Le 12 mars, Noël Le Graët, président de la FFF, annonçait « la suspension de l’ensemble des activités et compétitions gérées par la Fédération, ses ligues et ses districts, sur l’ensemble du territoire » et ce, jusqu’à nouvel ordre. La mise en place des mesures de confinement, 6 jours plus tard, a enterré les espoirs de retrouver les terrains d’ici peu. Depuis, les interrogations laissent peu à peu place aux spéculations. Peut-on reprendre après une telle coupure ? Doit-on établir un classement si la reprise n’était pas possible ? Évidemment, chez les dirigeants, les avis divergent à mesure que les intérêts s’éloignent. Classement à mi-saison ou à date, montée sans descente et saison blanche, les options, aussi nombreuses soient-elles, ne pourront contenter tout le monde.

De son côté, à l’issue du Comex exceptionnel du 3 avril, la FFF a continué d’entretenir les doutes concernant une reprise potentielle de ses championnats (du National au District) : « À ce stade de la crise sanitaire, il est encore difficile de se projeter dans la période post-pandémique. Mais la possibilité de reprise de nos championnats existe toujours. Il serait donc prématuré de prononcer aujourd’hui l’arrêt de la saison. » précisant que « la décision de reprendre les championnats ou de les arrêter (sera prise) à l’issue de la période actuelle des mesures de confinement. ». Elle exclut également toute possibilité d’une saison blanche ou de montée sans descente qui, selon elle, « ne répondrait en effet à aucune logique sportive ».

 « Soit on décide de jouer tous les matchs restants, soit on ne joue rien »

Mohamed Hadi, entraîneur de L’Étrat la Tour (Loire), champion de R3 l’an passé, reste dubitatif quant à la possibilité d’une reprise : « Est-ce qu’au mois de Juin on sera dehors ? Bonne question… ». Il regrette le manque de concertation entre les différentes instances : « On aimerait avoir l’avis du CNOSF quand même ». En cas de non reprise, la saison blanche serait, pour lui, « la solution la moins injuste », rappelant que seulement « deux tiers du championnat ont été joués » et que « le football est fait de retournements de situation ». En effet, pour des équipes en difficulté cette saison comme L’Étrat (dernier de sa poule), établir un classement à date reviendrait à prononcer une descente qui aurait pu être évitée sur le terrain. Il en va de même pour les formations qui luttent pour la montée.

Mohamed Hadi (à gauche), entraineur de L’Étrat la Tour. David Desautel (au centre) et Necime Bounouar (à droite), respectivement adjoint et attaquant de Hauts Lyonnais.

À 30 km au Nord, c’est le cas de Haut Lyonnais (Rhône), en ballottage pour une accession en National 2 (1er ex-æquo à 8 journées de la fin). Même si « ce n’est vraiment pas (sa) priorité du moment », David Desautel, l’adjoint du coach Romain Reynaud, admet que l’évincement de la solution saison blanche est « une bonne nouvelle pour (eux) ». Comme le souligne Necime Bounouar, attaquant du club aux cinq villages : « Ça permet de récompenser le travail fourni depuis le début par les joueurs, le staff et les bénévoles… ». Mais l’idée d’une réalisation partielle de la fin de saison évoquée par la FFF peine à convaincre l’adjoint rhodanien : « Soit on décide de jouer tous les matchs restants, soit on ne joue rien. Sinon il faut trouver une autre solution.»

Les jambes n’y sont plus…

Si la saison venait à redémarrer, un autre aspect renforcerait les risques d’iniquité sportive. La fédération entend tenir compte des « conditions de préparation pour les joueurs » dans sa prise de décision. Or, il apparait impossible de retrouver les terrains avec les aptitudes physiques nécessaires. Pour Necime Bounouar, cette période sera « obligatoire » même s’il suit « un programme à faire 4 à 5 jours par semaine » concocté par son préparateur physique. « On ne peut pas vraiment les suivre » regrette David Desautel. Une tâche compliquée que d’allier les bouleversements de l’emploi du temps et la gestion d’une vingtaine de joueurs à distance.

À L’Étrat, Mohamed Hadi « s’était posé la question de voir comment (il) pouvait proposer à (ses) joueurs de se maintenir physiquement en forme » avant de constater : « On ne peut rien faire… On voit bien que pour tout le monde c’est la galère, entre le boulot à distance, le chômage partiel, faire la classe aux enfants, les gens ont d’autres soucis que ça. » Des soucis qui ne tiennent pas compte du niveau : en Régional 2 comme en National 3, les joueurs ont une vie professionnelle et familiale en dehors du football…

En outre, la semaine dernière, dans un communiqué signé par 15 des 18 clubs de National (3ème division), l’Union des Clubs des Championnats Français de Football (U2C2F) précisait que « tous les intervenants et spécialistes s’accordent aujourd’hui sur le fait que les joueurs devront se préparer, sur une période intensive de 5 semaines minimum et incompressible, avant de retrouver les terrains de compétition. ». Alors, les clubs « ne seront pas en mesure de reprendre leurs activités sportives, si la période de confinement est amenée à être prolongée par le gouvernement après le 15 avril. » Avec les annonces gouvernementales parues hier, le National pourrait donc être le premier championnat français définitivement interrompu. Les modalités d’arrêt (montées et descentes notamment) n’ayant pas été précisées, cette décision s’opposant à la volonté de la fédé, que va-t-il se passer désormais ?

