioned au rye & club soda
Ingrédients
- 60 ml de rye (vous connaissez la chanson pour les degrés)
- 2 traits d’Angostura bitters
- 1 morceau de sucre
- club soda
Préparation
- Mettez un morceau de sucre dans un verre de type Old Fashioned
- Ensuite, humidifiez le avec l’Angostura bitters et une très légère goutte de club soda
- Broyez le sucre à l’aide d’un pilon puis tournez le verre de sorte à ce que les grains de sucre mélangés au bitters tapissent le fond et les bords du verre
- Ajoutez un gros glaçon et versez le whiskey
- Garnissez le verre d’une écorce d’orange (on veut le zeste)
Old Fashioned façon Don Draper
Ingrédients
- 1 cuillère à café de sucre en poudre
- 3 traits d’Angostura bitters
- 60 ml de rye
- écorce d’orange
- cerise au marasquin
Préparation
- Dans un verre de type Old Fashioned, mélangez le sucre, le bitters et une goutte de jus d’orange « maison »
- Mélangez le tout jusqu’à dissolution du sucre
- Remplissez le verre de glace et remuez
- Ajoutez le whiskey et remuez à nouveau
- Coupez une tranche d’orange et frottez-la doucement contre les bords du verre puis laissez-la dans le verre
- Ajoutez la cerise au marasquin
Vous l’aurez compris, le Old Fashioned vaut le détour et parmi ses nombreuses déclinaisons, il y en aura sûrement une qui vous fera vous dire :
De toutes façons, moi, ce que je préfère niveau cocktails, c’est le bourbon coca et le perroquet. Allez… *hips* salut !