Leur origine historique
Le terme black bloc est avant tout une tactique de contestation effectuée par des militants de la gauche radicale et insurrectionnelle. Les Black Blocs sont nés en Allemagne, dans les squats de Berlin-Ouest, en 1980. Lorsque les policiers souhaitaient les déloger, les Black Blocs résistaient en creusant des tranchées, en montant des barricades et en affrontant directement les forces de l’ordre. Ces affrontements étaient pour eux nécessaires parce qu’ils avaient pour objectif de défendre les lieux de vie dits autogérés. Dès cette époque, ils se distinguent par leurs vêtements noirs, leur visage masqué et la manifestation en groupe, leur marque de fabrique. Ce sont d’ailleurs les policiers de Berlin-Ouest qui les nomment « schwarze block », qui signifie « bloc noir ». Le politologue Francis Dupuis-Déri décrit dans un article que les Black Blocs allemands s’inspirent du mouvement italien Autonomia, né dans les années 1960. La tactique a été fondée par des étudiants issus de la classe moyenne supérieure. C’est pourquoi on les présente souvent comme des « petits bourgeois venus casser du flic », expression provenant du politologue Guillaume Bigot, ce qui est loin d’être le cas en réalité.
Les Black Blocs se caractérisent aussi par leur volonté de ne pas avoir de statut légal. Ce n’est ni un parti, ni une ONG, ni un syndicat, seulement un groupe informel qui partage la même méthode d’action et qui s’attaque aux mêmes symboles. Ils n’ont pas non plus de chef, Francis Dupuis-Déri explique que « c’est au cours d’un processus délibératif que les membres discutent des risques qu’ils entendent prendre et qu’ils décident du type d’actions qu’ils désirent mener. »
Les médias parlent de cette tactique au cours de la première guerre du Golfe en 1991. Lors d’une manifestation contre cette guerre, des militants se sont attaqués à des locaux de la Banque mondiale à Washington. Mais le black bloc devient un véritable acteur politique à visée internationale au cours de la « bataille de Seattle ». En effet, en 1999, ils manifestent contre un sommet de l’OMC à Seattle. Au cours de la manifestation, ils s’attaquent à des banques, affrontent les policiers, et réussissent à perturber le sommet grâce à leurs actions directes. Un succès qui leur permet de se faire connaître dans le monde entier. La méthode se répand dans les milieux anarcho-punk, à travers la musique et les fanzines, mais aussi grâce aux médias. Francis Dupuis-Déri explique : « paradoxalement, c’est cette couverture médiatique inédite qui a participé à l’exportation du phénomène. »
L’idéologie black bloc
« La violence révolutionnaire » joue un rôle prépondérant dans l’imaginaire black bloc. Ils revendiquent la conquête du pouvoir soit par le biais d’une grève générale insurrectionnelle ou par une guerre populaire prolongée, soit en multipliant des « zones autonomes » dans lesquelles régneraient un système post-capitaliste, dénué du « règne de la marchandise ». Ce faisant, ils assument d’être en dehors de la légalité, refusant la subordination par rapport à l’Etat de droit tel qu’il est conçu. Pour autant, ils n’ont pas recours à la lutte armée pour imposer leurs vues. Au contraire des anarchistes russes de la fin du XIXe siècle par exemple qui commettaient des attentats dans le but de renverser le pouvoir en place. Ils ne cherchent pas à tuer les policiers, ils n’utilisent pas des armes à feu. Ils ont plus recours à des armes blessantes, comme des pierres, des bouteilles, des feux d’artifice…
Le recours à la casse n’est pas forcément systématique, mais représente tout de même une revendication de leur méthode d’action. C’est à ce moment-là qu’ils s’attaquent aux symboles du capitalisme : banques, assurances, multinationales, publicités… Ce sont des iconoclastes des emblèmes encensés par le capitalisme. Ils affrontent les policiers parce qu’ils considèrent qu’ils défendent l’État capitaliste et permettent donc un statu quo de la prédominance du capitalisme comme système de fonctionnement. Ils luttent contre la propriété privée, la démesure consumériste et bourgeoise, les forces de l’ordre et le « mode de production capitaliste ». La violence exprimée au cours de leurs manifestations peut s’interpréter comme un moyen pour dénoncer les violences sociales, environnementales et économiques provoquées par le système en place. Cette contre-violence défendrait les « opprimés », les « laissés-pour-compte », et aimerait renverser le modèle sociétal fondé sur la « morale de l’intérêt privé » et la « concurrence des égoïsmes », deux expressions venant du philosophe Alain Badiou.
Un groupe loin d’être homogène
D’après Sylvain Boulouque, les Black Blocs sont constitués « des anarchistes, des marxistes révolutionnaires, des écologistes radicaux ou des autonomes. » Établir un profil sociologique type est particulièrement ardu. Ce qui est sûr, c’est qu’ils subissent ou ressentent la violence étatique et capitaliste. Ce serait également trompeur de penser que ce groupe est composé uniquement d’hommes. De plus en plus de femmes rejoignent le mouvement, comme des féministes et des militants queer. Un groupe de militants Black Blocs italiens a répondu dans un communiqué à la question : qui se cache derrière les cagoules noires ? Ils affirment : « ce sont les visages qui préparent votre cappuccino, ce sont les visages de celles et ceux dont le sang est drainé par la précarité, dont la vie est de la merde, et qui n’en peuvent plus. » Bien loin du mythe de fils de bourgeois ou de profs. Pour autant, il est également vrai que l’on trouve des personnes diplômées et des intellectuels. Difficile donc de faire des généralités sur le profil type du black bloc.
Leur méthode de fonctionnement dans les manifestations
Pour se reconnaître dans les manifestations, ils se font des signes de la main. Quand ils considèrent être assez nombreux, ils se masquent le visage pour rester anonymes et forment le bloc noir. Constamment, ils cherchent à s’agréger puis se désagréger. Ils ont leurs propres outils (marteaux, pioches pour obtenir des projectiles à partir du mobilier urbain ou des pavés) ou les créent eux-mêmes. Ils communiquent via des messageries cryptées et utilisent du matériel pour se protéger des gaz lacrymogènes ou des lanceurs LBD. A chaque fois, dans leur sac, ils ont leurs vêtements noirs ainsi que des vêtements de rechange pour mieux se fondre dans la masse.
Ce sont des militants particuliers parce qu’ils sont habitués aux manifestations et à leurs codes. Ils connaissent le “Guide du manifestant”, rédigé par le Syndicat de la Magistrature, qui est un guide expliquant que faire en cas d’arrestation, que faire en cas d’accusation, de procès ou lorsque les manifestants sont fichés. Ils sont donc conscients des risques qu’ils courent en réalisant de telles actions directes et surtout, ils savent comment s’en sortir si la police ou la justice les réprimandent.
En résumé, comprendre les Black Blocs s’avère plutôt difficile du fait de leur hétérogénéité. Toutefois, on peut affirmer qu’ils s’attaquent aux mêmes cibles et qu’ils ne souhaitent « pas de guerre entre les peuples, mais, pas de paix entre les classes » non plus.