C’est avec grand plaisir que nous avons reçu votre accord pour cette interview, et nous vous en remercions. Depuis quelques semaines, les groupes de supporters sont loués pour leur générosité, avec l’organisation de plusieurs actions visant à rendre le quotidien moins compliqué pour le personnel soignant dans ce contexte délicat. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui a été mis en place du côté des Green ?
On a vu ce qu’il se passait en France, et en particulier à Saint-Étienne. On a vite compris qu’on était tous dans le même bateau. On a eu envie de se solidariser, on ne voulait pas rester dans notre canapé à ne rien faire. On avait surtout à cœur d’apporter notre pierre à l’édifice sur Saint-Étienne dans le but d’aider les soignants voire les patients. On est même en train de travailler sur une action en direction des gandous (NDLR : expression gaga pour désigner un éboueur), on veut vraiment aider tous ceux qui sont mobilisés en ce moment, car on a besoin d’eux.
Comment vous organisez-vous pour mettre en œuvre ces actions, avec toutes les mesures qui sont à respecter en ce moment ?
C’est super compliqué ! On fait beaucoup de choses à distance, on tient un planning, on est régulièrement obligé de faire des réunions en visio pour s’organiser correctement et pour que l’on se voit le moins possible. On ne se voit que les jours de livraison. Il y a vraiment une grosse organisation derrière ça, puisque des gars vont faire des courses, d’autres désinfectent tout, on suit toutes les obligations sanitaires. En ce qui concerne les livraisons, on utilise des gants et des masques, mais encore faut-il avoir contacté au préalable les établissements de santé, auxquels on n’a pas accès comme ça, il faut passer par des services, par des connaissances donc c’est compliqué.
Tu nous parlais d’éventuelles actions en soutien des éboueurs par exemple, cela signifie que d’autres actions sont prévues dans les jours et les semaines à venir ?
Oui bien-sûr. J’ai le planning sous les yeux, on a encore plein d’hôpitaux et d’EHPAD à livrer. Au départ, on ne voulait faire que les hôpitaux, mais on s’est vite rendu compte que d’autres établissements étaient bien en galère comme les EHPAD par exemple, qui cherchent beaucoup de blouses, de masques, de gants, de charlottes. C’est d’ailleurs un peu compliqué pour nous, car c’est difficile à trouver en ce moment, et ce n’est pas vraiment notre rôle. On n’est pas l’État et ce n’est pas à nous de fournir tout ce matériel-là. On en a un peu en stock donc on essaye de les repartir sur les établissements qui en ont besoin. On est également plusieurs à aller donner un coup de main à la Croix-Rouge quand on peut.
À la base, notre mouvement avait pour but d’apporter un soutien vraiment direct aux soignants, en leur apportant du café, des gourmandises, etc., mais on s’est rendu compte que la demande se situait beaucoup plus niveau matériel. Notamment en ce qui concerne les produits d’hygiène pour les patients qui ne peuvent plus recevoir de visite de leurs familles, et qui ont donc besoin de toutes sortes de produits (gel douche, dentifrice, crème hydratante…).
On a même dû fournir des tablettes tactiles pour que les patients communiquent avec leur famille, des babys phones pour permettre au personnel soignant de parler aux patients qui sont en réanimation sans rentrer dans les chambres.
En définitive, notre action s’en trouve beaucoup plus élargie qu’elle ne le voulait au départ et on va essayer d’aider tous ceux qui sont mobilisés avec nos moyens, pour être solidaires.
Ces actions ne sont pas les premières menées par les groupes de supporters en France, même si ce n’est pas toujours correctement relayé. Quelles ont été les autres actions solidaires menées de votre côté dans le passé ?
Il y en a eu pas mal. Je me souviens notamment qu’en 2004 lors du Tsunami dans l’Océan Indien, des stickers avaient été réalisés en partenariat avec la Croix-Rouge.
Tout l’argent que nous avons récupéré des Championnats des Tribunes (NDLR : remportés trois fois consécutivement entre 2006 et 2009) a toujours été reversé en totalité. Une partie l’avait été en faveur du Sidaction, l’autre en faveur de plusieurs associations : Actis, Association Camille, Soleil Solidaire et un Ballon pour la vie.
On a apporté notre soutien au Sidaction plusieurs années d’affilée avec des banderoles, des collectes en ville et devant le stade.
Plus récemment, on a mis en place des collectes de vêtements pour le Secours Populaire, que ce soit au local ou devant la tribune. On essaye de le faire chaque année désormais.
