14h20, Kontiolahti, Finlande, le 14 mars. Martin Fourcade et ses 31 ans franchissent la ligne d’arrivée. Pour la 83ème fois de sa carrière, personne ne l’a devancé. Cette victoire, il ne la savoure pas avec le public. Crise sanitaire oblige, la Coupe du monde a été écourtée et cette dernière étape, à huit clos, laisse un goût amer. La veille, il l’a annoncé, ce sera sa dernière course. On aurait tous désiré le voir terminer, ému, haranguant une foule en délire, là où tout a commencé…

Dix ans plus tôt, jour pour jour dans cette même station finlandaise, il remportait sa première course professionnelle, esquissant les prémices de son chef d’œuvre. 5 médailles olympiques, 7 gros globes de cristal (vainqueur de la Coupe du monde), 221 podiums et 4 Grands Chelems en Coupe du monde séparent ces deux instants.

Une force de la nature…

Dans le sillage de son frère ainé Simon, le biathlète de Font-Romeu se fait un nom sur le circuit. Quelques semaines avants, au JO de Vancouver, il avait décroché l’argent sur la mass start. Sa puissance impressionne. Capable des meilleurs temps de ski, sa consommation d’oxygène maximale (VO2 max), paramètre inhérent aux sports de fond, n’est pas au-dessus de la moyenne des biathlètes pour autant (83 ml/kg/min). À titre de comparaison, Ole Einar Bjørndalen, la légende norvégienne aux 8 titres olympiques, tournait, comme son compatriote Johannes Bø, principal adversaire de Fourcade ces dernières saisons, autour des 86 ml/kg/min.

Selon Stéphane Bouthiaux, son entraineur en ski jusqu’en 2018, ses succès résident dans sa capacité à « utiliser sur toute la durée des courses un pourcentage plus élevé de sa force maximale que la plupart de ses coéquipiers » . Mais pas seulement, le Pyrénéen possède un système cardiovasculaire remarquable. Sa fréquence cardiaque peut chuter jusqu’à 24 bpm au repos. Ainsi, lorsqu’il s’installe sur le pas de tir après l’effort, celle-ci diminue drastiquement. Il gagne en précision. De plus, son taux d’hématocrite (le transporteur de l’O2 dans le sang) est très élevé, ce qui explique cette capacité à réguler sa consommation d’oxygène sur de larges amplitudes.

Mais Martin Fourcade, c’est surtout un mental d’acier qui n’a cessé de se renforcer au fil des victoires. En 2014, revenant tout juste des Jeux de Sotchi avec deux médailles d’or et une médaille d’argent en poche, il confiait à l’Express : « Quand je prends le départ d’une compétition, c’est pour gagner, pas pour laisser ma trace  » . La même année, il remporte son troisième gros globe de cristal après ceux de 2012 et 2013. Il en briguera trois autres (2015, 2016, 2017) avant de connaître l’apogée en Corée du Sud…

Il est capable de rester dans sa bulle et sur la manière de faire les choses sans penser aux résultats. Sa faculté à respecter les schémas fait sa grande force par rapport au reste de ses adversaires.

Stéphane Boutiaux, directeur technique du ski de fond et du biathlon français.

Au JO de PyeongChang en 2018, alors porte drapeau , il devient l’athlète français le plus titré des Jeux olympiques, été et hiver confondus, avec en point d’orgue une victoire du bout des skis dans la mass start face à l’Allemand Simon Schempp. 14 cm, 0,018 seconde. Il ne faut pas plus pour rentrer dans l’histoire. Ah si : devenir le recordman de victoires au classement de la Coupe du monde par exemple, en s’adjugeant un septième gros globe…

… qui assume son franc-parler

Mais malgré les succès, ce père de deux filles n’a jamais changé de braquet ou de bâtons si vous préférez. Humble et solidaire, la langue de bois il ne connaît pas. Son naturel, son franc-parler, sa grande gueule (presque !) sont devenus légendaires.  

