Oui, il fait chaud. Voilà comment souvent on coupe court à ces exclamations annuelles et régulières quand point le mois d’août. En mêle temps on ne va pas dire le contraire, il fait chaud. Mais a-t-on besoin d’en dire plus ? D’en faire des cartes et de dire « ah là oui il fait chaud », de dépêcher les stagiaires du JT qui par la même ont chaud demander aux passants si ils ont chaud ? Le soleil chauffe, y a pas de nuage, il fait chaud. D’ailleurs à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai chaud. Mais le secret c’est que voilà, on n’y peut rien.
Impuissance et finitude
Et être impuissant quand on est un humain, c’est bof. On a appris que l’homo erectus s’est levé et que Sapiens a pensé, conceptualisé et mis en œuvre de quoi maitriser les éléments. On a retenu que le dieu grec Prométhée a donné aux hommes le feu car il avait déjà donné tout le reste aux autres animaux. On a appris de Descartes qu’il était donc légitime d’être « maitre de la nature ». Très simplement, quand il pleut on a inventé le ciré, la capuche et le parapluie, quand il neige les gants, les bonnets, quand il fait froid le chauffage et quand il fait chaud la clim.
Oui mais là il fait trop chaud. Et on n’a pas tous la clim. On ne peut enlever plus de vêtements que ceux nus dans leurs lits, ou à leurs fenêtres si on est le voisin naturiste classique. Anthropologiquement cela pose un souci. L’homme doit subir. En silence. Mais ça il n’y arrive pas trop. Donc, « olalala qu’est-ce qu’il fait chaud ! ». Témoigner de son impuissance est une sagesse que les Hommes ne détiennent que dans les structures qui sont des constructions de leur propre fait. On n’a les « mains liées » que dans des hiérarchies, des dilemmes que l’on s’est imposé du fait de nos relations sociales. Subir un extérieur parfaitement extérieur est une vexation qui nous ramène à notre propre finitude humaine. On s’adapte cependant : « recettes pour quand il fait chaud », « que faire par grandes chaleurs », « top 10 des reflexes à avoir en canicule », « non pas ma bière préférée à 9 degrés, une blonde légère s’il vous plait » (irk). On s’adapte mais la vie ne peut vivre son court droit, elle est distordu au grès du plus trivial des facteurs : la météo.
Trivialité et paternalisme
Juger un sujet de conversation trivial, c’est introduire immédiatement et irrémédiablement un esprit trop critique, selon ce que Kant appelle critique : la faculté de hiérarchiser les objets, ce qui permet in fine de réaffirmer la primauté du sujet, de l’être humain. Rien de bien choquant donc, que de juger la pluie et le beau temps moins important que les Droits de l’Homme ou même du bien fondé de la Critique de la Raison Pure de Kant. Pour certains il s’agirait pourtant de renverser les modes de la trivialité, sur les bases de ce que Deleuze appelait la « Pop’philosophie ». il ne s’agit pas seulement de penser avec le quotidien, mais de comprendre les dynamiques de ce quotidien dans un espace plus global.
Le rôle de la météo, c’est en premier lieux, trivial, de nous dire si il fait chaud ou pas. Mais dans sa forme comme dans son fond, la construction sociale de la chaleur même a pour instance de diffusion cette même météo, celle d’avant Delahousse, avec une jolie présentatrice faisant des mouvements de bras sur une carte en fond vert. Un artifice mis en scène comme une institution réglant une certaine norme, celle du chaud et du froid. Une mise en scène qui ne manquait d’ailleurs pas de finir par une injonction du type « couvrez vous demain il va faire froid » ou au contraire « attention à la chaleur de demain après-midi, restez chez vous ». En quelques sortes, outre le paternalisme d’une fausse bienveillance hiérarchisée, c’est un pouvoir politique qui s’exprime, un biopouvoir comme décrit par Michel Foucault, c’est-à-dire de contraindre les corps sans forcément user de violence. Si la canicule est un fait naturel, sa mise en scène est autant sociale que les Droits de l’Homme ou l’œuvre de Kant (le boug avait quelques mommy issues). Non seulement il y a une angoisse existentielle face à la canicule, mais encore sa manifestation donne lieu à une représentation sociale de l’angoisse.
Angoisses et collapse
Cette angoisse, c’est celle de la disparition. Car, ne vous méprenez pas, il y a bien danger à rester exposer au soleil et à ne pas s’hydrater. Une angoisse primale, première, à laquelle de réels morts à Beyrouth peinent à prendre la place d’information capitale dans les médias. Les effets de cadrage de l’information peuvent parfois paraîtres artificiels mais ils n’explicitent en réalité souvent que des inquiétudes ou passions des journalistes en charge de cette hiérarchisation des vérités. Dire qu’il faut faire attention parce qu’il fait trop chaud et qu’on n’y peut rien, c’est aussi important que de dire qu’une usine a explosée de la faute à pas de chance.
D’ailleurs c’est là la dernière quête de l’esprit moderne et cartésien, les dernières bribes, en temps de canicule, qui nous rattachent à l’image mythologique de l’humanité : trouver du sens. Pour les libanais, l’explosion symbolise la corruption des dirigeants, l’insoutenabilité des inégalités et la fragilité du régime. Pour de plus en plus d’individus, avoir chaud en été est le symbole d’un réchauffement plus global, car il fait toujours plus chaud, toujours plus longtemps, à de plus en plus d’endroits où il ne faisait pas chaud avant. On dit maintenant partout sur le globe au moins une fois dans l’année « eh beh, il fait chaud ! », ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. Subir la chaleur devient alors subir nos propres actes, payer les conséquences d’une surexploitation de la nature, d’un trop plein de feu, de s’être levés trop vite, trop brusquement.