La crise du COVID a fait de nombreuses victimes collatérales. En France, le monde de la culture a été sérieusement blessé par le confinement. Plus de cinémas, de théâtres, de spectacles, d’attractions, de fêtes foraines, de tournages, de shootings, de défilés… Ironiquement, c’est le monde de la littérature qui s’en sort peut être le mieux, grâce sans doute à l’injonction solennelle et mémorable de note président : « lisez ». Or, le monde du livre est un monde qui déjà sous paie ses auteurs. Si l’industrie se maintient, ce sont les artistes qui prennent un coup.

Revalorisations et distanciation

Le gouvernement joue à un drôle de jeu depuis quelques mois avec les acteurs de la culture. D’un côté, ont été rajoutées en annexes 8 et 10 au règlement d’assurance chômage des mesures d’urgences pour les intermittents du spectacle, depuis début mai. Pour résumer, les intermittents bénéficient d’un prolongement de leur année, et peuvent bénéficier de leurs indemnités même si ils n’ont pas réalisés leurs 507 h obligatoires. D’un autre, depuis ces belles annonces et le « projet culturel » de Macron (bien plus de Macron que de Riester le ministre de la culture de l’époque), plus rien, ou plus grand-chose. Sujet majeur du confinement avec les écoles, la culture est la grande oubliée du monde d’après.

Derniers lieux réouverts, dernières mesures de distanciation strictes, dernier secteur où le poids du coronavirus se fait fortement sentir sur les portefeuilles. La décision de Jean Castex de repousser la levée de l’interdiction des événements de plus de 5000 personnes jusqu’octobre 2020 a fortement blessé les grandes salles et les sorties populaires, comme le film Kaamelot tant attendu par les fans, dont la sortie a été repoussée pour éviter l’effet de foule.

Après une représentation dans une salle à demie remplie, un siège sur deux, avec de la chance, les acteurs rentrent chez eux. Ils passent devant un restaurant, un bar, où l’on se touche, on chante, emportés par la nuit et les amis. Pourquoi encore restreindre les artistes, leurs messages, leur talent, quand le cœur du reste du monde s’est remis à battre la chamade ?

Indignations

Logique que plusieurs artistes poussent des « coups de gueule » comme on dit dans Closer pour éviter de dire qu’il s’agit d’un sujet grave. Matt Pokora s’est indigné de la prolongation de l’interdiction des grands événements, puisque lui comme beaucoup d’autres musiciens ont commencé à vendre les places pour ses prochains concerts. Avec lui Pascal Nègre, figure emblématique d’Universal Music ou encore Aurélie Hannedouche, représentante du Syndicat des musiques actuelles (Sma).C’est surtout Jeremy Ferrari, humoriste plutôt engagé connu pour ses altercations avec les politiques, qui exulte dans une lettre ouverte publiée sur ses réseaux sociaux et dans Le Parisien mi-août. Les demandes sont simples : donner l’opportunité de jouer les spectacles sous certaines conditions sanitaires, aussi souples que celles en vigueur partout ailleurs.

Alors que le monde de la culture semble en branle face aux mesures du gouvernement, une exception culturelle indigne, non seulement les artistes, mais à peu près tout le monde. Le Puy du Fou, fondé par Philippe de Villiers, dernier lieu de mémoire vendéen et anti-révolutionnaire, bonheur de tous les enfants, parc à thème de « la France d’avant la République et les cocos » pardon je m’égare… Le Puy du Fou donc, aurait accueilli 9 000 personnes le 15 août, sur arrêté préfectoral. Un « passe droit » qui scandalise. Il semblerait bien que les politiques choisissent où dans la proposition culturelle française se trouvent les dangers, où il est possible d’ouvrir. Existe-il un arbitraire sur les questions de culture ET de coronavirus ? Peut-on laisser au politique la décision d’un arbitrage entre culture et coronavirus ?   

Et Roselyne ? Disparition

La nomination de Roselyne Bachelot au ministère de la culture aurait pu être une bonne nouvelle pour beaucoup. Grande gueule, habituée du pouvoir, iconoclaste, elle pouvait porter un vrai projet culturel. Eh bah non. Enfin, pas pour l’instant, laissons lui le bénéfice du doute. Pour l’instant, Roselyne est occupée essentiellement à s’excuser. Non il n’y a pas eu de passe-droit au Puy du Fou, désoNon si c’est vrai Jeremy Ferrari, déso j’y travaille… Comme son prédécesseur, la ministre s’efface devant le duo exécutif. Macron incarnait la puissance et le besoin de culture en temps de confinement, Castex incarne les détails à régler pour que tout se passe bien en déconfinement, les ministres de la culture ont jusqu’ici surtout incarné des apparitions télé et des gens qui aiment bien la musique.

En attendant des actes, on pourra tout de même voir en vrai notre ministre de la culture défiler pour un petit budget dans Les Reines du Shopping sur M6, parce que c’est la classe (l’émission a été enregistrée avant sa nomination, un peu de décence). Toutefois Roselyne Bachelot a promis sur Twitter une réunion avec l’ensemble des « organisations professionnelles des secteurs culturels les plus impactés » pour mettre en place un soutien économique dans la semaine à venir.

Economie du sens

Une aide économique. Voilà à peu près à quoi on réduit le secteur de la culture. On oublie effectivement assez vite les artistes dans ces polémiques pour se concentrer sur les « industries culturelles ». Conséquence d’un management rationaliste qui considère chaque ministère comme un buisness à part entière en besoin de financement.  A-t-on un seul instant pensé au rôle que les artistes ont à jouer à ce moment précis ? Celui de créer du sens à un moment de pertes de repères, de trouver dans le monde quelque chose auquel on peut se raccrocher en tant qu’humanité. Il y a dans l’art des considérations politiques qui échappent et doivent échapper aux gouvernements.

Image : Ophélie, Christophe Cartier
Ophélie, personnage d’Hamlet de Shakespeare, sombre dans la folie et meurt noyée, par accident ou par suicide.