En janvier 2019, Alexander Loginov, tout juste revenu de suspension pour dopage à l’EPO, s’impose en coupe du monde. Fourcade n’hésite pas à qualifier de « honteuse » la victoire du Russe : « Il a gagné mais il ne recevra pas mon respect. ». Cette année, il a encore condamné le mutisme de Loginov après que ce dernier a remporté le sprint d’Anterselva (Italie) : «  Ce n’est pas très intelligent de sa part, mais il a déjà fait des choses avant qui ne l’étaient pas. Ce n’est pas le meilleur vainqueur  » .

À l’heure où le débat sur la tolérance zéro fait rage, le Catalan s’est érigé en figure de proue de la lutte contre le dopage. Membre de la commission des athlètes de la Fédération internationale de biathlon (IBU), il milite depuis des années pour un sport propre. En septembre dernier, le comité national olympique du sport français (CNOSF) l’a choisi pour être le prochain candidat français à la commission des athlètes du CIO. Il ne glissera plus sur vos écrans mais ses combats ne cesseront pas pour autant.

Et il ne manque pas d’humour, capable de réciter le célèbre monologue d’Edouard Baer dans Astérix, après la victoire du relais masculin à Ruhpolding (Allemagne) en janvier. Ou comme cette fois alors qu’il vient de décrocher son cinquantième succès en Coupe du monde, il glisse un tacle en interview à Siegfried Mazet, son ancien entraîneur de tir parti chez l’ennemi norvégien.

« Une star qui reste un type normal au milieu de l’anormalité d’un destin exceptionnel » . C’est ainsi que Frédéric Hermel, correspondant pour RMC, décrivait Zinédine Zidane dans sa biographie. Martin n’a rien à envier à l’idole des français. Porte-drapeau d’une génération éblouissante, il a accompagné son sport dans une autre dimension.

Le fer de lance du biathlon ?

Les succès de Raphaël Poirée, vice-champion olympique à Salt Lake City (2002) et quadruple vainqueur de la Coupe du monde, ont donné de la visibilité au biathlon. Les exploits de Martin l’ont fait rayonner dans l’hexagone. Ces cinq dernières années, les audiences ont explosées : 290.000 téléspectateurs de moyenne en 2015, 620.000 en 2016 et des pics à plus d’un million cette année. En effet, le format passe aisément à la télévision : des coudes à coudes féroces qui se terminent au sprint, précédés de tirs dans une tension insoutenable, rien de mieux pour faire frémir les amateurs…

S’il a pris une dimension nationale incontestable, le biathlon ne voit pas forcément son nombre d’adhérents exploser (moins de 1000 en 2018). Il demeure un sport élitiste et exigeant, où rares sont les licenciés seniors en dehors de l’équipe de France. Le prix du matériel (près de 3500€ la carabine), le manque de formateurs, d’infrastructures et la difficulté à en implanter de nouvelles, ne permettent pas un développement brutal comme les sports collectifs ont pu en connaître…

Place à la jeunesse !

Avec Fourcade, c’est un pan de l’histoire de ce sport qui se retire. Mais derrière lui, les Français ne sont pas en reste. Même s’il faudra s’employer pour exister face à Johannes Bø, son remplaçant semble déjà trouvé : Quentin Fillon-Maillet (27 ans) a terminé les deux dernières Coupe du monde sur la troisième marche. Il appartient, comme Antonin Guigonnat (28 ans) et Simon Desthieux (28 ans), à cette génération qui œuvre avec Martin depuis plusieurs saisons.

Derrière, les jeunes pousses Émilien Jacquelin (24 ans) et Fabien Claude (25 ans) mettent la pression sur leurs aînés. Le premier a remporté les Championnats du monde et la Coupe du monde de la poursuite cette année. Le second s’est hissé sur le podium de la Coupe du monde pour la première fois cet hiver, s’adjugeant une troisième place sur l’individuel de Pokljuka (Slovénie). Alors, Martin, tu peux partir t’occuper de tes proches tranquillement. La légende est gravée, la relève, assurée.

Bon vent Martin !

« Oula je me casse d’ici moi ! » (crédits illustration : Yern)