Muriel Pénicaud l’avait annoncé : « C’est une réforme résolument tournée vers le travail, vers l’emploi, contre le chômage, et pour la précarité ». Elle l’a fait. Ce lapsus, daté d’une conférence de presse tenue le 18 juin 2019, à l’occasion de la présentation du projet de réforme de l’assurance chômage par le gouvernement, n’a pas manqué de faire réagir internautes, médias, et personnalités politiques. A ce moment, certains y voient une bonne occasion de se fendre la poire sur cette maladresse regrettable, quand d’autres, décèlent déjà un message avant-coureur d’une réforme résolument destructrice pour les droits sociaux.
Les nouvelles mesures applicables à l’assurance chômage ont été publiées au Journal officiel du 28 juillet via deux décrets : le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage et le décret n° 2019-796 du 26 juillet 2019 relatif aux nouveaux droits à indemnisation, à diverses mesures relatives aux travailleurs privés d’emploi et à l’expérimentation d’un journal de la recherche d’emploi. Le 1er novembre, soit quelques mois plus tard, la première série de mesures a été mise en vigueur. Elle précède deux autres séries de mesures qui seront, elles, effectives à partir du 1er janvier 2020 et du 1er avril 2020.
Une ministre du Travail à côté de la plaque
Au micro de France Inter le 22 octobre 2019, la ministre du Travail a défendu bec et ongles sa réforme, qui selon elle s’inscrit dans les dynamiques du moment en termes d’emploi : « Oui, c’est un peu plus dur [qu’avant la réforme], mais je trouve aussi logique que quand il y a de l’emploi, il soit pris, et que l’assurance-chômage serve de filet de sécurité entre deux emplois. […] Quand le marché est dynamique, eh bien, il faut aussi retourner à l’emploi » a-t-elle déclaré. Elle plante directement le décor avec la vieille rengaine sur la responsabilisation des demandeurs d’emploi. Dans sa lancée, elle abat sa carte maîtresse en évoquant le chiffre impressionnant de « 700 000 offres d’emploi » disponibles sur le site de Pôle Emploi. Le taux de chômage est en effet passé de 10% en 2016 à 8,5% aujourd’hui. Mais Mme. Pénicaud semble légèrement s’arranger avec la réalité.
Le sociologue Hadrien Clouet, démontre en effet que la grande majorité de ces emplois ne sont pas des temps plein (16% seulement), et que nombre de ces offres proposent des emplois à durée limitée, voire très limitée (une journée : CDDU), avec des horaires dits « atypiques » (horaires hachés, de nuit etc…). Par ailleurs, sur la question du dynamisme de l’emploi, le sociologue spécialiste du chômage et directeur de recherche au CNRS, Didier Demazière, dans un entretien donné à Mediapart, souligne que cette reprise de l’emploi a un effet quasi nul sur une fraction importante des demandeurs d’emploi, à savoir, les personnes les moins diplômées, les moins qualifiées, et disposant du moins d’expérience. Ces individus doivent dans le même temps faire face à une surreprésentation des emplois précaires. De fait, le déficit de stabilité que leur impose le marché de l’emploi, les poussent à accepter des offres à n’importe quel prix. Un cercle vicieux, où précarité entraîne plus de précarité encore. Si les chiffres de la ministre ne sont donc pas faux dans l’absolu, il semble essentiel de les remettre dans le contexte plus global du marché du travail actuel, afin de comprendre en quoi la réforme de l’assurance chômage peut avoir des conséquences alarmantes sur l’accroissement de la pauvreté et des inégalités en France.
Faire des économies à tout prix
Essayons désormais d’y voir un peu plus clair sur cette réforme. L’un des enjeux majeurs de cette réforme pour le gouvernement est de faire des économies (entre trois et quatre milliards et demi d’euros). Pour ce faire, deux solutions s’opposent. L’une consiste à augmenter les recettes, c’est à dire, augmenter les cotisations à l’assurance chômage, entre autres moyens. Un système de bonus-malus, qui sera mis en place à partir du 1er janvier 2019, pour lutter contre les contrats courts (CDDU, intérim) dans les entreprises de plus de onze employés va ainsi dans ce sens. Néanmoins, les économies réalisées grâce à ce système restent très marginales. De plus, seulement sept secteurs sur trente-huit seraient finalement concernés. Parmi ceux qui passent à la trappe, deux mastodontes du recours à ce types de contrats : le bâtiment et le médico-social.
