Steve est mort. Après plus d’un mois de recherche dans les eaux de la Loire, le corps du jeune animateur périscolaire nantais de 24 ans a été retrouvé en amont du quai Wilson, lieu de sa dernière soirée.

Les faits remontent au soir de la fête de la musique. Aux alentours de 4h du matin, la musique électro bat son plein, rassemblant autour d’elle plusieurs milliers de Nantais. Mais à 4h30, la fête est finie. Les forces de l’ordre sont mobilisées afin de disperser la foule, qui n’était pas censée rester aussi tard sur le quai. Il fait nuit, et très vite, le chaos prend place au milieu des gaz lacrymogènes, des lanceurs de balle de défense, et des coups de matraque. Dans un climat de désordre total, 14 jeunes se retrouvent dans la Loire, le quai en question ne disposant d’aucune infrastructure de sécurité adéquate. Parmi ces 14 personnes, une ne sais pas nager, il s’agit de Steve Maia Caniço.

Cachez ces violences policières que l’on ne saurait voir

Ce funeste évènement vient ajouter une ligne à la triste liste de blessés, mutilés, et morts dus aux violences policières depuis le début du quinquennat. Mais ne tirons pas de conclusions hâtives, après tout, « les violences policières n’existent pas ». Du moins, c’est la ligne de défense adoptée par le gouvernement, le président de la République, mais aussi par la cheffe de l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale), Brigitte Jullien, qui, dans un entretien avec Le Parisien, daté du 13 juin 2019, s’exprime en ces termes : « Je réfute totalement le terme de violence policière ».

Difficile cependant de faire avaler cela à l’ensemble de la population au vu de l’ampleur inédite des violences policières d’Etat, du jamais vu depuis mai 68. David Dufresne, journaliste indépendant, spécialisé dans les questions de maintien de l’ordre, a suivi de près les manifestations des « gilets jaunes », samedi après samedi. Sur six mois de contestation, il recense 315 blessures à la tête, 24 personnes éborgnées et 5 mains arrachées, parmi les manifestants. Il dénonce particulièrement l’usage disproportionné et parfois injustifié d’armes dites « non létales », à savoir, le LBD, les grenades de désencerclement, et les grenades assourdissantes (GLI-F4), qui certes, ne tuent pas, mais entrainent des dégâts irréversibles. En cause également le manque de formation au maintien de l’ordre de nombreux policiers mobilisés, notamment ceux de la BAC (Brigade Anti-Criminalité).

Des violences déjà ancrées dans les banlieues

Rappelons néanmoins que les violences policières ne sont pas apparues avec le mouvement des « gilets jaunes », elles ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. De nombreux collectifs comme le Comité Adama, Urgence notre police assassine, ou encore ACLEFEU, alertent depuis plusieurs années déjà sur la gravité des violences policières en banlieue. Urgence notre police assassine a notamment recensé au moins 97 décès liés à une intervention policière entre 2005 et 2014. L’indignation contre les violences policières constitue également un point de convergence entre banlieues et manifestants, premières victimes de ces agissements.  

Quatre ans après la mort d’Adama Traoré lors d’une interpellation policière à Beaumont-sur-Oise (Val d’Oise), les proches du défunt ont été rejoints le 20 juillet 2019 par une centaine de « gilets jaunes » lors de la marche de commémoration, mais aussi de protestation contre les violences policières d’Etat. A l’occasion de cette marche, un gilet jaune originaire de Saône-et-Loire s’exprime pour France 3 : « Pour moi, les policiers ont commencé à s’entraîner sur les banlieues en 2005 quand Zyeb Benna et Bouna Traoré ont été électrocutés. Puis, ils se sont entraînés sur les ZAD. Et maintenant, ce sont les Gilets jaunes. Et c’est une répression d’Etat qui augmente. ». En bref, le mot d’ordre de cette marche revient à dire : ces violences ne sont plus acceptables, et leur impunité l’est encore moins. Une position réaffirmée par Assa Traoré, la sœur d’Adama : « On ne veut pas qu’en 2020, il y ait encore une marche pour Adama mais qu’il y ait un procès ».

