Les semaines qui précédèrent cette si particulière finale de Coupe de France furent marquées par le sceau de l’indécision. Alors que la tenue de la rencontre avait été régulièrement remise en question avant d’être définitivement confirmée fin juin, plusieurs questions restaient néanmoins en suspens. Des supporters pourront-ils accéder aux tribunes du Stade de France ? Si oui, combien ? Le PSG jouera-t-il le jeu à fond, à quelques jours d’un quart de finale de Ligue des Champions ô combien important ? Quelle équipe côté vert ?
Mais la plus grande préoccupation du peuple vert résidait dans l’avenir de son fidèle capitaine. Loïc Perrin, 469 matchs sous le maillot vert, 364 fois investi d’un brassard glané à 22 ans. Ironie du sort, c’est également le nombre d’années durant lesquelles le Stéphanois de naissance porta la mythique tunique étoilée. 22 ans de fidélité qui devaient s’achever au crépuscule de la saison 2019/2020.
Seulement voilà, le COVID et l’arrêt subite de la saison remirent en cause une décision mûrement réfléchie bien que jamais annoncée publiquement. Arrêter dans de telles conditions, sans savoir que l’on dispute son dernier match, sa dernière joute, son dernier combat, sous une armure que l’on a défendu durant les deux tiers de sa vie n’était pas une fin acceptable. Loïc ne s’en est alors pas caché : il restait quelques lignes à écrire dans le grimoire d’une carrière marquée par la fidélité.
Une fidélité qui, bien que parfois déstabilisée par les sirènes de clubs plus huppés n’a jamais flanché. Loïc est toujours resté parmi les siens malgré les tentations. De son propre aveu, sans regret. Même celui de n’avoir connu que le banc lorsqu’il fut appelé en Equipe de France, ou d’avoir échoué aux portes des 23 sélectionnés pour l’Euro 2016. Pragmatisme, presque stoïcisme. C’était son destin, avec ses aspérités, des sommets jusqu’aux abymes. Car malgré la stabilité, sa carrière ne s’est pas apparentée à un long fleuve tranquille.
Les blessures ne l’ont jamais épargné. Deux ruptures des ligaments croisés, une cuisse récalcitrante durant les premières années de sa carrière, et plus généralement une fragilité chronique. Lorsqu’elles lui laissèrent un répit, l’emblématique numéro 24 vert atteint alors un niveau qui aurait pu le conduire à Monaco en 2010, et surtout à Arsenal en 2015. L’histoire fut telle qu’elle a été, mais preuve en est, s’il le fallait, que son talent aurait pu le conduire vers de plus grands horizons.
Loïc a été l’homme d’un seul club. Et il le restera. Des menaces de relégation jusqu’à ce 20 avril 2013 et une victoire en Coupe de la Ligue, du stade Gaston Petit de Chateauroux jusqu’à Old Trafford, en passant par San Siro ou le Stadio Olimpico, il a tout connu. Jamais le plus talentueux du centre de formation, son abnégation, sa générosité et son goût de l’effort ont toujours collé avec les valeurs du maillot vert. Polyvalent et excellent dans toutes les positions dans lesquelles il a évolué, il ne lui a manqué que de chausser les gants pour faire un tour complet du terrain. Capitaine respecté et admiré, ce n’est pourtant pas sa force de caractère ni sa grande gueule qui lui ont permis d’en arriver là. Calme, presque taiseux, son inépuisable aura n’est que le fruit d’une exemplarité démontrée sur et en dehors des terrains, sans aucune fausse note toutes ces années durant.
Le flou régnant autour de sa situation n’avait été qu’à peine dissipé par sa prolongation d’un mois, qui lui permettait de jouer, à minima, la finale de Coupe de France. Avant de rempiler pour un an ? Ce n’était pas prévu ainsi. Seulement, cela n’était pas de notoriété publique. Qui le savait alors ? Dans le fond, on s’en fout. Le fait est que ce 24 juillet 2020, aux alentours de 21h, Loïc sortit du tunnel d’un Stade de France qui sonnait creux pour la deuxième fois de sa carrière, à l’occasion du 470ème match de sa carrière, le brassard de capitaine au bras pour la 365ème et dernière fois.
