La nomination d’Elisabeth Borne au Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, met à nouveau en lumière la place ambiguë que réserve le gouvernement Philippe – et a fortiori, le Président de la République – à la question environnementale. Exaltée dans les discours à coup de slogans percutants et de belles promesses, la politique écologique du pouvoir semble pourtant s’inscrire davantage dans une soumission quasi perpétuelle au monde économique et financier.

Les masques tombent

Il est loin le temps où résonnait sur la scène internationale le, maintenant devenu célèbre, « make our planet great again ! » (1er juin 2017). Mais la mayonnaise mêlant discours grandiloquents aux demi-mesures ne prend plus. De la démission de Nicolas Hulot, écœuré par l’influence des lobbies dans les sphères décisionnaires, en passant par la frilosité du gouvernement sur le glyphosate, jusqu’à la nomination d’Elisabeth Borne, décrite comme une « technicienne compétente et aguerrie », mais aussi comme une personne dont la conscience écologique est encore portée disparue à ce jour, le pouvoir politique a su démontrer par les faits son manque d’ambition en matière environnementale. Cette nomination est d’autant plus incompréhensible qu’elle intervient dans un contexte post-élections européennes, qui a, sans l’ombre d’un doute, réaffirmé les aspirations écologiques des Français. Au lieu d’envoyer un signal fort afin d’être cohérent avec le début du soi-disant « acte II du quinquennat », Emmanuel Macron a fait le choix d’une personne qui, étant ministre des Transports, a préféré supprimer la ligne ferroviaire Perpignan-Rungis, au profit du transport routier, bien plus polluant. Etrange conception du « tournant écologique » promis.

L’écologie : un outil de com’ à durée limitée

Car s’il y a bien un domaine dans lequel l’enjeu environnemental est présent, c’est dans la communication du résident de l’Elysée. « Le changement climatique est le grand défi de notre temps », pouvait-on lire sur son compte Twitter le 2 juin 2017. En y regardant à deux fois, on remarque que depuis le début du quinquennat, le Président de la République utilise l’écologie comme un outil de com’ pour se constituer une image d’anti-Trump (en particulier à l’international) et de dirigeant soucieux du bien-être de Mère Nature. Encore une fois, mettre en perspective les paroles et les actes permet d’y voir un peu plus clair. Ses premiers mots lors du premier Conseil de défense écologique (CDE), tenu le jeudi 23 mai 2019, sont les suivants : « sur l’écologie, le temps n’est plus à la parole ». Vraiment ? Rien n’est moins sûr le concernant. Certes, un petit nombre d’annonces relativement prometteuses (qui ne restent pour le moment qu’au stade d’annonce) ont émergé de ce premier Conseil. Par exemple, trois milliards d’euros de prêts supplémentaires pour les collectivités en vue de l’isolation thermique de nombreux bâtiments, ou l’abandon quasi-officiel du projet Montagne d’or en Guyane.

Incohérences regrettables

 Or, le maintien du projet dévastateur de 80 hectares d’EuropaCity à Gonesse dans le Val d’Oise (pour ne citer que lui), ainsi que la multiplication de « grandes annonces » floues au mépris de propositions concrètes dans les domaines abordés, laissent un goût amer à ce premier CDE. Là encore, au lieu de prendre le taureau par les cornes, le pouvoir politique s’est laissé tenter par ce jeu funeste de communication en guise de cache-misère qui n’arrive plus, néanmoins, à dissimuler l’incohérence entre leurs propos et leurs actes. Incohérences qui prêteraient à sourire, si on ne jouait pas là, l’avenir de notre civilisation. Pour l’anecdote, lors de ce CDE de mai 2019, de Rugy a promis que la France s’élèverait comme porteur de l’idée d’une taxation du transport aérien à l’échelle européenne. Pas de bol, deux jours plus tôt, dans le cadre de l’examen d’un projet de loi d’orientation sur les mobilités, les députés avaient rejeté un amendement visant à taxer le transport aérien à l’échelle nationale.

Une logique sous-jacente

Et si ces « incohérences », comme nous aimons à les nommer depuis le début de l’article, répondaient en fait à une logique tout à fait compréhensible ? Emmanuel Macron n’a jamais caché sa priorité numéro un : l’économie. Or, l’écrasante majorité des études scientifiques sérieuses sur la question climatique – par exemple le dernier rapport du GIEC – établissent une relation de causalité entre la crise environnementale et notre système économique, dont notre Président de la République fait office de figure de proue (parmi d’autres). La question n’est donc pas de savoir si Emmanuel Macron prendra à l’avenir des mesures radicales en matière environnementale, mais s’il est en mesure de changer de « PROJEEET » (pardon) et de faire preuve de courage politique face aux lobbies, afin de garantir l’intérêt général. Ce qui est fort peu probable étant donné son obsession à maintenir « le cap ». Définition de « cap », selon E. Macron : exacerbation du libéralisme en France et à l’international, au détriment des pouvoirs publics, de l’idéal d’égalité (pourtant inscrite sur toutes les mairies de France), ou encore de l’environnement qui dépérit à vue d’œil. 

De l’art de faire l’autruche

Le vote du CETA (traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada) ce mardi 23 juillet marque le point d’orgue de cet état de fait. Quand Nicolas Hulot appelle dans une tribune les élus au « courage » de dire non à ce traité, le président s’empresse de lui répondre qu’il se trompe, et qu’au contraire, le CETA va dans le bon sens. Ce traité était pourtant décrit comme une mesure anti-environnementale par diverses ONG. N’en déplaise à M. Macron, une lutte efficace et crédible pour le salut de l’environnement n’est pas compatible avec (attention, gros mot) le capitalisme. Le capitalisme vert est une chimère rendant possible la justification des demi-mesures et des discours de façade qui frôlent parfois l’indécence. C’est notamment ce que dénonce Frédéric Lordon, dans son premier Appel sans suite, publié sur le blog du Monde Diplomatique : « Et plus le déchaînement du capitalisme explose, plus l’inanité appelliste prospère, plus il s’agit de parler haut pour ne rien dire, de titrer gros pour ne rien voir, d’avertir à la fin des temps pour exiger la fin des touillettes ». Force est de constater qu’en effet le « temps n’est plus à la parole ». Le temps est aux actes. Mais l’acte est indissociable de la réflexion. Non pas une réflexion scientifique, ces derniers tirent la sonnette d’alarme depuis bien longtemps déjà. Il s’agit d’une réflexion politique, qui, au nom du bien commun, se doit d’identifier et de nommer courageusement les causes profondes de la crise environnementale, et par suite, d’agir en conséquence.