Via Matteoti. Cette ruelle d’à peine 200 mètres aux sonorités poétiques est devenue le symbole, dans la région de la Calabre (Italie du Sud), d’une triste réalité. Située dans la petite bourgade d’Africo Nuovo, trente-trois des cinquante riverains sont décédés de tumeur en 2013. En cause ? Des déchets toxiques voire radioactifs auraient été enfouis non loin des lieux d’habitations. La Calabre, parfois surnommée « poubelle de l’Europe » serait ainsi au cœur d’une vaste industrie de traitement des déchets aux implications mafieuses, où seuls les citoyens payent le prix des conséquences.

Un système bien rodé

Tout commence par un constat : celui d’une région sinistrée par la crise, gangrénée par le chômage. L’absence de l’Etat face à la misère sociale a permis à la ‘Ndrangheta (organisation mafieuse calabraise) de s’implanter dans les secteurs les plus prolifiques, en particulier le traitement des déchets toxiques européens. Cette économie repose sur un fonctionnement relativement simple. Grâce à leur influence et le contrôle quasi-total sur la région, les parrains signent des accords avec des entreprises locales, placent leurs hommes à des postes à responsabilité et fournissent une main d’œuvre bon marché. Ainsi, tous les maillons de la chaîne de traitements sont aux mains, au moins partiellement, de la mafia. Les déchets sont acheminés par container dans le port de Gioia Tauro qui représente à lui seul 50% du produit intérieur de la Calabre (1). Ils transitent ensuite via lesdites entreprises, pour enfin être enfouis dans les sols ou au fond de la mer. Et ceci, sans prendre en considération les règles de sécurité et de salubrité.

Des liens douteux

En résulte une compétitivité très appréciée des grandes multinationales européennes qui n’hésitent pas, selon certaines sources (2), à traiter directement avec le milieu mafieux. D’après le procureur Roberto Di Palma, Gioia Tauro n’aurait jamais pu voir le jour sans une coopération entre la firme Contship Italia Group et la ‘Ndrangheta. Giuseppe Lombardo, procureur lui aussi, affirme que cela va plus loin. Les multinationales seraient ainsi au cœur de projets de grande envergure, négociant des accords en amont au niveau local. La mise en cause de TEC (Termo Energia Calabria)- une filiale de l’entreprise française Veolia – dans une procédure pour fraude, corruption, et trafic illégal de déchets en bande organisée, semble confirmer cette hypothèse.

L’impossible sursaut

La gravité de la situation est visible à travers la santé des riverains, durement touchés par le cancer. Alors, que font les pouvoirs publics ? Rien, ou presque rien. Et cela s’explique. D’abord, l’attractivité économique considérable de ce secteur endigue toute volonté de changer la donne. Entre lutter contre la corruption ou être compétitif, il faut choisir. De plus, pour la justice italienne, le véritable exécutif de cette industrie réside dans des loges secrètes aux mains de la mafia et fréquentées par des acteurs de haut rang de la vie politique et économique du pays (1). En 2016 la condamnation du sénateur Antonio Caridi pour association mafieuse, dévoile au grand public l’étendue des relations entre politiques, industriels et criminels. Pour Giuseppe Lombardo il existerait une « mafia invisible », très restreinte, avec à sa tête un petit nombre de parrains qui, grâce à ces loges, contrôlent et gèrent une large partie de l’industrie de traitement des déchets radioactifs à l’échelle internationale.

Un champ d’action international

Selon SIRASCO (Service d’Information, de Renseignement et d’Analyse Stratégique sur la Criminalité Organisée) l’influence de la ‘Ndrangheta est loin de s’arrêter aux frontières italiennes. Elle serait notamment à l’œuvre dans la déchetterie à ciel ouvert d’Entressen (quartier d’Istres, France), où s’entreposent des monceaux de déchets, notamment radioactifs. Encore une fois, la cécité du pouvoir politique français face à cet enjeu de santé publique témoigne d’une réalité amère, celle de la primauté du profit économique sur la vie de nos concitoyens.

  1. https://www.youtube.com/watch?v=FL8Zp5h1upc&t=21s
  2. Sources : procureur Roberto Di Palma et Giuseppe Lombardo : Témoignage : http://2. https://www.youtube.com/watch?v=FL8Zp5h1upc&t=21s