Il y a des jours où me prend, comme une bourrasque, un vieux spleen amer. Une mélancolie bleue. Bleue sombre. Mais douce. Et si on allait voir la mer ?

            Mais il n’y a pas la mer ici. J’ai beau chercher, entre les rues, l’air salé, sur mes lèvres, le goût de l’iode. Le vent puissant qui traverse la peau. Celui qui rend plus léger. Non. Rien.

            Il y a des jours où tout semble pesant. Les pierres s’enfoncent entre le bitume. Les troncs faiblissent sous le poids des dernières feuilles détrempées. Mes pas, même, peinent à me suivre. Les rues les engouffrent. La ville est carnivore. Fuyons. Courons. Jusqu’à bout de souffle. A en perdre haleine.

            Bon, asseyons-nous un instant. Je m’essouffle. Vous voyez la mer vous ? Non ? Pas encore ? Bon. Repartons alors. Mais marchons. Ce n’est pas parce qu’on s’enfuie qu’on est pressé. Et puis je fatigue moi. Discutons, tiens.

            L’autre jour on m’a dit que le spleen c’était démodé. C’est peut-être vrai. Je ne suis pas très sûr de ce que ça veut dire. C’est pas très clair. Allez dire à Baudelaire qu’il est démodé. Ça risque de bien le faire marrer.

            Et puis merde, si je veux promener mon vague à l’âme entre midi et deux pendant que tout le monde se goinfre pour vite retourner trottiner jusqu’au bureau c’est mon droit non ? Non mais qu’est-ce qui vous prend ? Enfin. La probabilité que le monde sombre dans l’apocalypse à l’heure du café et vous empêche de boucler ce fameux dossier Bouchard qu’il faut impérativement rendre avant ce soir, bien que non nulle, on ne sait jamais, reste faible.

            Alors Bouchard attendra. Ce midi, on va voir la mer. Et le premier qui dit « la mère de qui ? », je le noie dès qu’on arrive. Personne ? Bien. Et on y va à pieds. Non, parce que j’en voyais un qui sortait ses clés de bagnole. Je ne vois pas l’intérêt s’enfuir si c’est pour autant s’empresser. Il y a tout le temps qu’il faut. Pour tout ce qu’on veut. Juste là. Il n’y a qu’à se baisser.

            Marchons, enfin. Qui sait, peut-être qu’on raccrochera d’autres wagons de pèlerins. T’as mal aux pieds ? C’est bien. Tu verras. La mer, ça soigne le mal de pieds. Ça soigne un peu tout. Même les gens en pleine santé, c’est pour dire.

            Cette échoppe au bord du chemin m’attire étrangement. Il y fait une lumière jaune très chaude. Et les voix rieuses forment aux fenêtres un peu de cette condensation des belles soirées heureuses quand il fait froid au dehors.

            Allez, on s’arrêtera boire un verre au retour. Allons voir la mer. Marchons. Et s’il n’y a rien à dire. Marchons en silence.

Les grandes herbes bruissent au bord du chemin.

Deux lièvres détalent à notre passage.

Les grandes roches au loin, rougissent avec le soir.

Des nuages vagabonds font dans le ciel de grandes ombres roses.

Le vent souffle à peine.

Et la mer. La voilà. C’est bien.

Rentrons.