Une finale qu’il aurait pu, ou dû, ne pas jouer. Si le prêt de William Saliba avait été prolongé, si Gabriel Silva ne s’était pas blessé une semaine avant, poussant Claude Puel à décaler Kolo sur le flanc gauche de la défense, Loïc n’aurait sûrement pas débuté la rencontre. Mais les planètes étaient alignées. Et comme chaque jour de sa vie, il a suivi son destin. Pour le meilleur… et pour le pire.
Car la suite, on la connaît. Les Verts réalisent une bonne entame. Bouanga trouve le poteau sur la première incursion stéphanoise de la rencontre. Moulin brille devant Di Maria au moyen d’un fabuleux arrêt réflexe. Il s’interpose devant Mbappé quelques minutes plus tard, mais Neymar suit bien et ouvre la marque. Loïc est un peu court sur cette action, à l’image d’une défense stéphanoise prise de vitesse. Une vitesse qui va coûter très cher au capitaine stéphanois. Lorsque Mbappé, lancé côté droit, commence à accélérer, une seule solution s’offre alors à lui : le tacle glissé. Un geste qu’il maîtrise parfaitement, l’ayant réalisé des centaines de fois au court de sa longue carrière. Seulement voilà, une demie seconde de retard, et c’est la cheville du champion du monde français qui passe sous ses crampons. Jaune d’abord, rouge après visionnage de la vidéo. Logique, mais terriblement cruel. La comparaison est alors immédiate : Loïc finit comme Zinédine en 2006, avant la fin du temps réglementaire.
Les cœurs verts sont brisés. Valeureux, combattants et inspirés, les dix valeureux Stéphanois restants sur le pré ne reviendront pourtant jamais à la marque, malgré plusieurs belles opportunités. Mais le résultat importe peu. En ce vendredi 24 juillet 2020, le capitaine quitte un navire dont il tenait la barre depuis treize ans sans avoir pu ramener un second titre sur les bords du Furan. Une sortie officialisée six jours plus tard, et par une porte bien trop petite pour l’immensité de son œuvre et les honneurs qu’il mérite.
Raillé par une presse spécialisée peu tendre avec lui pour avoir touché au joyau de la couronne, sa majesté Kylian Mbappé, insulté par les hordes de footixs le qualifiant de boucher en ne l’ayant vu jouer qu’une fois, Loïc n’a pas été épargné ces derniers jours. La ligne de défense est pourtant sans équivoque : 17 ans de carrière, deux cartons rouges. Tout juste 5 ans pour la diva parisienne, et déjà trois expulsions. Voilà voilà.
Chacun sera libre de se faire une idée. En attendant, le peuple Vert et les personnes ayant regardé plus qu’un match de football dans leur vie ne s’y trompent pas : Loïc Perrin est le chantre de l’anti-football moderne malgré lui. Sans revendiquer quoi que ce soit, en étant juste lui-même. Sans cracher sur ceux qui ont cédé à l’appât du gain, sans faire de concessions non plus. Loïc est resté, tout simplement. Parce qu’il était heureux, parce que sa famille l’était, parce que c’était son destin.
Juste l’histoire d’un type bien, qui nous manquera, même s’il ne quitte pas la maison verte. On n’entendra plus jamais le speaker du stade Geoffroy Guichard hurler « le numéro 24, Loïïïïc… », lors de la présentation des équipes. On ne verra plus jamais sa tête grisonnant toujours plus d’année en année s’imposer au cœur des deux surfaces de réparation. On ne goûtera plus – pour l’instant – aux joies d’avoir un capitaine né à Sainté et ayant fait toute sa carrière au club. Pour l’amour des Verts. 470 matchs – dont 365 brassard autour du bras – plus tard.
Merci Loïc, et à très vite à la tête de la plus belle étoile de l’Hexagone.