Il va de soi qu’en fonction des niveaux, la préparation physique peut s’avérer plus ou moins longue. Or, même en réduisant celle-ci d’une ou deux semaines, venir à bout des championnats avant le 30 juin (date fixée par la FFF) semble impossible. De plus, la date de reprise des activités sportives, pour l’instant calquée sur celle de l’école le 4 mai, ne reste qu’une indication.

… la tête est ailleurs.

Malgré leurs différences de niveaux, d’ambitions et d’intérêts, nos trois protagonistes du foot amateur se rejoignent sur un point : dans le contexte actuel, la reprise ne doit pas être une priorité. La Fédé en a pourtant fait la sienne : « Ne pas reprendre les championnats, alors que les conditions sanitaires le permettraient, pourrait être catastrophique sur le plan du rôle social que joue le football au sein de la société, tous les jours, sur l’ensemble du territoire. ».

Dans les rangs rhodaniens, on a pris de la distance avec le rectangle vert ces derniers temps : « Pour être honnête, aujourd’hui c’est le dernier de mes soucis, la priorité n’est pas de savoir si on sera en N2 ou en N3 l’an prochain » confie David Desautel. En télétravail actuellement, il mène des actions solidaires pour venir en aide aux personnes âgées, l’obligeant à « laisser le football en stand-by ». « Je pense sincèrement que beaucoup ont d’autres choses auxquelles penser actuellement » poursuit-il. Pour son buteur, à qui « le football manque énormément », le constat est le même : « ce serait une mauvaise chose de reprendre la saison alors qu’un virus a mis la France à l’arrêt. Et ce sera très dur pour tout le monde d’avoir la tête à cela ».

Chez Mohamed Hadi, l’incompréhension prédomine : « Je ne vois pas comment on peut penser au foot en ce moment. Je ne sais pas qui voudra reprendre, se retrouver dans un vestiaire après avoir perdu des proches, risquer d’être à nouveau malade… Je trouve ça un peu inhumain comme façon de faire de la part de la Fédé. » Le coach stratien poursuit : « Quand on cherche à promouvoir l’esprit sportif, l’éthique et le fair-play, objectivement, j’estime que la saison blanche est la meilleure solution ». Les mesures de la FFF semblent loin de s’accorder avec la réalité actuelle.

Tout pour les sous ?

L’annulation probable des quatre rencontres de l’Équipe de France et de la finale de Coupe de France induirait un manque à gagner de 25M€. Mais selon Noël Le Graët, aucun enjeu financier n’entre en compte dans les prises de décision de la Fédé : « les championnats nationaux ne rapportent financièrement absolument rien à la FFF, c’est l’inverse, ils lui coûtent ».

Du côté des clubs, le bilan risque d’être catastrophique comme le rappelle Mohamed Hadi : « les tournois sont annulés et c’est là-dessus qu’on fait nos principaux revenus. Je ne connais pas de club qui n’ait pas du mal à équilibrer son budget le reste du temps. En plus, avec les entreprises en difficulté, on risque d’avoir beaucoup de sponsors qui ne pourront pas suivre ». La FFF assure qu’elle maintiendra son budget alloué pour la saison aux clubs amateurs (86M€) tout en mettant en place un « un fonds exceptionnel de solidarité » pour « venir en soutien des clubs amateurs les plus impactés ».

Le coach stratien, qui se méfie de ces « effets d’annonce », s’inquiétait déjà du devenir de notre modèle auparavant : « Comment on explique que ce soit si difficile de salarier des gens ? Et la différence de budget avec les clubs amateurs étrangers ? ». Cette semaine, un collectif des clubs de National 2 (32 clubs) et l’Association française du football amateur (AFFA) ont fait parvenir leurs requêtes à la FFF dans leurs courriers respectifs. Des revendications qui vont d’une augmentation des dotations et de l’allègement des charges, à la création d’une (vraie) Ligue du football amateur sur le modèle de la LFP.

Bornée à vouloir boucler ses championnats coûte que coûte, la Fédé intègre à ses dépens la prolongation des mesures de confinement. Le Comex devrait se réunir à nouveau dans les jours à venir pour statuer (définitivement ?) sur ces questions. Cette crise met toutefois en lumière les nombreuses limites du football amateur en France, qui survit aujourd’hui grâce à ses 400 000 bénévoles. Des bénévoles qui, avant de retrouver la main courante, s’empresseront de revoir leurs proches, de sécuriser leur emploi ou de partir pour des vacances bien méritées. Le ballon pourra bien nous attendre un été…

Crédit illustration : Yern