La prise en main d’une ligue gangrénée.
Lorsque David Stern prend les rênes de la NBA en 1984, la ligue vient de négocier un contrat de diffusion à hauteur de 20 millions de dollars sur deux ans. Avant sa retraite en 2014, le dernier contrat négocié s’élève à 24 milliards de dollars sur 9 ans. Ce chiffre, à lui seul, suffirait à démontrer l’essor de la ligue sur cette période.
À ses débuts, les finales sont diffusées en différé. Il ne met que 2 ans à mettre en place la retransmission en direct, juste après avoir instauré deux ans plus tôt (1985) la loterie pré-draft permettant de garantir l’équité du championnat. De plus, sa prise de fonction coïncide avec la draft de plusieurs Hall of famers en 1984 (Michael Jordan, Hakeem Olajuwon, Charles Barkley…) dans une ligue déjà bien animée par les Larry Bird ou Magic Johnson. La draft justement, il la modifie l’année suivante en instaurant un système de loterie plus élaboré qu’auparavant, redistribuant les chances. Le fait de ne plus garantir les premiers choix aux derniers de chaque conférence permet d’assurer un spectacle constant sur la saison régulière.
En outre, Stern introduit peu à peu le processus de starification, aujourd’hui caractéristique de ce sport, par la publicité ou des évènements comme les All-Star Game. Pour amener ses basketteurs au rang de stars, comme le sont déjà les baseballeurs ou footballeurs américains, il se révèle intransigeant sur la question des drogues, alors que la poudre blanche circule allègrement dans les franchises (et on ne parle pas du talc utilisé par le King aujourd’hui). Michael Ray Richardson, alors l’un des meilleurs joueurs de la ligue, en sera la première victime. Après avoir violé les règles à trois reprises, il est banni à vie de la NBA en 1986. Le joueur se dit victime de racisme anti-noir, au vu du peu de joueurs blancs soupçonnés.
Changer les apparences pour s’exporter.
Mais difficile d’imaginer un quelconque favoritisme racial chez Stern, tant la condition des joueurs afro-américains et étrangers s’est améliorée sous son mandat. Le basket subit les stéréotypes d’un pays encore très marqué par la ségrégation raciale. Et là où le baseball et le football voient s’affronter une majorité de joueurs blancs, la NBA, elle, accueille tout le monde. Alors, Stern va peu à peu évincer l’image erronée du basketteur banlieusard et drogué, un peu trop « street » aux yeux du public. À Jordan par exemple, il interdira certaines chaussures. Plus tard, il obligera le port du costume, mettant en scène une arrivée des joueurs façon tapis rouge. La NBA change de standing. Cette mutation, complétée par des changements de réglementation favorisant le spectacle, va permettre au commissioner d’entreprendre l’exportation de la ligue, le véritable tournant.
7,4 Milliards de dollars : Le chiffre d’affaire total des franchises NBA en 2017. Il était de 118 millions de dollars lorsque Stern devenait commissioner.
Sous l’impulsion de Stern, la NBA commence à négocier la vente de droits télé à l’étranger. Les finales NBA, très peu suivies aux États-Unis à sa prise de fonction, sont diffusées dans 215 pays dorénavant. Les finances augmentent et la ligue devient progressivement la vitrine du basket-ball mondial. En témoignent les 100 000 magasins NBA dédiés aux produits dérivés présents dans une centaine de pays différents. Les ambitions de Stern ne s’arrêtent pas là. En pleine Guerre Froide, il organisera sur les terres russes, trois rencontres entre les Atlanta Hawks et l’équipe nationale soviétique. La NBA est alors la première ligue nord-américaine à délocaliser ses rencontres. Un procédé très courant aujourd’hui pour booster la visibilité des compétitions.
