Petite contextualisation
En 1415, la Guerre de Cent Ans dure depuis déjà presque un siècle, la date de 1337 marquant le début du conflit entre Plantagenêt et Valois, respectivement sur le trône d’Angleterre et de France.
Les deux rois d’alors, Henry V et Charles VI, sont à la tête de royaumes en difficulté et régulièrement affaiblis par des conflits civils. Henry V fait d’ailleurs de la restauration de la paix intérieure une priorité de son règne, avant même sa revendication du trône de France.
Parce que oui, les rois anglais revendiquent le trône de France. Pourquoi, me direz-vous ? En 1328, le dernier des trois fils du roi Philippe IV le Bel meurt sans héritier. Isabelle de France, la fille de ce dernier, ne peut régner (c’est une femme). C’est alors naturel que se propose son fils : Edouard III… qui n’est autre que le Roi d’Angleterre. Les nobles du royaume de France lui préfèrent cependant le neveu de Philippe le Bel, qui devient ainsi Philippe VI. Edouard III n’accepte cette décision qu’à contre-cœur. Ce fut toutefois de courte durée puisqu’il revendiquera le trône lorsque la France apportera son soutien au Roi d’Écosse contre l’Angleterre. Ceci en fait l’une des raisons du déclenchement de la Guerre de Cent Ans. Si comme moi au début, vous êtes perdus, reportez-vous à la généalogie ci-dessous.
Près de 80 ans plus tard, à l’image de son arrière-grand-père, le Roi Henry V revendique le trône de France ainsi que la reconnaissance par la France de la souveraineté des terres conquises par les Anglais suite à leurs précédentes victoires. Cela concerne la Guyenne (la grande région Aquitaine), la Normandie, la Touraine, l’Anjou, la Bretagne et la Flandre. Après échec des négociations, le Roi Henry V débarque en Normandie en août 1415…
La Bataille d’Azincourt
C’est donc après ce débarquement que le « raid d’Henry V » et ses 1600 navires débutent réellement. Durant la Guerre de Cent Ans, les longues chevauchées anglaises avaient pour but de piller les richesses du territoire français qu’ils affaiblissaient du même coup.
Il débarque à Chef-de-Caux (village aujourd’hui rebaptisé Sainte-Adresse) puis remporte son siège sur la ville d’Harfleur, qui devint ainsi une garnison ou vinrent s’installer de nombreux colons anglais.
Cependant, l’automne approchant et son armée fragilisée par la dysenterie, Henry V décide de ne pas fondre sur Paris. Il cherche ainsi à rejoindre Calais (ville déjà anglaise) pour retourner plus facilement vers l’Angleterre. C’est sur la route de Calais que l’ost (l’armée féodale) du Roi de France Charles VI, forte de 10 000 hommes, les rattrapa dans une clairière proche du bois d’Azincourt…
La bataille qui découle de cette rencontre aboutit à une victoire incontestable des troupes anglaises contre la chevalerie française, toujours héritière du système féodal. Des arcs plus grands et de plus longue portée ont notamment permis aux anglais de prendre l’ascendant (ce qui devait d’ailleurs marquer le commencement du développement des armes à distance sur les champs de bataille).
Les chiffres de la victoire britannique sont édifiants : une poignée de chevaliers et quelques centaines d’hommes pour les anglais contre 6 000 morts pour la France (!).
Conséquences
Cette bataille marque le début de la domination anglaise durant la Guerre de Cent Ans, qui sera entérinée par la signature du Traité de Troyes quelques années plus tard (1420). Ce traité est désastreux pour la France puisqu’une large partie du territoire passe désormais sous domination anglaise (cf. carte précédente). De plus, l’union des deux royaumes au profit du Roi anglais est assurée par le mariage d’Henry V avec la fille du Roi de France, leurs descendants seront donc rois de France. Le traité nie ainsi à Charles VII les droits à la couronne et ce dernier se réfugie à Bourges.
Cependant, appuyé par l’épopée de Jeanne d’Arc, il lancera de nouvelles campagnes contre la présence des anglais, ce qui lui permit de récupérer les nombreux territoires perdus. De plus, c’est à ce moment-là que le sentiment national français commence à se développer, se matérialisant par une aversion pour l’anglais. J’ai déjà évoqué ce phénomène et la période de Jeanne d’Arc dans un précédent article. Pour ceux qui l’ont loupé, c’est par ici.
« The King »
Un peu de pop culture, ça ne fait jamais de mal. En revanche, celui qui a fait du mal au récit de cette bataille, c’est un certain William Shakespeare dans sa pièce « Henry V ». Déformation historique, glorification anglaise et ajout de personnages étaient au programme de cette pièce, qui inspira plusieurs œuvres cinématographiques, la dernière en date étant… The King, sortie en 2019 sur Netflix.
Je ne pouvais pas faire un article sur la bataille d’Azincourt sans parler de ce film. Soyons clairs, le film n’est pas mauvais. Il n’est pas raté et le jeu des acteurs, notamment de Timothée Chalamet, est très bon. Même Robert Pattinson tire son épingle du jeu, malgré le caractère insupportable de son personnage.
Frenchbashing ? Difficile de cerner la volonté du réalisateur. Si comme tout film historique il prend de grandes libertés, il semble effectivement porter un message étrange. Henry V y est présenté comme un beau jeune homme à femme qui n’est pas spécialement attiré par le pouvoir (Hum…) et qui répète à plusieurs reprises qu’il ne souhaite pas faire la guerre aux français (Hum…) mais les évènements du film semblent amener à contre-cœur notre bon Roi vers la France. Vous l’aurez compris, tout ceci n’est pas exact : il n’était pas réputé pour sa beauté (il portait une blessure de guerre au visage), il maniait le pouvoir avec facilité et ne manquait pas de projeter ses ambitions sur la France.
Jusque-là, me direz-vous, le film présente un point de vue anglais, donc nous pourrions comprendre la glorification de ce personnage. Là où tout ceci va très loin, c’est en France. Tout d’abord c’est un pays qui semble déserté : aucun paysan, aucune population : du brouillard et des plaines. Et quand par miracle une armée française arrive, elle est dirigée par Louis de Guyenne, personnalité n’ayant jamais pris part à cette bataille, qui se dénote par son arrogance et sa lâcheté (ne serait-ce pas là de bons vieux clichés ?). Autre chose sur ce point : le personnage n’a même pas eu le droit d’être incarné par un acteur français : y’a-t-il plus britannique que Robert Pattinson, même quand ce dernier s’efforce de parler avec un accent français ? Et dans ce cas, pourquoi prendre un acteur franco-américain pour jouer le Roi anglais ? Que de questions auxquelles je ne peux vous donner de réponses, hélas.
Si le twist final tente de nuancer les propos du film, ce dernier reste à mon sens beaucoup trop maladroit. Il pourrait être bon si des facilités de scénarios n’avaient pas enlevé tout son panache à cette formidable période qu’est la bataille d’Azincourt. À trop vouloir faire du Shakespeare, parfois….
Pour les intéressés, en suivant ce lien, vous trouverez l’intervention de l’excellente chaîne Youtube « Nota Bene » concernant ce film : une analyse que je partage grandement.
Merci d’avoir lu ce focus azincourtois et à très bientôt dans les Flâneries de l’Histoire !