Le climato-scepticisme n’est pas une opinion propre à celui qui les exprime à la plus grande échelle sur Terre. Si on ne peut dire que le président américain a lancé un mouvement, il a largement contribué à décomplexer la question et à en faire une posture politique admise. Son influence a notamment trouvé écho en Amérique du Sud, là où le populisme frappe bien souvent.
Jaïr Bolsonaro a été élu président du Brésil le 28 octobre 2018. Ce militaire de carrière, député fédéral sous plusieurs étiquettes différentes à partir des années 1990, s’est présenté sous celle du Parti social libéral (PSL) aux élections présidentielles de 2018. Elu avec 55% des suffrages, il a bénéficié de l’aversion des citoyens brésiliens pour la classe politiques, dont une large partie baigne dans des affaires de corruption, élément dont il a fait l’un de ses chevaux de bataille. Ses positions conservatrices, ultranationalistes et ultralibérales ne sont pas sans rappeler celles de son homologue américain, pour qui il ne cache pas son admiration.
Bolsonaro, fossoyeur des politiques nationales liées à l’environnement
L’environnement et le changement climatique sont d’ailleurs des sujets sur lesquels les deux trublions médiatiques, qualifiés d’« humoristes » par Libération, s’entendent à merveille. Au sein de son premier gouvernement, le « Donald Trump tropical » a nommé la pro-pesticide Tereza Cristina à l’agriculture. Ayant les faveurs du groupe de députés ruralistes, dont Cristina fut le leader, mais également des agriculteurs et du lobby agricole, Bolsonaro et sa ministre ont décidé d’assouplir grandement les lois limitant l’usage des pesticides. Une nouvelle forcément préoccupante, puisque l’on parle ici du quatrième agro-exportateur de la planète. Ce n’est pas tout : le nouvel homme fort carioca a décidé de confier par décret à Cristina la gestion de la démarcation des terres indigènes jadis gérée par Fondation de l’Indien (Funai), afin d’en octroyer le profit à l’industrie agro-alimentaire. Bolsonaro ne s’est jamais caché de ces velléités, provoquant un débat international. La cour Suprême du Brésil a finalement (et heureusement) invalidé cette décision, alors que les parlementaires avaient déjà voté la suspension du décret en mai.
Aux affaires étrangères, c’est également un climato-sceptique notoire, Ernesto Araujo, qui a eu les faveurs du président Bolsonaro. Pro-Trump, à qui il a emprunté l’idée que le réchauffement climatique serait un “dogme” visant à “augmenter le pouvoir de la Chine”, il avait même publié un article à la gloire du président américain en 2017, le considérant comme la seule personne à même de pouvoir « sauver l’occident ».
Alors qu’il avait hésité à supprimer totalement le ministère de l’environnement, Bolsonaro y a nommé un nouveau climato-sceptique en la personne de Ricardo Salles et a entamé un processus de réduction drastique des subventions. Ainsi, depuis son investiture, Salles s’emploie à déconstruire toutes les réalisations de ses prédécesseurs : licenciement de fonctionnaires voués à lutter contre la déforestation clandestine, la pêche et la chasse illégales et les invasions des terres indigènes ; licenciement des directeurs régionaux de l’institut brésilien de l’envrionnement (IBAMA) ; suppression des sujets de la déforestation et du changement climatique au sein même du ministère…
Par ailleurs, le premier acte de politique étrangère du gouvernement Bolsonaro, alors qu’il n’était même pas encore en place, fut d’abandonner l’organisation de la COP 25, qui devait avoir lieu fin 2019 au Brésil. Un acte officiellement motivé par des « restrictions budgétaires » et par le « processus de transition avec le nouvelle administration », mais dont la portée politique paraît assez claire. Il va de paire avec bon nombre de coupes budgétaires réalisées par la suite, motivées par un modèle de développement de projets miniers et agricoles.
L’Amazonie, clé de voûte de la controverse écologique
Les préoccupations écologiques du nouvel homme fort carioca sont proches du néant, pour ne pas dire inexistante. Dans la lignée de son homologue américain, Bolsonaro avait fait part de la possibilité de voir son pays se retirer de l’accord de Paris pendant sa campagne électorale. Il avait alors conditionné le maintien de celui-ci à la condition que le projet « triple A » ne voit pas le jour.
Ce projet de couloir écologique reliant les Andes, l’Amazonie et l’Atlantique de 136 millions d’hectares, à travers huit pays, avait été lancé par l’ONG Colombienne « Gaia Amazonas » en lien avec les communautés autochtones, afin de protéger une multitude de parcs régionaux et de zones sensibles aux risques écologiques. Celui-ci avait été vu par Jaïr Bolsonaro comme une potentielle atteinte à la souveraineté brésilienne sur son territoire, et apparaissait comme inacceptable dans la sacrosainte logique de défense des intérêts nationaux apposée par Trump comme bouclier face à tout élément écologique contraignant.
La question de l’Amazonie est donc au cœur de la controverse persistante entre les projets agro-alimentaires du nouveau gouvernement brésilien et l’enjeu écologique qu’elle représente. Bolsonaro a qualifié les politiques de défense des territoires autochtones d’ « absurdité », et affirmé à maintes reprises sa volonté de voir ces territoires ouverts à l’exploitation minière, hydroélectrique et donc agro-alimentaires.
