Loin du prisme médiatique de notre Ligue 1, deux clubs historiques du football français se disputent la première place de leur groupe de National 2, synonyme de montée en National (3ème division). Le Sporting Club bastiais, et le Club Sportif Sedan Ardennes tiennent la dragée haute. En tête de leur groupe A, ils seront, selon toute vraisemblance, les seuls prétendants au titre. Le club corse, second, compte déjà 10 victoires pour seulement 2 défaites, dont une face au concurrent ardennais. De leur côté, emmenés par leur buteur Geoffrey Durbant (12 buts), c’est un sans-faute pour les sangliers : 13 victoires en autant de match, et sans avoir encaissé un seul but ! S’ils dominent largement ce championnat amateur, ces deux clubs s’affrontaient encore sous le statut professionnel au début de la décennie.
La chute de clubs historiques
En terre bastiaise, dans les livres d’histoire, entre Front de libération et Napoléon, on retrouve les têtes d’affiches d’une épopée sportive historique : Rep, Larios, Félix… stars de l’album panini de papy. Ils échouèrent en finale de la coupe de l’UEFA 1978 face au PSV Eindhoven de Kees Rijvers. S’en suivra une coupe de France remporté face au Saint-Etienne de Michel Platini en 81. Depuis, on se console en ressassant les souvenirs heureux des montées consécutives de National à Ligue 1 (2011 et 2012), ou la finale de Coupe de la Ligue 2015 perdue 4-0 face au PSG, pour laquelle plus de 20000 corses s’étaient déplacés dans la capitale, avec un engouement fabuleux. Une euphorie passagère, le club est rétrogradé à l’été 2015 puis maintenu en appel. La saison suivante, les joueurs ne peuvent empêcher la descente. Celle-ci dissimule des problèmes financiers récurrents. Finalement, le Sporting ne peut présenter les garanties (toujours plus importantes) nécessaires pour jouer en Ligue 2. Il perd le statut professionnel, présentant un déficit de 30 millions d’euros. Contraints de déposer le bilan, les Corses repartent en National 3.
Le CS Sedan, c’est une histoire plus discrète, s’inscrivant dans la formation. Club centenaire cette année, revenu plusieurs fois au statut d’amateur, il compte 23 saisons en division 1, deux victoires en coupe de France (1956, 1961) et trois finales (1965, 1999, 2005), ainsi qu’une participation, plus anecdotique, au premier tour de la coupe de l’UEFA en 2001. En 2012, il manque de peu l’accession en Ligue 1, pourtant essentielle à sa survie. La vente de ses meilleurs éléments conduit le club en National l’année suivante. La formation ardennaise peine à suivre la concurrence et les finances ne s’améliorent pas. Les sangliers sont relégués administrativement. Placé en liquidation judiciaire, le club doit même repartir en National 3 après son rachat par les frères Dubois.
La DNCG, un noble liquidateur ?
A l’origine de ces rétrogradations, la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), chargée d’étudier la viabilité financière des clubs professionnels. Son président, Jean-Marc Mickeler, la présente comme une organisation bienveillante, censée aider les clubs à se pérenniser. Elle semble cependant privilégier la sanction à la prévention ces dernières saisons. Principalement en cause, l’instabilité financière, qui constitue souvent le motif d’une rétrogradation. La croissance constante du sport professionnel induit une augmentation des budgets.
Or, le modèle des clubs de Ligue 1, généralement basé sur le trading, semble de moins en moins rentable et refroidit les investisseurs. Un déficit qui menace le championnat et son attractivité. Selon la DNCG, il s’élevait à 158,7 millions d’euros à l’issue de la saison 2017-2018. Mais seuls 5 clubs n’étaient pas bénéficiaires, témoignant d’un écart considérable dans leur gestion. Parti de ce constat, l’instance a durci ses conditions financières pour cibler ceux qui ne présentent pas les garanties suffisantes.
Cet été, neuf clubs en ont fait les frais. Parmi eux, Ajaccio, Nancy et Sochaux ont dû passer en appel pour conserver leur place en Ligue 2. Si la prévention semble ici porter ses fruits, nombreux se sont vus rétrogradés ou placés en liquidation judiciaire ces dernières saisons. Certains ont eu la folie des grandeurs. Le Mans et Grenoble, par exemple. Fraîchement promus en Ligue 1, ils entreprennent la construction de stades flambant neufs. Mais les difficultés sportives les mènent à la relégation et ils ne peuvent plus subvenir aux charges liées à ceux-ci. Les deux font alors la connaissance de liquidation et rétrogradation, le pistolet/menotte du gendarme financier du football français. Les Isérois redémarrent en National 3 en 2011. Les Sarthois, eux, seront contraints d’évoluer en Régional 1.
De la Ligue 2 au R1, l’atterrissage est brutal. Evian l’a ressenti cinq ans plus tard. Le club haut savoyard connait la même chute en 2016, le déficit financier conduit à la liquidation judiciaire de la structure professionnel. L’ETG, rebaptisé Thonon Évian Grand Genève FC, se bat cette année pour la montée en National 3 et, pour connaitre, pourquoi pas, le sort du Mans et de Grenoble. Après plusieurs montées successives, les deux équipes ont déjà retrouvé leur rang en Ligue 2.