L’autre solution, la grande favorite du gouvernement, revient à baisser les coûts, en taillant dans les allocations chômage. La réforme prévoit dans un premier temps de modifier le temps de travail nécessaire pour toucher le chômage. Ce premier changement concerne les personnes dont le contrat de travail a pris fin après le 1er novembre. Avant, un demandeur d’emploi devait travailler au minimum quatre mois sur une durée de vingt-huit mois pour avoir accès à ses droits. Désormais, il doit s’acquitter d’un total de six mois travaillés sur deux ans. Les demandeurs d’emploi de plus de 53 ans disposent de trois ans pour remplir ce quota. Selon l’Unédic, (organisme chargé de la gestion de l’assurance chômage en France), cette mesure impactera négativement 710 000 personnes dès les douze premiers mois, et devrait permettre d’économiser un milliard d’euros par an en 2021 et 2022. Muriel Pénicaud explique qu’il s’agit uniquement de retourner au système qui précédait la crise de 2008. En effet, le quota de quatre mois travaillés sur une durée de vingt-huit mois a été mis en place en 2008. Or, cette réforme n’était en aucun cas liée à la crise, mais ciblait en fait « les jeunes de moins de 25 ans involontairement privés d’emploi », qui réussissaient difficilement à cumuler six mois de travail.
Un tournant radical en matière de calcul des indemnités
Le second changement majeur qui interviendra cette fois au 1er avril 2020, concerne le mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR). Le système précédent, prévoyait une allocation allant des deux tiers à 80% de la moyenne des anciens salaires du demandeur d’emploi. Dès le 1er avril, les allocations seront calculées sur la période qui s’étale du premier jour du premier contrat au dernier jour du dernier contrat sur une période de deux dans maximum, pour les moins de cinquante-trois ans. Or, le calcul prend en compte les jours travaillés, mais également les jours non-travaillés. Ainsi, les montants des allocations baissent fortement. En revanche, le demandeur d’emploi peut y avoir accès plus longtemps. Le journaliste à Mediapart Dan Israel, afin d’illustrer ces bouleversements, a simulé des situations. Daniel, travaille deux mois. S’ensuit dix-huit mois de chômage. Enfin il retrouve du travail sur les quatre derniers mois de sa période de deux ans. Avant la réforme, Daniel touchait 936 euros par mois pendant six mois. Avec la réforme, il ne touche plus que 282 euros par mois, mais pendant vingt-quatre mois.
Ce cas, poussé volontairement à l’extrême, illustre toute l’absurdité de cette réforme. D’une part, il est objectivement impossible de vivre avec 282 euros par mois de nos jours. D’autre part, ce mode de calcul prévoit implicitement que tous les demandeurs d’emplois seraient des agents rationnels qui iraient au maximum des allocations auxquelles ils sont éligibles. En ce sens, il est vrai que que Daniel touche dans l’absolu plus après la réforme qu’avant. Or l’Unédic indique que seuls 44% des demandeurs d’emplois épuisent totalement leurs droits. En moyenne, ces derniers consomment 68% avant de retrouver du travail. « Les salariés dont l’activité est discontinue et dont une part de l’activité se situe au début de la période de référence seront très désavantagés par rapport à ceux dont l’activité est concentrée sur les derniers mois de la période », analyse l’ancien responsable de l’Unédic Jean-Paul Domergue. « Une réforme résolument […] pour la précarité », elle avait dit. Et que serait un gouvernement qui ne tient pas ses promesses ?
Fin du principe de rechargement des droits
Toujours dans le but de faire des économies (un milliard prévu entre 2021 et 2022), le principe de rechargement des droits va être supprimé. Cette mesure entrera en vigueur à partir du 1er avril. Le système actuel permettait à un demandeur d’emploi, de toucher des allocations revues à la baisse, si il trouvait un travail moins bien payé que celui d’avant. Dans la majorité des cas, cela ne sera plus possible après le 1er avril 2020. Le directeur général de l’Unédic a ainsi donné l’exemple d’un salarié touchant une indemnité de 500 euros, qui retrouve un boulot payé 400 euros par mois. Là où il toucherait aujourd’hui 220 euros d’allocation chômage en plus de son petit salaire, cela ne serait plus possible après la réforme. Encore une fois, les premiers touchés seront les plus vulnérables. D’après l’Unédic toujours, neuf allocataires qui travaillent sur dix vivent dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au niveau de vie médian. Plus grave encore, 40% de ces ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Des hauts salaires largement affectés
Si les plus pauvres et les précaires risquent d’être les premières victimes de cette réforme brutale, les personnes plus aisées ne seront pas en reste non plus. Les salaires supérieurs à 4500 euros brut par mois verront leurs allocations baissées de 30% après le septième mois sans emploi. Cette mesure entre en vigueur le 1er novembre. Prenons l’exemple de François. François touchait 4500 euros brut dans son ancien travail. Il se retrouve au chômage. Avec l’ancien système, Pôle emploi lui aurait versé 3056 euros par mois pendants deux ans. Désormais, il touchera 3056 euros par mois pendant six mois, puis 2085 euros par mois pendant dix-huit mois, si il consomme la totalité de ses allocations.
