La démocratie américaine peut à raison être maintes et maintes fois critiquée, jugée inique, privatisée elle aussi par la triste loi du marché, faisant des candidats des demandeurs de subventions, et des plus grandes fortunes d’influents offreurs. On peut à raison critiquer la pression des lobbies qui paralyse tout espoir de progrès dans un pays dit Terre de Liberté, de l’encadrement si ce n’est la suppression du port d’arme, de la protection sociale universelle, de la limitation de la toute puissance de certaines branches, comme l’industrie pharmaceutique… Mais ne défeuillons pas tous les scandales, il nous faut bien pouvoir écrire de nouveaux articles…

Reste que la démocratie aux Etats-Unis est une démocratie non-directe, mais une démocratie franche. Si ses représentants sont bien souvent les idoles des intérêts privés, ils sont soumis au Droit public plus que n’importe qui. Mieux, à la probité plus que n’importe qui. François Hollande sur son scooter fut tout au plus raillé par les caricaturistes nostalgiques de Tonton Mitterrand, et pu finir son mandat, dans l’embarra, mais la tête sur les épaules. Combien ont voulu décapiter Bill Clinton quand a éclaté son affaire (enfin l’affaire de son affaire) au bureau ovale. Désacralisation de la fonction et de l’institution, provocation à la morale publique, infidélité outrageuse à la première Dame du pays… On peut juger excessif, depuis notre Vème République où la raison d’Etat règne, que Bill Clinton ai été menacé de destitution par le Congrès après cette indélicatesse à la Hillary de son cœur. Mais c’est alors d’autant plus surprenant que le peuple américain n’ai pas fait surgir sa rage et son indignation lors de la diffusion au grand public du Rapport Mueller en avril 2019.

Le plus grand scandale du siècle

C’est en tous cas comme cela que beaucoup d’observateurs outre-Atlantique ont qualifié les résultats de l’enquête de Robert Mueller. Procureur, directeur du FBI jusque 2013, Mueller prend en 2017 la tête d’une commission spéciale d’enquête chargée d’investiguer l’élection présidentielle de 2016, la possible ingérence du gouvernement russe en faveur de Donald Trump et les liens de ce dernier avec le gouvernement russe, a priori et a posteriori de l’élection. Surnommé « le détecteur de mensonges » en Une du Times de Juin 2017, Mueller met vite en lumières des « efforts multiples et systématiques » de la part de la Russie pour influer dans l’élection présidentielle. Toutefois, il est dans l’incapacité de rassembler assez de preuves pour mettre en évidence des liens de connivence entre le cabinet du candidat Trump et le cabinet du Président Poutine. Cela suffit pour que le Président américain mette un terme à la polémique et se dédouane totalement, comme toujours, sur les réseaux sociaux :

Seulement ce n’est pas si simple. Le rapport Mueller met aussi en évidence les tentatives certaines d’entrave à la Justice de Trump lors des investigations ; pressions de la part du Staff du Président, tentative de limoger Robert Mueller, et surtout une synthèse incomplète et simplifiée du rapport, réalisée par le ministre de la justice William Barr qui exonère explicitement de toute suspicion son très cher Président. Si, effectivement, le Président des Etats-Unis ne peut être traité comme n’importe quel justiciable, cela n’en fait pas non plus un citoyen sans devoir, sans responsabilité.

Impeache-qui-peut

« la Constitution prévoit une procédure en dehors du système judiciaire pour mettre en accusation un président en exercice », rappelle au Président Robert Mueller. Le Congrès peut enclencher, s’appuyant sur les suspicions et les témoignages du procureur Mueller, une procédure de destitution, dite d’impeachment, votée par l’ensemble du Congrès. C’est dans cette optique que Robert Mueller a finalement cédé à la demande de passer en audition devant le Congrès, en Juillet dernier,  répétant inlassablement les mêmes conclusions. La balle est dans le camp des indignés, des suspicieux, des défenseurs d’une démocratie où le choix du peuple est un choix libre et éclairé, pour rétablir aux Etats-Unis la vérité et la souveraineté du territoire et du peuple. Mais non. En 2019, Donald Trump est annoncé réélu dans la grande majorité des sondages.

Qu’un bon polar

Pourtant les américains sont fortement attachés au maintien de leurs droits et de leur intégrité, tellement qu’il est dur pour eux de modifier un amendement autorisant la mort de masse (en France la rédaction de constitution étant un sport national, il peut nous paraitre difficile à comprendre que les américains tiennent encore à cette vieille chose de 400 ans qu’est la Déclaration d’Indépendance). Ils ont fait tomber Nixon, non parce qu’il espionnait ses adversaires, mais parce qu’il a juré au peuple qu’il ne le faisait pas. Ils ont failli faire tomber Clinton, ils ont élu un acteur de seconde zone président, voté deux fois Bush, père et fils. Le peuple américain décide de son propre destin, même si il prend des décisions parfois douteuses… Si ils veulent d’un milliardaire héritier star de téléréalité comme président, ils le choisiront.

Mais aujourd’hui on leur annonce que ce choix n’était ni libre, ni éclairé, que le Kremlin a utilisé moult Fake News, avant même que ce terme ne soit connu des américains. Crédule, Mueller aurait espéré voir surgir l’indignation populaire des brèches ouvertes à coup de preuves et d’accusations. Il n’en est rien. Le peuple prête encore l’oreille à celui qui juge cette affaire comme on traiterai un fait divers, un scandale de mauvaise fanzine. Celui qui a des choses encore plus choquantes à dire, qui attirera un jour de plus la lumière des cameras ailleurs que vers les tâches suspectes qu’il laisse derrière lui. C’est pourtant sûrement l’affaire du siècle, ce n’est pour beaucoup simplement qu’un bon polar, une histoire qui ne changera pas l’Histoire.