En parallèle, il pousse les têtes d’affiche de la ligue à rejoindre l’équipe nationale jusqu’ici composée de joueurs universitaires. Naît alors la fameuse Dream Team des JO de Barcelone 1992. Les arabesques de Jordan, Bird, Jonhson ou encore Barkley et Pippen marquent le public qui découvre ici un tout autre basket, moins défensif mais plein d’artifices.
« Les Etats-Unis ne sont pas le seul endroit de la planète où on joue au basket. » David Stern
Cette ouverture à l’étranger ne bénéficie pas seulement aux franchises, mais également aux joueurs, les protégés principaux de Stern. Le salaire annuel moyen des joueurs était de 300 000 dollars en 1984. Cette saison, il s’élève à 7,7 millions de dollars. Mais au-delà de ces évolutions salariales, ces réglementations ont permis d’ouvrir un championnat facilement dominé par la taille à d’autres profils, plus petits, plus techniques et plus intelligents.
Avec l’ouverture des frontières de la ligue, on voit de nombreux étrangers arriver sur les parquets à l’instar des Tony Parker, Yao Ming ou actuellement Luka Doncic (Slovène/Minnesota) et Giannis Antetokoumpo (Grec/Milwaukee), MVP l’an dernier. Exclusivement américaine à ses débuts, la NBA compte maintenant près de 25% de joueurs nés sur le sol étranger.
« Merci d’avoir permis à un petit enfant de France de rêver de NBA en rendant ce jeu mondial »
EVAN FOURNIER.
Un pionnier unanimement reconnu
S’il combat ardemment le racisme dans sa ligue, Stern a divers engagements sociaux, souvent bien au-delà de l’aspect sportif. En 1991, il défendra coûte que coûte les droits de Magic Johnson, son joueur préféré, alors atteint du VIH. À une époque où cette maladie se voit stigmatisée dans la société, il soutient la participation du joueur aux compétitions, faisant de lui un pionnier dans l’acceptation de la séropositivité sur les terrains et dans la société. De plus, en 1997, il crée la Women NBA et remet au gout du jour la G-League, l’antichambre de la NBA. En 2005, il lance NBA Cares, un programme de développement d’œuvres caritatives financées par la ligue.
« David a fait de la NBA une des ligues les plus populaires du monde avec ses idées révolutionnaires. Il a fait des finales NBA des matchs regardés en direct à la télévision et non plus en différé. Il a tellement fait l’histoire. Quand j’ai annoncé en 1991 que j’avais contracté le HIV, les gens pensaient qu’ils auraient le sida en me serrant la main. Quand David m’a permis de jouer le All-Star Game en 1992 puis de participer aux JO de Barcelone avec la Dream Team, on a pu changer le monde. » Magic Johnson
Comme Magic au moment de lui rendre hommage, le basket-ball ne tarit pas d’éloges à son égard. De Bill Russel à Lebron James, en passant par le Shaq ou James Harden, tous pleurent leur « Étoile Polaire » de la NBA, le surnom donné par ses collaborateurs. Sa gestion parfois tyrannique a pu diviser au sein de l’instance, comme lors des deux lock-out (grève des joueurs) en 1998-1999 et 2011-2012) qui virent l’annulation de nombreuses rencontres. Mais à chaque fois, il a su maintenir l’équilibre et rassembler les joueurs à sa cause dans une ligue qu’il jugeait de moins en moins viable financièrement. En 2014, il est introduit au FIBA Hall of fame qui récompense les grands hommes du basket mondial. Stern a su développer l’attractivité internationale de la ligue par le biais de mesures sociales équitables et de partenariats économiques monumentaux.
Grâce à lui, la NBA apparaît aujourd’hui comme l’événement sportif le plus diffusé derrière le football (Soccer chez l’oncle Sam). Elle est à part dans le monde du basket-ball et du sport, à tel point que son modèle intéresse de nombreuses ligues, sur les parquets comme le rectangle vert. Spectacle, performance, rentabilité, audiences, fans… Rien ne semble manquer au « puzzle » de Stern, incontestablement le vrai GOAT (Greatest of all time).