Mesure innovante mais déconnectée ?
Enfin, le gouvernement a beaucoup communiqué sur l’une des mesures phares de cette réforme : la possibilité d’avoir accès aux allocations chômages lorsqu’on démissionne ou que l’on est travailleur indépendant. Ces derniers auront le droit à 800 euros par mois pendants 6 mois si leur activité professionnelle a généré au moins 10 000 euros de revenu par an sur les deux dernières années, si leurs ressources ne dépassent pas le montant du RSA, et si leur entreprise est en liquidation judiciaire. Concernant les démissionnaires, ils pourront toucher des allocations chômages dans le cas d’un projet de reconversion. Ils doivent également avoir travaillé pendant cinq ans continus dans une période de soixante mois. La personne en reconversion pourra bénéficier d’aides et d’accompagnements proposés par Pôle emploi afin de monter un projet sérieux. Ce projet semble en effet ambitieux et novateur. Cependant, une auditrice de France Inter, psychiatre en souffrance au travail, interpelle Muriel Pénicaud sur ce qui lui semble être un discours complètement déconnecté. Elle rappelle ainsi que de nombreux employés sont poussés à démissionner en raison de la pression, et des techniques de management présentes dans le monde du travail causant une véritable souffrance et un mal-être.
Un tour de passe-passe qui passe mal
Après avoir tenté d’analyser les points essentiels de cette réforme, faisons le point. De toute évidence, le gouvernement semble « garder le cap », comme Macron aime à le dire. Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger, pourtant connu pour ses positions en faveur des compromis et du dialogue, n’a pas eu de mot assez dur pour qualifier cette réforme. Le vocabulaire est sans équivoque : « tuerie », « punition », « trappes à pauvreté », « drames ». Ce dernier a notamment fustigé un manque de dialogue. Selon lui, les négociations, sur un tel sujet, auraient du se poursuivre jusqu’au printemps 2020 au moins. D’autant que la question du nouveau mode de calcul du SJR aurait été mis sur la table dans les dernières semaines de négociation.
Au delà de la fureur de M. Berger, on observe dans cette réforme la finalisation d’un processus mis en place depuis plusieurs années. Le néolibéralisme est souvent vu comme un effacement de l’État face à la loi du marché. En réalité, et cette réforme nous le prouve, cela va plus loin. Explications. Avant janvier 2018, les Français pouvaient voir sur leur fiche de paie une cotisation à l’assurance chômage à hauteur de 2,40%. Ainsi, chaque travailleur cotisait pour une assurance en cas de chômage. C’est le principe même de l’assurance. Or, au 1er janvier 2018, cette cotisation est passée à 0.95%, avant de totalement disparaître quelques temps plus tard. Dans le même temps, la CSG, un impôt directement payé à l’État, par les retraités, les salariés et aussi certains chômeurs, a, elle, augmentée.
Par ce tour de passe-passe, le contrôle de l’assurance chômage a été repris par l’État. Son organisation était pourtant basée sur un pilotage conjoint entre le patronat et les syndicats jusqu’à lors. Ainsi, l’assurance chômage ne répond plus au principe assurantiel, et devient une prestation sociale. L’importance et la qualité de cette prestation sont dès lors définies par l’État, car l’argent provient directement de ces caisses. Le gouvernement, renforce ainsi conjointement le principe de compétitivité sur le marché de l’emploi et la pression sur les employés et les demandeurs d’emploi, tout en œuvrant à la destruction progressive des corps intermédiaires. L’ensemble de ces facteurs posent un cadre idéal à l’émergence d’un marché qui répond aux règles les plus strictes du néolibéralisme. Cependant, attention. A vouloir traire une mamelle sèche, on ne récolte qu’un coup de sabot.