Les nombreux échecs successifs en quelques dates

C’est en 1998 que la ville de Calais connaît son premier flux d’exilés, venant pour la plupart du Kosovo. En 1999, dans la ville de Sangatte un centre d’accueil pour migrants est créé dont la capacité d’accueil est fixée à 800 personnes. Il en accueillera finalement jusqu’à 1800.

En 2002, sous la houlette de Nicolas Sarkozy alors Ministre de l’Intérieur, le camp de Sangatte est démantelé, ce dernier se félicitant de mettre fin à «un symbole d’appel d’air de l’immigration clandestine dans le monde».

L’appellation « jungle de Calais » apparaîtra pour la première fois en 2008 et comptera jusqu’à 500 exilés avant d’être démantelée à la suite d’une décision du ministre de l’Immigration Eric Besson en 2009. Entre 2010 et 2014, les démantèlements se succèdent faisant varier le nombre d’exilés présents à Calais, un nombre ayant atteint tout de même la barre des 2000 durant l’année 2014.

Tout s’accélère à partir de 2015 : les conflits dans le monde se succèdent forçant les populations syriennes, afghanes, irakiennes, soudanaises ou encore érythréennes à fuir. L’Union Européenne voit donc le franchissement de ses frontières augmenter drastiquement. Les évacuations de camps à Calais ne fléchissent pas et suivent une augmentation considérable du nombre d’exilés atteignant le nombre de 6000, ceci notamment dû à la difficulté toujours plus grande pour ces derniers d’atteindre le Royaume-Uni.

Le total d’exilés à Calais atteindra même 8000 voire 10 000 selon certaines associations un an plus tard en 2016 avant le démantèlement de ce qu’on appelait la « jungle de Calais ». Les trois années suivantes ont vu le nombre d’exilés chuter en flèche à Calais, avec des camps scindés n’accueillant pas énormément de monde, ceci notamment dû à une répression de tous les instants. On recenserait aujourd’hui entre Calais et Grande-Synthe entre 1000 et 1500 exilés.

Des évictions toutes les 48h

On ne peut pas dire que la police chôme dans le Nord. Tous les deux jours, sans exception et parfois même plus fréquemment, ces derniers reçoivent l’ordre de démanteler les camps d’exilés. Après exécution, ces derniers doivent tout recommencer : retrouver une tente, un sac de couchage, parfois même des vêtements puisque le plus souvent pour ne pas dire tout le temps, les interventions de police ne se font pas dans la demi-mesure. Collective Aid, association chargée des distributions de produits non-alimentaires tels que les tentes, sacs de couchages, vêtements, produits d’hygiène ou encore chaussures tire la sonnette d’alarme : en 2020, l’association a distribué plus de 3600 tentes, 4217 ont été saisies par la police la même année…

Une fois tout ce travail effectué, le temps de « repos » ne dure pas souvent plus de 48 heures avant de faire face à une nouvelle éviction. Le quotidien des exilés actuellement dans le Nord de la France n’est autre que celui-ci : « Un jour sur deux, le matin, la police vient détruire le camp, ils cassent les tentes alors on emmène tout sur la route, nos vêtements, tout » confiait un exilé à France 3 Hauts-de-France il y a déjà quelques années.

Depuis rien a changé, tout a continué

« On ne comprend pas pourquoi la police fait ça. On n’embête personne, on vit dans des endroits où même les animaux ne viennent pas. Et pourtant, tous les deux jours on vient nous prendre le peu qu’on a. Si je voulais rester en France, je ne viendrais pas à Calais ». Ce sont les mots échangés avec un Béninois tout proche d’une entreprise mandatée par la sous-préfecture de Calais, dernier rempart de la légalité des interventions de police sur les camps. Pour conférer ce caractère légal à ces opérations à Calais, il a fallu trouver une parade : un lieu où après avoir saisi tout ce qui se trouve sur leur passage les forces de l’ordre déversent l’ensemble du « butin », pour que ce ne soit pas considéré comme du vol. Les exilés sont ensuite autorisés à venir tenter de récupérer leurs affaires chaque jour entre 13h et 16h. Pour venir ? Débrouillez-vous ! Marchez, ou faites appel aux associations. Justement Human Rights Observers est l’association qui se charge d’aider les exilés à récupérer leurs biens. Pour montrer que le système ne fonctionne pas, ils référencent tout : ce que l’exilé cherchait avant de venir, ce qu’il a trouvé, ce qu’il n’a pas trouvé. Si parfois il y a des bonnes surprises avec un départ de l’entreprise susvisée avec le sourire, le plus souvent celui-ci s’accompagne de frustration et d’incompréhension par rapport à une situation à laquelle il faut faire face rappelons-le, tous les deux jours. Bien évidemment, il est assez rare que les exilés repartent avec ce qu’ils cherchaient, les affaires étant toutes entassées sans être triées.

La situation bascule parfois dans l’horreur

On était déjà avancé dans l’inhumanité, cependant les frontières de l’horreur sont parfois franchies. L’association Utopia 56 a recueilli au cours du mois de juin plusieurs témoignages d’exilés blessés après des interventions de police. Nos confrères d’Info Migrants ont recensé ces témoignages qui font pour la plupart froid dans le dos : gazage de tentes, policier qui urine sur un homme, un autre brûlé par un briquet pendant que des collègues le tenait… Les poursuites contre ces actes abjectes sont comme souvent très compliquées : il faut que les exilés obtiennent d’un médecin une preuve qu’ils ont bien subi des violences policières, que ceux-ci aillent porter plainte tout en sachant que la procédure sera longue alors qu’ils espèrent quitter Calais au plus vite. Certains banalisent même ces violences, ayant subi pire dans leur voyage jusqu’à Calais.  

La situation à Calais est qualifiable d’inhumaine, mais elle restera beaucoup moins intéressante pour les médias mainstream que le fait qu’une assesseure, donnant de son temps pour les élections régionales, porte le voile… Pendant ce temps-là, 30 Millions d’euros ont été donné par l’Angleterre à la France et plus particulièrement à la région des Hauts-de-France pour qu’elle renforce sa sécurité à Calais. Avec 30 Millions d’euros, combien pourrait-on construire de logements ? Combien de personnes pourraient être rémunérées pour venir en aide à ceux qui fuient les bombes ou les régimes dictatoriales ? Le changement ne pourra bien évidemment pas venir uniquement de la France, et une coopération sur les questions migratoires devra être effective a minima au niveau européen, car ne l’oublions pas, les vagues migratoires que l’on connaît aujourd’hui sont infimes par rapport à celles qui arrivent en raison du réchauffement climatique. Il est encore temps d’agir et de tendre la main.