Ainsi, l’idée d’un barrage hydroélectrique sur la rive gauche du bassin amazonien, émise par Dilma Rousseff en 2013, est toujours dans l’esprit de Bolsonaro. Il n’a également pas échappé à ce dernier la richesse en bauxite des sous-sols de la forêt.
Des projets à hauts risques environnementaux, puisqu’ils pourraient mener rapidement la surface de déforestation annuelle à 25 600 km² par an, notamment à cause de l’extension de la culture du soja et de l’élevage bovin. Celle-ci a déjà augmenté de 26% entre 2017 et 2018, ce qui pourrait conduire la déforestation totale décennale à atteindre la surface du Royaume-Uni. Qui plus est, 18% concerneraient des zones protégées.
L’Amazonie est l’un des puits carbone les plus importants de la planète, stockant entre 80 et 120 millions de tonnes de carbone et produisant 5 à 10% de l’oxygène mondial. Si la déforestation nuit à sa fonction quantitative, elle nuit également à sa fonction qualitative. En effet, l’augmentation des quantités de Co2 engendre une fertilisation des sols de qualité réduite : cela accélère le processus que l’on appelle « dynamique forestière » et qui correspond plus ou moins au cycle de vie d’une forêt. Celui-ci s’accélérant, les arbres et végétaux arrivent à maturité plus rapidement, vieillissent donc plus rapidement et se mettent ainsi à relâcher du Co2 en grande quantité, puisque la fonction de puits carbone des forêts tend à s’inverser avec le vieillissement.
Ces questions n’ont pas échappé à la scène internationale, au vu notamment des incendies ayant ravagé l’Amazonie pendant quelques semaines. S’il est vrai que l’emballement médiatique a quelque peu grossis l’ampleur historique du phénomène (ce n’est « que » le cinquième incendie le plus important depuis le début du siècle), il n’en représente pas moins une menace conséquente en tenant compte de la recrudescence de ces incidents et de l’immobilisme brésilien. La question a de ce fait été traitée au G7, où fut proposée une aide d’un montant d’environ 20 millions de dollars, refusée par Bolsonaro, qui s’est dit toutefois enclin à étudier cette proposition en échange d’excuses de la part d’Emmanuel Macron, qui avait accusé le 23 août dernier le président brésilien d’avoir menti sur ses engagements climatiques et de fait, menacé la réalisation de l’accord UE-Mercosur en s’y opposant en l’état.
Le conservatisme-libéral, une vague prête à s’étendre
La défiance des pays émergents vis-à-vis de l’action climatique n’est pas nouvelle, au nom de la notion de responsabilités différenciées. Si le Brésil ne s’est pour l’heure pas encore retiré de l’accord de Paris, la direction dans laquelle s’est engagée sa gouvernance climatique inquiète. La chambre des députés s’apprête à mettre en place un système de « flex licensing » destiné à délivrer automatiquement des licences environnementales aux entreprises agro-alimentaires sur la foi de leurs simples déclarations personnelles. Une nouvelle illustration du laxisme, voir du mépris du gouvernement Bolsonaro pour les politiques environnementales, qui vient s’inscrire dans le cadre plus général d’un mouvement climatosceptique tendant à se répandre.
Les positions américaine et brésilienne en la matière tendent à décomplexer le climato-scepticisme et à en faire une opinion politique emprunte d’un pragmatisme froid, mais également d’une paranoïa teintée d’égocentrisme et de sinophobie. Le rééquilibrage des puissances en court inquiète Washington, au vu de l’avance acquise par la Chine en matière d’énergies renouvelables, en dépit de son statut de plus gros émetteur mondial. Trump traduit ainsi en des termes économiques et financiers une situation scientifiquement prouvée, utilisant ainsi le langage qu’il connaît le mieux, sous une forme démagogique voir populiste. Pour Bolsonaro, il semble s’agir davantage, en observant l’inconstance de son parcours politique, du suivi d’un modèle politique que d’une opinion à part entière, tant dans le sillage de son homologue américain que dans une logique de changement de prisme politique national après les années d’investiture du Parti Travailliste et de son rejet par la population.
D’un point de vue plus global, voir les deuxième et douzième émetteurs mondiaux, ainsi que les premier et neuvième PIB mondiaux se lancer dans une cabale contre l’action climatique affaiblit grandement cette dernière et n’incite pas à l’optimisme. Cela marque la réémergence d’une forme d’égoïsme international, alors que la question du changement climatique semblait faire consensus, au moins sur la nécessité d’agir. Mais l’émergence de Trump et de Bolsonaro dénotent également d’une nouvelle vague de conservatisme libéral, dont on pourrait traiter de nombreux autres aspects, et qui vient placer ses Etats dans une logique de défense sans concession des intérêts nationaux.
L’impasse de l’action climatique résultait en partie de la peur de certains Etats d’en faire plus que leur voisin, de ne pas partager de manière équitable le fardeau du changement climatique. L’alternative trouvée par Trump et Bolsonaro, à savoir se débarrasser du dit fardeau, est pour le moins radicale. Cela pourrait donner des idées à certains pays, qui pourraient ainsi être tentés d’emprunter le même chemin, tels que les pays du Golfe ou l’Iran, en somme tous les pays ayant des intérêts économiques pragmatiquement opposés à ceux de l’action climatique. Et rendre la situation plus compliquée qu’elle ne l’est déjà.