On évoquait le fait que certaines de ces actions ne sont pas toujours relayées par les médias, est-ce l’une des raisons de votre silence envers ceux-ci ?
On a toujours été silencieux dans les médias parce qu’ils se servent toujours de nous afin de parler en mal du mouvement. Quand on fait des bonnes actions, on n’entend plus personne. Du coup c’est à ce moment-là qu’on communique, et c’est d’ailleurs comme ça qu’on nous a contacté. Si on ne fait pas ça, je pense qu’il n’y a personne qui nous contacte. On ne le fait pas pour se mettre en avant, c’est surtout pour montrer qui on est vraiment. Toute l’année, la plupart des personnes n’ont pas une belle image de nous à travers ce qu’ils entendent dans les médias, c’est donc une façon de montrer à tout le monde qu’être Ultra, c’est aussi ça. On n’est pas des écervelés qui vont juste gueuler au stade comme certains pourraient le croire.
Vos actions récentes ont eu écho à travers toute la France, comment expliquez-vous cette force solidaire émanant du mouvement ?
La solidarité, c’est la base du mouvement Ultra. On est déjà solidaires entre nous, dans les moments difficiles, ou à travers les galères qu’on connait au quotidien. On voulait exprimer ailleurs cette forte solidarité.
L’année dernière nous avons eu la chance de nous entretenir avec Josepha Guidicelli, présidente du Collectif des victimes de la Catastrophe de Furiani 5 Mai 1992. On sait que c’est un combat qui vous tient également à cœur, comment avez-vous accueilli le vote de l’Assemblée Nationale du 13/02/2020, pour qu’il n’y ait plus aucun match de football professionnel qui se tienne un 5 Mai ?
Pour nous, justice a été rendu. C’est une première victoire on va dire, puisqu’on va attendre que ce soit définitif (NDLR : la proposition de loi doit maintenant être examinée par le Sénat).
C’est effectivement un combat qui nous tenait à cœur. À chaque fois que nous nous rendions à Bastia, nous nous recueillions sur la stèle de Furiani, pour montrer que nous étions solidaires des victimes et de leurs familles. Pour nous, c’est une aberration de jouer le 5 Mai. Il faut respecter les familles des victimes qui demandent cela depuis des années.
Ultras solidaires, mais aussi en lutte pour un football populaire. Justement, pensez-vous que le contexte actuel est propice pour que l’on reparte, une fois que tout sera fini, sur des bases plus saines et raisonnables pour notre football ?
Ça ce n’est pas gagné ! Je pense que le football est comme ça et qu’il n’est pas près de changer, même s’ils veulent nous faire croire que ça va changer, à mon avis il n’y aura pas grand-chose qui bougera. Il y a tellement d’argent en jeu… Je pense surtout que ce sont les petits clubs qui vont avoir du mal à s’en sortir. Mis à part les droits télés qui risquent de ne pas être versés si la saison ne se finit pas, je pense que le foot est solide et que cela ne le rendra pas plus « populaire ».
Justement, qu’est ce qui pourrait le rendre plus « populaire » ?
Il faudrait qu’il y ait beaucoup moins d’argent dans le football, c’est devenu affolant. Il n’y a qu’à regarder les salaires, le marchandising de tous les produits… c’est devenu un truc de fou !
Un football populaire, c’est aussi un football bien moins rongé par la corruption, un football plus égalitaire. Maintenant il y a les gros clubs et les autres qui se partagent les miettes. Même quand on regarde à Sainté, les salaires des joueurs sont hallucinants, il y a un gros écart entre le monde du football et la réalité. Pour moi c’est tout le système du football qui est à revoir.
À notre petite échelle, cela se traduit par l’organisation d’évènements « Lutte pour un football populaire » où il y avait des animations graffitis, des concerts avec des artistes locaux… L’argent nous avait notamment servi à payer des amendes, reçues pour des actions qui symbolisent pour nous ce qu’est le football populaire : des tribunes colorées, des tribunes animées et enfumées.
Le mot de la fin : comment est-ce que l’on vit une période comme celle-ci quand on est Ultra et habitué à être sur les routes, dans les stades ou au local ?
C’est compliqué. On adapte son rythme de vie, on discute à distance, on prend son mal en patience et surtout on mène des actions solidaires pour aider ceux qui sont mobilisés pour nous, dans le but d’apporter notre pierre à l’édifice.
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