Laissez-moi vous présenter Steve. Steve est sympa. Il a, comme vous le voyez, le regard particulièrement vif et affuté. Et pourtant, c’était pas gagné. Steve n’a pas échappé aux difficultés de la vie. Passer les portes et mettre un chapeau, notamment, mais c’est assez secondaire. Pour vraiment comprendre Steve, il faut remonter dans le temps, revenir en arrière, un peu.

            Au commencement, il n’y avait rien. Et puis Bidule claqua des doigts, et pouf ! Le ciel, la terre et tout le bousin.

            Alors, revenir en arrière, oui. Mais moins.

            Donc, au commencement mais pas trop non plus, il y avait la mère de Steve et le père de Steve. Et par un jour d’été assez commun (vraiment c’était naze, on s’en fout), toute la forêt fut secouée par une grande décharge de dopamine portée par un brame puissant. Et pan. Dans le ventre de la mère de Steve, il y avait maintenant deux petits tas de cellules encore insouciants et purs. Comme c’est mignon à cet âge-là. Oui. Deux.

            Quelques mois plus tard, un accouchement tout à fait ordinaire eu lieu. La mère de Steve hurla à la mort au milieu des bois pendant 12 heures. Le père de Steve s’était bien entendu barré en apprenant la grossesse. Il pleuvait. Il y avait du vent. Bref, tout allait pour le mieux.

            Adam et Steve étaient nés.

            Adam avait déjà le poil luisant, l’œil vif, curieux, la carrure solide. A peine né, il avait déjà tout d’un mâle puissant et respecté. Il était magnifique, avec son pelage clair qu’un timide rayon de soleil couchant éclaboussait d’or. Parfaitement incroyable.

            Steve était con.

            La petite famille eu tôt fait de rejoindre une horde accueillante où tous partageaient un peu de chaleur et une admiration sans borne pour le jeune Adam. Tout jeune, pourtant, il était déjà le plus rapide, le plus malin, le plus fort. Et ses prouesses ravissaient tous les yeux.

            Steve, quant à lui, c’est triste à dire, était con.

            Adam et Steve grandirent donc côte à côte. Adam devint vite une figure emblématique de la horde. Il dirigeait, ayant été élu à l’unanimité, un groupe de jeunes qui trainaient au coin de la forêt, faisaient du skate, buvaient de la bière et sortaient avec les filles. Ils étaient les gars cools, mettaient des lunettes de soleil, sortaient le soir, et se faisaient appeler les « treize des bois ».

            Steve, contre toute attente, était toujours aussi con.

            Les années passèrent. Steve grandit dans l’ombre de son frère.

            Adulte, Adam, entouré de ses conquêtes et de déjà trop de rejetons à venir, fonda sa propre horde, devint très vite un père de famille très occupé.

            Steve quitta sa mère. Laissa son frère à ses ménages et, sans trop réfléchir, rappelons qu’il était con, prit la route. Pour partout, ou nulle part, peu lui importait. Il traversa les bois. Demanda son chemin à un groupe de loups pas très sympa. Dû courir vite. Finit par les semer en pataugeant dans un peu d’eau salée. Il se baigna, parfaitement hystérique, dans cette eau bleue, si bleue qu’il crut se baigner en plein ciel. Il embarqua comme matelot sur un gros cargo qui grondait sur la mer. Il vit des villes immenses qui touchaient les nuages, d’autres enfouies sous de grosses brumes sombres. Il traversa des forêts rougies par l’automne, des déserts gigantesques de sable soufflé en bourrasques  qui l’enivraient drôlement. Il a gouté aux brises glacées qui caressent les immensités nues des steppes du nord, et à la clarté irisée des nuits polaires que traversent, fulgurantes, les aurores boréales.

            Puis, las de ses voyages, nostalgique des plaines enneigées de son enfance, rassasié de couleurs et de saveurs, il rentra. Revit, au loin son frère, fier, fort, qui menait une horde nombreuse et toute une marmaille sautillante dans la neige. Il se dit que s’il l’avait voulu, il aurait pu avoir ce destin-là. Mais non. Steve était con.