Le procès du couple Balkany pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale s’est clôturé il y a peu. Pour Patrick, le Parquet National Financier requiert 7 ans de prison ferme et 10 ans d’inéligibilité. Pour Isabelle, 4 ans de prison avec sursis et 500 000 euros d’amende. Toutefois, bien plus que justice rendue, la sévérité des sanctions semble être avant tout un moyen pour le Parquet de s’excuser d’avoir mis tant de temps pour condamner le couple, soupçonné d’avoir privé le fisc de 13 millions d’euros, et toujours réélu à la tête de Levallois-Perret depuis 2001. Autant dire que les sièges du conseil municipal se sont habitués à l’odeur de magouilles des fessiers qu’ils soutiennent depuis presque vingt ans. Toutefois, saluons la performance, défier depuis tout ce temps les notions de probité, de transparence et d’honnêteté politique que les citoyens portent pourtant en oriflammes de la reconstruction du rapport à la démocratie, il fallait oser ! Saluons une œuvre politique basée sur le plus étonnant des paradoxes : Patrick Balkany est autant gage de confiance en son fief qu’il est fossoyeur de la crédibilité autrefois naïvement accordée aux politiques par l’ensemble peuple souverain.

Le principe représentatif repose sur un accord de confiance

Si Patrick (nous nous référerons à lui en ces termes par sympathie pure) maintient son empire sur la mairie des Hauts-de-Seine depuis autant d’années, c’est bien parce que ses électeurs continuent de voter pour lui. Autant qu’on le sache, Patrick l’escroc, oui, mais toujours dans le respect du jeu démocratique. Voter, c’est choisir quelqu’un pour nous représenter, parce qu’on lui fait confiance. Les politiques n’ont de pouvoir que celui que le peuple consent à leur accorder. Faire confiance à une personnalité politique, c’est la choisir parce qu’on la pense comme étant la plus à même de réaliser le bien collectif. Cela ne veut pas dire qu’elle est la plus capable intrinsèquement, mais que le peuple semble voir en elle le meilleur des représentants. C’est l’idée même de Démocratie que de pouvoir choisir collectivement, selon nos sensibilités. Accorder sa confiance est un acte personnel, presque intime. Faire confiance implique l’autre et soi-même, et c’est alors accepter de se placer dans une relation de vulnérabilité face à celui qui détient notre confiance, et qui dans le champ politique nous a alors dépossédé d’une part de notre souveraineté au nom du principe représentatif.

Les politiques ont pendant longtemps entretenu un lien ambiguë à l’électorat, par une communication que l’on peut juger paternaliste, démagogue, ou populiste; du “je vous ai compris” à tout va, des poignées de main fermes mais tendres, des peines écoutées et partagées d’un morne visage. Aujourd’hui, ils se présentent surtout comme des individus capables, des Decision Makers, disruptifs, jeunes et dynamiques, prêts à se mettre en marche, et beaucoup moins comme capables de cette compassion qui frise la théâtralité, mais qui fait paraître comme dignes de confiance des individus dans leur pleine humanité. Les politiques ne sont ni charmeurs de serpents, ni Saints “à qui on donnerait le bon Dieu sans confession”, comme diraient mes ancêtres, mais des metteurs en scène du lien de confiance que le gouvernement représentatif semble exiger. Les levalloisiens sont bien conscients des magouilles de leur bon Patrick, mais s’en remettent tout de même à lui comme étant le plus à même de s’occuper de leur ville. Les élections ont leurs raisons que la raison parfois ignore.

“Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres” – Etienne de La Boétie

Seulement comment encore accepter de faire confiance à une classe politique perçue de façon globale comme corrompue, les “tous pourris !” retentissants sur les ronds-points français depuis des mois et des mois. Et comment leur donner tort, quand l’ONG Transparency International, dans son Indice de Perception de la Corruption montre qu’aucun pays n’échappe au phénomène de corruption, et que beaucoup des démocraties voient leur indice s’aggraver au fil des ans. On entend encore plus fort retentir la musique des Tontons Flingueurs sur le portable de Patrick lors de son procès…

Les citoyens ont jusqu’ici accepté de donner leur confiance par le vote, de se soumettre à un lien de vulnérabilité qui implique la possibilité d’être trahis. Mais les politiques oublient qu’un don, et d’autant plus un don de sa souveraineté et de sa liberté, appelle un contre-don. Ce contre-don s’est appelé idéologies, utopies, ces espoirs qui mettent en mouvement, qui font croire que l’aube sera plus claire demain qu’aujourd’hui. La crise de la confiance est une partie de la crise des idéologies. Toujours l’incertitude face à l’avenir, c’est-à-dire la confiance au progrès sur le court et le long terme, a été déterminante pour faire société. Paradoxalement, construire la confiance, tant en politique qu’en économie, tend à maintenir certains intérêts par le maintien du système productiviste capitaliste et du principe représentatif, qui tous deux empêchent par essence le développement de systèmes alternatifs et plus verticaux. L’Institut de la Confiance (Québec) montre qu’en Australie en 2012, 99% des dirigeants des grandes entreprises sont d’avis que la confiance est composante critique d’une relation forte. Pourtant, 95% de ces mêmes patrons disent ne pas investir d’efforts pour bâtir cette confiance. La fragilisation des structures ne peut être imputée qu’à leurs apôtres, peut être que la dynamique du capitalisme est bien qu’il court à sa propre perte. Bien vu Karl.

« Notre intelligence se conduisant par la seule voie de la parole, celui qui la fausse trahit la société publique. S’il nous trompe, il dissout toutes les liaisons de notre police  »

Montaigne