Une histoire qu’a également vécu Strasbourg. A la suite de piètres performances sportives et de divers tourments extra-sportifs, la DNCG relègue les Alsaciens en National 3. Mais, fort d’une stabilité administrative retrouvée, et d’un public à la foi inébranlable, le Racing retrouve la Ligue 1, seulement six ans plus tard. De quoi inspirer Bastia et Sedan…
Des décisions controversées
La DNCG semble alors opérer une sélection dans la sphère professionnelle. Un mal ressenti également par les Bastiais pour leurs dernières saisons dans l’élite. La multiplication des sanctions nourrit un sentiment de persécution chez les supporters et les dirigeants, pour qui le Sporting dérange aux yeux des instances. Difficile d’estimer les torts de chacun tant la situation s’est dégradée, notamment en tribune (banderole anti-Qatar, soupçon d’insulte raciste ou envahissement du terrain). Paradoxalement, la DNCG s’est souvent vue taxée de laxisme au sujet du club corse, qui avait subit un encadrement de sa masse salariale à neuf reprises entre 2012 et 2016 et dont la gestion par le président Geronimi semblait de plus en plus ubuesque.
Certains clubs n’ont pas connu de telles reconstructions : Cannes, Rouen, Arles-Avignon, Gueugnon… La liste est longue et rappelle que les décisions de la DNCG peuvent anéantir des résultats sportifs acquis au fil de nombreuses saisons. En 2014, l’affaire Luzenac remue le football français. Le club a acquis sa montée en Ligue 2 mais ne présente, là encore, ni les garanties financières ni les infrastructures requises. Les différents appels ne mèneront à rien, si ce n’est pomper davantage dans les caisses du club. Passé tout près d’une montée historique, le village d’à peine cinq cents âmes doit abandonner sa structure professionnelle. Parallèlement, Lens est dans la même situation pour accéder en Ligue 1. Les sangs et or obtiennent gain de cause, attisant la colère des dirigeants ariégeois qui voient à travers cette décision une forme de discrimination envers « un club atypique mais qui dérange » tel que l’avait qualifié son directeur général de l’époque, Fabien Barthez.
Laxisme ou inflexibilité, difficile de situer le parti pris par la DNCG. L’absence de barème financier bien défini pour la participation aux compétitions et l’opacité de ses décisions ne permettent pas de juger des réelles intentions de l’instance. La gestion des dossiers au cas par cas, bien qu’elle soit justifiée, cultive le sentiment d’une justice à deux vitesses chez certains clubs. Pire, la DNCG n’a pas d’égal au niveau européen. Lorsque des clubs français doivent bénéficier de fonds propres, d’autres géants européens peuvent s’endetter sans être inquiéter.
Un manque d’équité européenne préjudiciable
Le Fair-Play financier, instauré par l’UEFA, se concentre sur les 3 dernières saisons et non la dernière comme la DNCG, permettant davantage de souplesse dans le budget. Ainsi, à titre d’exemple, Manchester United était endetté à hauteur de 561 millions d’euros en 2016, ce qui représente 80% de ses revenus cette même année. Et MU n’est pas le seul, l’Inter, la Juve, Liverpool ou encore l’Athletico Madrid (liste loin d’être exhaustive) ; tous présentaient un trou avoisinant les 300 millions d’euros.
Mais les champions en la matière sont les clubs portugais (FC Porto, Sporting CP, Benfica), avec une dette qui représente souvent le double de leurs revenus sur la saison, sans compter les équipes émergentes sur la scène européennes (CSKA Moscou, Galatasaray, Valence), très mauvais élèves. Evidemment, grâce à un encadrement financier nul ou permissif, ces clubs jouissent d’une masse salariale plus importante et le paiement des indemnités de transfert peut s’étaler davantage. La fuite des meilleurs joueurs de Ligue 1 à l’étranger en atteste, les salaires sont plus attractifs ailleurs. En effet, sur les 23 champions du monde tricolores 2019, seul 8 évoluaient en Ligue 1, dont 3 au PSG et 3 à l’OM, deux clubs alimentés par de puissants fonds d’investissement.
La nouvelle débâcle de nos clubs français en coupe d’Europe (Lille, Rennes, Saint-Etienne éliminés) rappelle, qu’en plus de charges plus importantes en France qu’à l’étranger, l’encadrement de la DNCG ne permet quasi aucun endettement et les actionnaires sont rarement prêts à investir à perte immédiate comme à Paris. Un fossé se creuse alors entre des clubs européens aux développements sans contrainte et les clubs français, fermement encadrés. Ce constat revient fréquemment ces dernières saisons, le championnat de France propose de moins en moins de spectacle en dehors de la manne financière parisienne.
S’il ne fait aucun doute que la Ligue 1 fut reléguée au rang de championnat secondaire il y a bien longtemps, les instances françaises (LFP, FFF) doivent agir directement, par davantage de liberté, ou indirectement, en faisant pression sur l’UEFA. Seul un changement de politique de celle-ci, comme la création d’une DNCG européenne ou d’un salary cap universel, permettra de mettre le football européen sur un même pied d’égalité.