Rupture avec le modèle traditionnel de maintien de l’ordre

Si les scandales de violence policière ont concerné tous les mandats ou presque de la Vème République, (Mai 68 sous Charles de Gaulle, Vital Machelon en 1977 sous Valéry Giscard d’Estaing, Malik Oussekine en 1986 sous François Mitterand, Zyeb Benna et Bouna Traoré sous Jacques Chirac en 2005, Ali Ziri en 2009 sous Nicolas Sarkozy, Rémi Fraisse en 2014 sous François Hollande), ils semblent avoir pris une nouvelle dimension depuis le début du quinquennat Macron.

Dans un premier temps, donner une réponse purement policière et répressive à des problèmes d’ordre social et économique ne peut avoir comme conséquence qu’une escalade de la violence. Quand en Allemagne, on fait le choix de la désescalade face à des manifestations de grande ampleur, en France, aujourd’hui, on rentre dans le tas. Ainsi, on assiste à une radicalisation et à un durcissement du conflit social, qui ne reçoit encore une fois comme réponse, rien d’autre que la répression à coup de matraque, lacrymo, et LBD. C’est un cercle sans fin. Mais cela va au-delà. Car si on n’hésite pas à condamner le plus vite possible les violences des « casseurs », voire même à proférer des mensonges pour discréditer les manifestants (voir fake news de la Pitié-Salpêtrière : https://www.marianne.net/politique/fake-news-de-la-pitie-salpetriere-castaner-aggrave-son-cas), la réaction se fait un peu plus attendre quand il s’agit de violence policière.

Impunité systémique

Une double question se pose alors : comment une telle violence de la part des forces de l’ordre est-elle possible ? Et comment se fait-il qu’elle ne soit pas endiguée par une réaction judiciaire et politique adéquate ? En réalité, ces deux questions sont intrinsèquement liées,  indissociables même, si l’on veut saisir la spécificité du gouvernement actuel en termes de violence policière, voire, de violence d’Etat.

L’absence de sanction à l’égard des dérives policières est sans précédent, et de fait, a nourri un sentiment d’impunité. Le Ministère de l’Intérieur est même allé jusqu’à décoré plusieurs policiers impliqués dans des affaires de violences, selon une enquête de Mediapart. Le ton est donné. La police est l’unique détentrice de la violence légitime, et le gouvernement mettra tous les moyens à sa disposition pour faire cesser la contestation, jusqu’à taire voire encourager les pires exactions s’il le faut. Nous ne sommes donc plus dans une approche rationnelle du maintien de l’ordre, mais plutôt dans une réponse politique dure qui consiste à dire : vous voulez manifestez ? Allez-y, mais à vos risques et périls. Dans ce cas, quid de la liberté de manifester ? Mais là n’est pas le sujet.

Faire face aux conséquences

Le piétinement de Geneviève Legay, militante d’Attac de 73 ans, la mort de Zineb Redouane, octogénaire marseillaise, ainsi que le décès de Steve, ne sont que les funestes conséquences de cette politique de répression tous azimuts couplée à une impunité devenue systémique, largement assumée par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. De plus, l’unique contre-pouvoir censé réguler ces violences, l’IGPN, tend de plus en plus à se discréditer par son inaction. Le point d’orgue de ce discrédit est atteint avec la publication du rapport sur la mort de Steve Maia Caniço, qui conclut : « Aucun élément ne permet d’établir un lien direct entre l’intervention des forces de l’ordre et la disparition de M. Steve Maia Caniço vers 4 heures le même jour dans le même secteur ». Pourtant, un témoin a déclaré avoir été écarté de l’enquête. De toute évidence, toute la lumière n’a pas encore été faite sur cette affaire.

Face à ce drame, l’exécutif assume, comme à son habitude, une position en demi-teinte et publie un arrêté préfectoral à Nantes qui interdit toute manifestation de soutien à Steve dans le centre-ville, certaines rues adjacentes restant accessibles pour les manifestants. Pas de changement de « cap » donc.

Finalement, l’approche sécuritaire et répressive du maintien de l’ordre, baignant dans un jus d’impunité, se révèle être à l’image de la politique menée depuis le début du quinquennat, c’est-à-dire, court-termiste et irresponsable. Un constat qui en dit long sur la conception macronienne de la démocratie.