Enième tournant répressif

Au prétexte de l’état d’urgence, qu’il soit sanitaire ou non, bon nombre de déplacements ou encore manifestations ont été interdits sur le territoire français ces dernières années. Aujourd’hui, ce qui se joue à l’Assemblée Nationale est encore plus grave : les Français pourront-ils encore filmer et diffuser les images des forces de l’ordre lors de violences policières ?

Tout porte à croire que dans un futur proche ce ne sera plus possible, d’après l’article 24 de cette proposition de loi, enfin si : au prix d’une amende allant jusqu’à la modique somme de 45000 euros et d’une peine allant jusqu’à un an d’emprisonnement. Rien que ça.

En 2019, le rapport annuel de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) faisait état d’une augmentation de 23,7% des enquêtes qui lui étaient confiées, dont une hausse de 41% pour les seules enquêtes concernant des « violences volontaires ». Le mouvement des Gilets Jaunes et les nombreuses manifestations ne semblent pas y être étrangers, tout comme les nombreuses images que l’on pouvait retrouver sur les réseaux sociaux notamment.

Pour un bref rappel, sans les vidéos, nous ne saurions aujourd’hui rien de l’affaire Chouviat, ce livreur de 42 ans mort après un malaise cardiaque suite à contrôle policier, rien non plus concernant le passage à tabac d’un gilet jaune dans un Burger King de la capitale et toujours rien des violences commises par l’irréprochable, Alexandre Benalla, ex-adjoint au chef du cabinet de la présidence de la République. Il est donc indéniable que les vidéastes, amateurs ou non jouent un rôle non négligeable dans bon nombre d’affaires impliquant la police.

La (très) dangereuse proposition de loi

Si notre titre a été choisi pour alerter, c’est parce qu’à notre sens, cette proposition de loi est très dangereuse pour notre État de droit. L’expression « État policier » ne vient d’ailleurs pas de nous, nous l’avons emprunté à un spécialiste du droit, à savoir Arié Alimi, avocat au barreau de Paris qui qualifierait la France ainsi, si la proposition de loi venait à être adoptée. Il est certain que l’adoption d’une telle législation fait tendre la France à un État policier bien que les mots fassent peur.

Dans le cas d’une adoption, non seulement il sera de plus en plus difficile voire impossible de prouver des violences policières pourtant bien présentes sur le terrain, mais du côté policier c’est tout l’inverse : les drones seront légalisés pour surveiller la population en permanence et les images des caméras piétons des policiers seront centralisées. A quand la reconnaissance faciale ?

Pour faire passer la pilule rien de telle qu’une petite formule bien ambigüe censée nuancer la proposition de loi : l’interdiction de la diffusion d’images des forces de l’ordre ne concerne que les cas où il y a « intention de nuire de manière physique ou psychique ». Bien essayé, mais il ne faut pas avoir fait 5 ans en droit pour comprendre que cette intention ne pourra être tranchée qu’a posteriori devant un tribunal. Entre temps, il y a fort à parier que les policiers s’en donneront à cœur joie dans les manifestations contre nos smartphones et caméras. Bon, vous nous direz qu’ils n’ont pas attendu la proposition de loi pour le faire.

La police ne déroge malheureusement pas à la règle : comme dans tout corps, il y a des bons et des moins bons. Il est évident qu’il y a de très nombreux policiers qui exercent leur fonction de manière exemplaire, certainement que ceux-ci représentent d’ailleurs une majorité. Néanmoins, il est impossible d’occulter, aujourd’hui plus que jamais, les trop nombreuses violences policières existantes, au même titre que le racisme qui gangrène une partie de la police, comme de la société aujourd’hui. Interdire de filmer ces violences ou ce racisme représente une dérive autoritaire sans précédent menaçant la liberté d’expression, la liberté de la presse ou encore celle de manifester. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU nourri déjà des inquiétudes envers cette proposition de loi comme il l’a annoncé dans un rapport.

Le timing choisi par nos élus interroge lui aussi : une nouvelle fois, c’est dans un contexte très particulier que cette loi très contestée est discutée. Ce n’est pas la seule d’ailleurs, puisque le projet de loi sur la recherche, très contesté lui aussi notamment par les universitaires, devrait être adopté aujourd’hui également. Cette loi prévoit notamment la pénalisation des occupations de facultés à hauteur de 3 ans de prison et de 45000 euros d’amende. Vous avez dit répression ?

Quand l’on pense qu’il y a quelques jours, le gouvernement s’égosillait à défendre la liberté d’expression, et qu’aujourd’hui une proposition de loi l’atténuant de manière significative est examinée par l’Assemblée Nationale, on se dit que l’expression deux poids deux mesures prend tout son sens.